28.12.09

Sourde angoisse - Pat Barker


Ce roman s’inscrit dans la grande tradition des romans britanniques, à la limite de la psychologie et du policier. Pas de meurtres, mais un lent malaise qui s’installe lourdement quelque part en Ecosse, au beau milieu des bocages et des champs. Une région sinistrée et qui se remet difficilement de l’abattage forcé des moutons, épidémie de fièvre aphteuse oblige.


La caractéristique majeure de ce roman qui sait vous tenir en haleine, est de mettre en scène des êtres en reconstruction. Toutes et tous sont en recherche difficile du sens à donner à leur vie après une série d’épreuves dont ils ont peine à se remettre. Ces personnages qui interfèrent entre eux et partagent des bouts de passé commun, directement ou indirectement, vont progressivement trouver en l’autre le moyen de repartir de l’avant, malgré le poids du malheur.


Ainsi nous trouvons tout d’abord Kate, une encore belle femme d’une cinquantaine d’années, sculpteur et qui va être brutalement victime d’un étrange accident de circulation. Ejectée de son véhicule, elle se retrouve gravement blessée, hospitalisée alors qu’elle doit exécuter une commande d’un Christ grandiose, oeuvre majeure de sa vie. La scène de l’accident est absolument remarquable et inscrit immédiatement l’oeuvre dans une atmosphère d’étrangeté grandissante.


Comment accepter de se faire assister, à sa sortie, alors qu’elle ne peut supporter la moindre présence dans son atelier ? En quoi la réalisation de ce Christ en tous points différents des habituels poncifs va-t-elle lui permettre de trouver un nouveau sens à sa vie alors qu’elle vient de perdre son mari, Ben, grand reporter, abattu en Afghanistan ?


Elle va faire la connaissance de Stephen, ex grand-reporter de guerre, compagnon de travail et d’infortune de toujours de Ben et qui a assisté à la mort de celui-ci. Stephen vient chercher la paix dans le cottage de son frère pour écrire un livre en hommage à Ben. Un livre qui marque la fin d’une vie professionnelle et le début d’une nouvelle ère personnelle. Stephen vient de quitter son épouse et est en plein divorce, en recherche d’un nouveau sens lui aussi. Stephen jouera un rôle central, véritable plaque tournante entre ces êtres perturbés.


Est-ce Justine qui saura lui donner une réponse, un sens, la jeune et délurée fille du Pasteur qui garde le fils bizarre, un rien autiste du frère de Stephen ? Justine vient de vivre un cuisant échec amoureux, se remet d’une mononucléose et ne sait trop quoi faire en attendant de reprendre ses études de médecine.


Et quel rôle peut bien jouer Peter, protégé du Pasteur, jardinier à se heures, homme à tout faire de Kate, assistant obligé et obligeant, prisme déformateur du Christ statufié et pastoral. Quel passé trouble cache-t-il derrière une attitude toute en retenue ? Pourquoi est-il si insaisissable, si troublant ? Quel lien entretient-il avec les autres acteurs ?


Quant au Pasteur, il s’est fait larguer par son épouse et vit une romance tardive avec une paroissienne déjantée, adolescente attardée et amoureuse de ses moutons disparus. Un homme bizarre et qui cache derrière l’amour du Christ un caractère emporté et une vie de rancune. La risée de la Paroisse où il s’est volontairement laissé enfermé pour cacher une absence de sens.


Autour de ce quatuor gravite un autre couple, le frère et la belle-soeur de Stephen, dont la solidarité de façade ne résistera pas longtemps à une observation attentive. Encore une femme qui se réfugie dans un futile et frénétique jardinage pour fuir une vie sexuelle inexistante, un enfant asocial, une vie vide de tout sens.


Bref, tout ce petit monde va s’influencer et c’est la passionnante observation de ces fils, de ces mots, de ces interactions qui est mise en scène, pas à pas, avec précision et talent. Peu à peu, la tisse se toile, le puzzle prend forme.


Pas de spectaculaire mais un malaise qui grandit et qui va laisser les uns avec des réponses, certains sans.


Recommandé par Cetalir


Publié aux Editions Philippe Rey - 269 pages

Noces au paradis - Mircea Eliade



Je n’ai qu’un mot à vous dire : passez votre chemin ! Ce roman d’un obscur écrivain roumain est l’un des plus mauvais qu’il me fut donné de lire. C’est dire...


