26.1.07

Les cœurs autonomes – David Foenkinos

Jusqu’où l’amour peut-il nous emporter ? En l’occurrence, David Foenkinos s’inspire d’un fait divers du milieu des années 90 pour décrire, brillamment, d’une langue parfaitement maîtrisée et travaillée, le parcours révolté et désespéré de deux amants. Un parcours qui, pour dire son rejet de la société moderne, le désespoir de ne pas y trouver sa place va précipiter un couple de jeunes gens dans le meurtre et la mort. Un chemin sans possible retour, brutal et définitif.

En usant d’un artefact littéraire, imaginant un témoin du cheminement du couple et de son basculement progressif dans une révolte de plus en plus violente, Foenkinos va surtout s’intéresser aux mécanismes passionnels qui vont amener une jeune fille normale, socialement intégrée, à rapidement rejoindre, par amour, par peur de perdre l’autre, le statut de membre du grand branditisme.

Les phrases courtes, incisives, combinées à de nombreuses images percutantes, rendent ce livre bouleversant. On comprend comment et pourquoi la vie peut facilement basculer du mauvais côté.

Ce livre est aussi fait pour nous amener à réfléchir à ce que nous désirons être au sein de nos couples : faire-valoir de l’autre, catalyseur, aide pour mieux nous connaître nous-mêmes, gardien d’une intégration sociale…

Un beau roman.

Publié aux Editions Grasset – 171 pages

20.1.07

Maos – Morgan Sportès

Truculent, cynique, décalé, drôle… Une pluie d’adjectifs me vient à l’esprit au moment de vous faire part de mon humeur sur ce roman déjanté.

Sportès nous emmène malgré nous dans l’univers des ex gauchos maoïstes qui, après quelques frasques sans trop de conséquences, se sont rangés et casés dans la société (et la bonne de préférence). Alors que la réinsertion est en très bonne voir pour notre (anti)héros, Jérôme, éditeur en vue, fiancé à une superbe femme, journaliste et fille du porte parole de l’Elysée, voilà que son passé resurgit. Un ex camarade lui remet un revolver et son univers risque de basculer. Voici pour l’intrigue de base…

L’une des forces de ce roman est d’entremêler avec une habilité diabolique, et quasiment sans que le souffle ne retombe, ce qui constitue un véritable exploit vu le défit de construction, divers fils. Puis de nous serrer bien fort.

Celui, linéaire et classique, de l’intrigue qui se déroule sous nos yeux. Nous allons assister à une lente déchéance de Jérôme, alcoolotabagique, et qui soigne son angoisse de vivre à coups de tranxène/whisky. Plus on avance, plus on se prend à détester ce sinistre individu, incapable de s’assumer, de s’aimer et d’aimer.

Jusque là, rien que du classique.

Voilà qu’un deuxième fil surgit, presque sans qu’on le remarque. A chaque moment clé de l’intrigue, une des responsables de la maison d’édition appelle Jérôme pour lui demander de faire réécrire par un romancier qu’il a imposé au comité de lecture, une scène d’un livre que nous ne connaissons pas. Or ce livre ressemble très étrangement aux scènes qui viennent de se dérouler sous nos yeux. Un trouble léger nous gagne. Ce trouble deviendra presque angoissant à la fin, mais chut, je ne vous en dirai pas plus. Y aurait-il un doute entre le réel, le perçu et le souhaitable ? Qui se sert de qui pour défendre quels intérêts ?

Un troisième fil, celui de la manipulation par la communication, sous-tend l’ouvrage. Il est même posé en postulat en avant-propos, par citation d’une enquête internationale dont on ne sait si elle est bidon ou franchement réelle, ce qui fait peur. Chaque chapitre est illustré d’extraits d’ouvrages politiques, principalement de gauche, et chaque extrait fait miroir à l’action qui va se dérouler, nous plongeant de plus en plus dans l’horreur et la manipulation. Une fois de plus, qu’est-ce qui relève du conscient, du désir ou de la manipulation ? Ce sont les thèmes fondateurs de l’ouvrage.

