2.1.08

La lumière du détroit – Hitonari Tsuji

Hitonari Tsuji est un écrivain japonais contemporain très célèbre en son pays. Il signe ici un court et percutant roman à la violence psychologique particulièrement marquée.

Saîto, le narrateur, a été dans son enfance le souffre-douleur d’un de ses camarades de classe, Hanai. Saîto est également issu d’une classe modeste, une famille de pêcheurs, alors que Hanai vit dans une famille aisé de la classe moyenne.

Saîto passe la première partie de sa carrière comme chef des stewards sur une compagnie de ferries qui fait le voyage quotidien entre deux provinces japonaises. Comme la compagnie va fermer avec la mise en route d’un tunnel de liaison entre les deux îles, Saîto décide de se reconvertir et devient « maton » dans la prison de la ville de son enfance.

A son arrivée, il se voit confier l’encadrement d’une dizaine de détenus que l’on prépare à la réinsertion civile en les formant aux métiers de la mer. Parmi ces détenus, Saîto va reconnaître Hanai, devenu élève modèle.

Bientôt, une relation de manipulation réciproque, de surveillance directe ou indirecte, va se mettre en place entre les deux hommes, l’un se retrouvant maintenant en position d’autorité vis-à-vis de celui qui l’a fait souffrir et qui est à l’origine de cette vie étriquée.

Hitonari Tsuji décrit avec subtilité et intelligence la progression des doutes dans la tête de Saîto face au comportement idéal de Hanai, loué par l’administration pénitentiaire. Peu à peu, cependant, la vraie personnalité, complexe, manipulatrice, sauvage et violente de Hanai va se révéler au plus grand nombre, donnant à Saîto la délivrance dont il a besoin, le rachetant à ses propres yeux.

Hitonari Tsuji dépeint magnifiquement la vie dure de ces hommes en mer, les tensions qui s’emparent des équipages, une fois isolés du monde, les poussant alors vers une violence physique qui sert de catharsis.

Il dit aussi l’impossibilité de se construire en tant qu’homme, mari ou amant, tant que la posture de victime subie traumatiquement n’a pas été réparée. Saîto est incapable d’être heureux en amour car il ne s’aime pas lui-même, n’a pas suffisamment confiance en lui.

C’est aussi une version moderne du « Maître et de l’esclave » de Kant. Saîto fut l’esclave psychologique de Hanai qui n’existait en tant que leader vis à vis de la classe que comme Maître. Sans Saîto, Hanai ne pouvait exercer son influence.

A son tour, une fois le rôle d’autorité inversé, Hanai devient un esclave administratif de Saîto, ne pouvant s’exprimer que sur son autorisation et dont la libération ou la réinsertion dépend, en grande partie, de l’avis de son ancienne victime. Pourtant, celle-ci ne peut se départir de l’influence de Hanai dont il ne sait jamais véritablement, avant les dernières pages, s’il l’a ou non reconnu. Si bien que la libération d’un mal profond et latent ne peut se faire que par la violence qui, seule, permettra d’exister alors en tant qu’être indépendant de son ancien bourreau.

C’est une livre d’une rare intelligence, assez complexe, à lire lentement. Un livre troublant et magnifique à découvrir absolument.

Publié aux Editions Mercure de France – 142 pages

4 commentaires:

nicolas vandewaele a dit…

Excellent livre avalé en deux petites journées, dans les transports parisiens. Style fluide, agréable à lire, bon équilibre entre descriptif et dialogues. Je demeure quelque peu déçu par la fin car les raisons pour lesquelles Hanai s'obstine à rester en prison à tout prix ne sont pas dévoilées. Seul le passage où il reçoit la visite de sa mère nous indique qu'il se sent plus libre enfermé qu'à l'extérieur... c'est assez mince pour comprendre la psychologie du personnage. Mais ce faisant, l'auteur parvient à conserver le mystère de son personnage en ne nous le faisant voir qu'au travers des yeux de Saito. Ainsi nous demeurons tout aussi circonspects que ce dernier quant à son rival.

Thierry Collet a dit…

Merci Nicolas pour votre commentaire.

La part de mystère chez Tsuji est permanente et l'auteur se plaît à laisser aux lecteurs leur libre arbitre quant aux motivations profondes, insondables qui les poussent à commettre des actes étranges.

Essayez "Le bouddha blanc", qui est plus linéaire ou bien encore "Pianissimo, pianissimo", son dernier roman, qui est un chef-d'oeuvre de l'étrange et de la manipulation.

Bonnes lectures et bien cordialement.

nicolas vandewaele a dit…

Bonjour de nouveau... je suis en train de lire un excellent roman qui, sauf erreur de ma part, ne se trouve pas dans vos pages. Il s'agit d'"America" de TC Boyle. Je ne l'ai pas encore terminé mais il s'impose déjà comme la meilleure oeuvre qu'il m'ait été donné de lire depuis bien longtemps. Je ne peux que vivement le conseiller. En quelques mots: critique acerbe et extrêmement réaliste de la société Américaine (Californienne) au travers de la vie et des préoccupations d'une famille US plutôt aisée vs une famille en devenir, originaire du Mexique et totalement démunie. Cette vision du monde occidental pourrait tout autant s'appliquer à notre France et aux évènements actuels liés à l'immigration. Ce serait une erreur que de passer à côté de ce chef d'oeuvre. Bonne lecture et bon WE!

Thierry Collet a dit…

Merci Nicolas. Nous allons nous procurer ce roman et le bloguer. Bien cordialement,