Le style est d’une lourdeur odieuse, l’histoire d’un convenu absolu. A se demander comment un tel ouvrage peut être publié face à l’abondance de qualité.


Deux inconnus, fourvoyés dans un relais de chasse des Carpathes vont se relater l’histoire d’amour qui les a bouleversés et les a laissés différents. Mettons...


Il aurait pu y avoir un brin de folie, une passion dévorante, une soif de débauches, une fuite vers un ailleurs éthéré. Rien de tout cela. Nous sommes englués dans la société bourgeoise dans le Bucarest de l’entre-deux guerres et n’avons qu’une hâte : nous enfuir ! Trop de réceptions, aucune émotion, aucun charme, aucune imagination. Mais pourquoi donc avoir publié cette nullité absolue dans la collection de l’Imaginaire ???


Déplorable, rasoir, bref à fuir !


Publié chez Gallimard - 265 pages

19.12.09

Technosmose - Mathieu Terence



La réussite de certains livres tient en partie à leur capacité à saisir d’emblée le lecteur, à ne plus le lâcher ensuite, même si le rythme ou l’écriture ne sont pas toujours de qualités égales.


C’est ce qui arrive avec “Technosmose” dont la scène d’entrée est un véritable morceau de bravoure. Rarement fouille au corps n’aura été décrite avec ce mélange glacial et glaçant de précision médicale et de déshumanisation. Mathier Terence nous fait entrer brutalement, avec son personnage principal, dans un univers carcéral du XXIe siècle.


Iris est une française de trente ans qui vient d’être condamnée à 18 ans de prison pour avoir tué son mari. Elle est incarcérée dans la prison souterraine ultramoderne située à Atlin, dans le Grand Nord canadien, pays où elle a commis son crime.


Sitôt arrivée, Iris n’aura qu’un objectif en tête: s’échapper d’une prison ultra-moderne, bourrée d’équipements technologiques surveillant les moindres faits et gestes de ses pensionnaires et réputée inviolable. Nul sentiment, nulle pulsion ne peut échapper à la caméra. Impossible de protéger la moindre intimité.


La prison d’Atlin symbolise ce que ce monde nouveau, hyper-technologique a de plus sophistiqué. Un environnement où tout est pensé, auto-régulé, auto-surveillé grâce à un savant dosage de soins médicaux personnalisés, visant à une intégration harmonieuse des pensionnaires et une surveillance de tous les instants par un système de capteurs et de caméras décelant le moindre mouvement suspect.


Cette prison a été réalisée par un architecte d’origine hollandaise, vivant au Canada.


Cet architecte fait venir à lui un modeste rédacteur français qu’il va charger de rédiger sa biographie. Ce rédacteur va se prendre de passion pour Atlin et Iris, créant ainsi un lien indirect à distance dont nous comprendrons le dénouement à la toute dernière ligne.


Il y a du “The Island” dans le propos et la manière. M. Terence réussit à rendre avec un très grand talent l’atmosphère prévalant dans un centre d’incarcération modèle avec ses règles officielles et ses contournements. Le rythme est fait d’alternance entre brusques accélérations et la langueur monotone des journées au contenu dosé et surveillé.


La façon dont les rapports humains sont décrits est remarquable et l’auteur sait distiller au goutte-à-gouttes un suspense et une tension remarquables.


Quelle est véritablement la relation qu’entretient Iris avec son frère, quel rôle a-t-il joué dans la mort de son beau-frère ? Quel est le lien qui relie, à distance, Iris et le narrateur ?


Grâce à de remarquables descriptions, nous sommes plongés d’emblée dans un univers codé et où il convient de respecter les règles faute de subir une sanction immédiate et dissuasive.


Pourtant, il doit bien exister un moyen de s’échapper ?


Quel rapport entre ce lien et le body-buildisme auquel Iris va se livrer avec passion ? Un univers où la musculature se développe, en environnement carcéral à coups de dosages chimiques massifs car les meilleurs doivent emporter à tout prix les concours nationaux et internationaux afin de renvoyer l’image d’une prison modèle et moderne.


Certes, tout n’est pas parfait dans ce roman original. La deuxième partie traîne parfois un peu en longueur ou manque de profondeur, ici ou là.


Mais, le livre refermé, j’en conserve une image positive, intrigante, bien meilleure en tous cas que la plupart des romans de projection dans notre monde de l’immédiat après-demain blogués jusqu’ici dans Cetalir.