Un quatrième fil, que j’esquisserai seulement car c’est la trame fondatrice, nous emmène dans un monde parallèle dont on ne sait s’il est onirique ou réel et où certaines des scènes passées ou envisagées, se re-déroulent mais en inversion, de façon à politiser le propos, à déclencher une manipulation sur la manipulation, vous me suivez ? Le propos procède de bascules incessantes, pour mieux nous semer, nous troubler.

Enfin, du fait des ravages de l’alcool et des drogues, nous naviguons sans cesse entre le réel, les hallucinations, les rêves sans que la frontière entre tous soit bien claire ce qui jette encore plus le trouble.

Le génie de Sportès est de nous prendre dans ses filets, en nous enserrant de plus en plus fort, si bien que nous ne savons plus qui est qui, qui manipule qui et jusqu’où l’auteur prend un malin plaisir à nous manipuler. Le tout sur fond extrêmement documenté quant aux milieux révolutionnaires et à la gauche bien-pensante. Tout le monde, droite comprise, en prend pour son garde d’ailleurs, mais de façon subtile, non frontale.

Par ailleurs, l’intrigue est solide et l’étonnement constant. Bref, que du sérieux.

Un délicieux roman que j’ai adoré. Vous aurez du mal à le quitter avant que de le finir. Quel meilleur éloge ?

Publié aux Editions Grasset – 407 pages

La blanchisserie – Tarjei Vesaas


Cet auteur norvégien moderne, considéré comme le maître à penser de la littérature nordique des années quarante à soixante, a sans doute été beaucoup bercé par les grandes tragédies grecques classiques.

Voici qu’autour d’une blanchisserie, dont le symbole de la purification ne nous échappera pas, se nouent destins et fatalités.

Tarjei Vesaas nous entraîne dans les affres du désir inassouvi, celui qui rend aveugle au point de vouloir la mort de celui qui aime l’être que l’on chérit sans pouvoir l’atteindre. Un lent et inexorable processus de pulsion destructrice se met en place. Il va entraîner dans son sillage tous les protagonistes, tous innocents, tous aveuglés par ce qu’ils croient et non ce qu’ils voient.

Les étapes s’imbriquent mécaniquement l’une après l’autre comme celles qui conduisent à la purification du linge.

Le livre se déroule presque intégralement de nuit, accentuant la furtivité des déplacements, la honte refoulée, le poids des doutes puis des convictions tranchées.

Comme dans les tragédies classiques, le schéma que l’on croit tracé d’emblée va se ramifier pour nous entraîner de coups de théâtre en coups de théâtre. La rédemption se trouvera dans la mort de certains en présence de protagonistes du drame dont les exclamations ne sont pas sans rappeler celles des chœurs antiques.

L’auteur sait nous tenir en haleine en utilisant au départ une intrigue faite d’un tout petit rien. Mais c’est sans compter sans la passion des hommes et notre capacité à ne voir que ce que nous désirons voir, triant les faits pour ne retenir que ceux qui soutiennent nos théories.

Ce roman traite efficacement et poétiquement de la rédemption, de la nécessité de se sacrifier pour se purifier. Un roman tragique et bouleversant.

Dommage que la traduction ne soit pas tout à fait à la hauteur. On la sent un peu trop scolaire.

Un livre original à découvrir si vous aimez fréquenter les chemins de traverse.

Publié aux Editions Flammarion – 255 pages

13.1.07

Clearstream, l’enquête – Denis Robert

Décidément, Denis Robert enfonce le clou. Après Révélation$, La Boîte Noire, un film sur Canal Plus, ce journaliste indépendant, à l’origine de la mise en lumière de l’usine à recycler l’argent sale qu’est le centre de compensation luxembourgeois « Clearstream », nous livre sa version de l’enquête politico-judiciaire de l’affaire Clearstream.

Il est vrai qu’il fut et est toujours, sans doute, aux premières loges, plus ou moins malgré lui. Il eut la prudence de garder des cartouches et la chance d’avoir un indicateur clé au cœur du système. Sans lui et la persévérance du Juge Van Ruybeke, le paysage politique français aurait sans doute vécu un séisme majeur…

C’est par Denis Robert que sont arrivés les fichiers qui ont , bien malgré lui, servi à la gigantesque manipulation orchestrée par le trio Imad Jaoud-Jean-Louis Gergorin- Dominique de Villepin.

Son livre permet de mieux comprendre les luttes titanesques au sommet de l’Etat et comment le super coup foireux monté par Chirac et De Villepin contre Nicolas Sarkozy a bien failli réussir.

Vous apprendrez que derrière celui que la presse a si gentiment appelé l’informaticien Imad Jaoud se cache en fait un ex-trader, emprisonné suite à une faillite frauduleuse d’un fond spéculatif monté aux Iles Vierges, membre éloigné de la famille d’Emile Jaoud (président du Liban), contact privilégié de certains réseaux terroristes en Iran ou en Irak. Il est aussi le frère de Marwan Jaoud, patron d’EADS Missiles et fut le protégé de (mais surtout sans doute manipulé par) Jean-Louis Gergorin, numero deux d’EADS, deuxième fabricant d’armes européen et le contact du fameux Général Rondot.

Imad Jaoud fut également le patron du service de sécurité informatique et téléphonique d’EADS, rapportant directement à JL Grégorin. En clair, le service de renseignement et d’espionnage industriel d’EADS…

La lecture de ce véritable roman noir est édifiante : elle met en évidence tous les coups tordus du monde politique et surtout ceux qui ont visé à faire tomber de la course à la présidence Sarkozy et son équipe, le tout sur fond de manipulations constantes de listings informatiques visant à faire accroire que l’essentiel des soutiens politiques du rival de Chirac était corrompu et bénéficiait du système de blanchiment des commissions sur vente d’armes.

Il n’est visiblement pas bon de vouloir être celui par qui la vérité arrive : assignations internationales en chaîne, piratage de son ordinateur personnel, mise sur écoute, petits et grands papiers à la DST, menaces en tous genres sont et ont été le lot quotidien de Denis Robert.

Le mieux qu’on puisse lui rendre est de lire son livre. Pour ne pas rester passifs, pour chercher à savoir et à comprendre les grosses couleuvres qu’on veut nous faire avaler. Le monde politique et les proches du chef de l’Etat n’en sortent pour le moins pas grandis. Mais il est vrai que l’instruction est toujours en cours. Espérons qu’elle accouchera d’une partie de la vérité et que les manipulateurs n’en sortiront pas totalement indemnes, quelle que soit leur étiquette politique. A conserver en mémoire à l’approche des élections.

290 pages – Publié aux Editions Les Arènes

6.1.07

La Pays des vivants – Jean-Pierre MILOVANOFF

Un détenu en cavale pris au piège d’une tempête de neige. Une cavale bien préparée qui, tout de suite tourne mal. L’urgence à fuir, à retrouver la bergerie isolée de celui à qui on a sauvé la vie, il y a longtemps déjà, dans une autre existence. Y parvenir enfin, presque miraculeusement.

Puis, par un artifice littéraire que l’on met quelques pages à saisir, tant il est habile et naturel, se surprendre à observer la vie de personnages hauts en couleurs. Celui de Bichon, cantonnier fossoyeur qui parle de lui à la troisième personne. Un peu fou, beaucoup poète, un brin philosophe aussi. Celui de Faustine, ex chanteuse de cabaret, femme de passion et d’engagement. Celui de Kochko, ancien boxeur de classe internationale, aventurier polyglotte qui a laissé ses vies sales et turpides par-devers lui, enfin jusqu’ici. Celui de beaucoup d’autres protagonistes comme cette directrice d’établissement pour enfants sourds-muets ou encore cette jongleuse espiègle, qui donnent à ce joli roman une densité pittoresque certaine. Un tableau de Bosch à la lumière provençale. Avec des fous légers, gentils.

Il n’y faut pas rechercher une linéarité du récit même si la fin permet de comprendre pourquoi et comment ces personnages sont entrés en scène alors qu’on ne s’y attendait pas, tels des artistes précieux. A nous d’aller à leur rencontre, de les apprécier, de les écouter même et surtout dans leurs délires les plus extrêmes.

C’est en se laissant bercer par l’indéniable poésie qui se dégage et la profondeur de l’amour qui lie les uns aux autres, sous toutes ses formes les plus pures, que l’on appréciera le mieux ce joli roman.

Un livre qui nous invite aussi à voir les autres autrement que ce qu’ils nous semblent être, à aller au-delà des apparences pour retirer de rencontres pittoresques une certaine profondeur vitale. Un livre sur la loyauté et la beauté de ses engagements.

Bref une jolie découverte à faire partager.

Publié aux Editions Grasset – 284 pages

5.1.07

Véréna et les hommes – Hugo Marsan

Comment mal commencer l'année ? Lisez ci-dessous et vous en aurez une petite idée....

Hugo Marsan se prête à un difficile exercice Proustien dans son dernier roman. Proustien, par le personnage central, Marcel (tiens donc), romancier et dramaturge (tiens donc), mais aussi et surtout homosexuel (tiens donc) assumé et solitaire, à l’aube de la vieillesse, à l’ombre de la mort, réfugié du bruit et du monde sur Belle-Ile-en-Mer.

Proustien, par un style, très introverti, très ciselé, un rien pédant et manquant totalement de naturel. La lecture en est souvent pénible, l’écriture manquant de spontanéité et l’analyse psychologique, voire l’auto-analyse, y compris celle de Marsan (le personnage central ne se nomme-t-il pas Mersan?), omniprésente.

Proustien, encore, car l’homosexualité masculine en est le thème central. Sous toutes ses formes, si j’ose dire. Celle vécue, revendiquée par Marcel, dès ses vingt ans, dont l’éloignement choisi va créer les conditions pour que sa petite cour masculine et féminine, très parisienne, insupportable, éclate et trouve sa vraie voie.

Celle, tardive, de Robert qui va la découvrir malgré lui à travers un jeune handicapé mental, Jérémie.

Celle, hiératique et troublante, de Véréna, travelo et prostitué(e) que l’auteur n’hésite pas à placer au-dessus de toute réalité. Sorte de démon précis et maniéré qui entraîne dans le gouffre les hommes qu’il touche. Charles, vieux veuf et père de famille, n’y réchappera pas.

Celle, d’Amalric, bel amant de ces dames mais amoureux transi de Marcel et dont l’homosexualité ne lui sera auto-révélée que plus tard.

Les femmes n’y ont pas le beau rôle : seulement celui d’êtres libérés, ou revendiquant de l’être, épouses infidèles et amantes délaissées. Elles sont belles, c’est tout. Elles n’existent pour ainsi dire pas, sauf la mère de Marcel (décidément aucun cliché ne nous sera épargné !).

Pour parfaire le maniérisme de cette polyphonie littéraire où les personnages se croisent et s’entrecroisent, s’aiment et se quittent, se trompent, y compris sur eux-mêmes, hantés par la perspective de la mort, Marsan ne nous épargne même pas une visite détaillée des rues de Paris, décrites à coups de phrases dont l’auteur est sans doute très fier mais qui laissent le lecteur totalement indifférent.

Un livre assez assommant par son style, sa construction et que j’ai bien failli abandonner à moult reprises en cours de route…

218 pages – Publié au Mercure de France