Publié aux Editions Gallimard - 236 pages



12.12.09

L’implacable brutalité du réveil – Pascale Kramer


Les lecteurs assidus de Cetalir savent toute l’admiration que nous avons pour Pascale Kramer. Cette auteure puise son inspiration dans d’implacables surgissements dramatiques qui, tout à coup, font basculer des vies (cf « Les vivants » ou encore « Onze ans plus tard » par exemple). Autant de situations qui entraînent P. Kramer à plonger dans les ressorts intimes de ses personnages, à malaxer toutes les formes de désespoir, de lâcher prise dont résultent des existences le plus souvent vides, ratées à cause de mauvais choix. Autant de récits emprunts de drame, de tension et de tristesse qui sont le terreau de l’auteur. Il en résulte des livres intimistes et sombres mais formellement beaux.

Son dernier roman s’inscrit dans cette lignée à une nuance de taille près. Autant ses écrits précédents prenaient un point de vue egocentrique et introverti, autant « L’implacable brutalité du réveil » emprunte une forme plus classique dans laquelle les dialogues prennent une place inhabituelle dans la production de l’auteure. Voilà qui devrait lui amener un public moins averti d’autant que le livre est mince et se lit donc très rapidement.

C’est de dépression dont il est question dans le dernier roman de Mme Kramer. Plus exactement, du sentiment de vide, de ratage qui peut s’emparer de certaines femmes qui viennent d’accoucher et se trouvent confrontées à une nouvelle existence à laquelle elles sont incapables de faire face par inconscience ou manque de maturité, parfois.

Alissa et Richard forment pourtant un couple apparemment modèle. Ils s’aiment depuis neuf ans, passaient pour le couple le plus sexy du campus universitaire et sont mariés depuis peu. Alissa vient de donner naissance à Uma, une petite fille vorace, colérique et forcément possessive puisqu’entièrement dépendante.

De retour de l’hôpital, Alissa commence à tout remettre en cause, intérieurement du moins, sans jamais l’exprimer autrement que par des actes plus ou moins conscients dont la gravité et l’intensité vont aller croissant avec celles de la crise qui la secoue. Elle abhorre cet appartement pourtant doté d’une piscine extérieure sous les cieux propices d’un état américain ensoleillé. Elle ne comprend pas comment elle a pu se laisser aller à donner vie à une fille pour laquelle elle n’éprouve que ressentiment et détestation de plus en plus forte. Elle n’aime plus son corps qui s’est empâté et lui refuse toute sensation de bien-être. Avoir décidé d’arrêter de travailler lui apparaît depuis comme un non-sens, une alénation. La perspective de vivre toute sa vie avec Richard lui devient un cauchemar dont la réalité va augmenter au fur et à mesure que celui-ci, perturbé par le comportement inexplicable de sa femme et bouleversé par le retour de Jim, mutilé d’une guerre inutile dans un désert où il ne se passe rien, va lui aussi perdre pied.

A cela s’ajoute que la mère d’Alissa lui annonce le divorce d’avec son père, sa liaison décennale avec un Allemand et que la maison familiale, point d’ancrage solide et stable, sera vendue. Alors Alissa va « péter les plombs » et multiplier les attitudes d’exclusion et de rupture car il faut bien chercher inconsciemment à légitimer in fine, rationnellement, une suite d’actes insensés qui ne peut conduire qu’au drame.

P. Kramer excelle à créer en quelques pages un univers d’autant plus dramatique que la normalité devient l’inexplicable, puis l’inexcusable, pour celles et ceux qui sont extérieurs aux tensions, aux pulsions, aux phobies qui agitent les personnages tourmentés qui peuplent ses romans. Pourtant, nous avons trouvé ce livre significativement moins réussi que les précédents comme s’il manquait une certaine lenteur, un facteur temps qui aurait donné plus de densité et d’impact encore à ces vies qui vont inexorablement se broyer.

Publié aux Editions Mercure de France – 2009 - 141 pages

6.12.09

On ne boit pas les rats-kangourou – Estelle Nollet


Un titre étrange, qui retient l’attention, pour un livre assez fascinant qui nous a, par moments, rappelé l’univers étrange, noir et solitaire, perdu en plein désert qu’avait dressé Percival Everett dans « Blessés ». Un beau compliment quand on sait que le livre d’Estelle Nollet est son premier roman !

Que font ces quelques hommes et femmes échoués en plein désert ? Ce hameau de quelques âmes semble avoir été abandonné de tous. Seuls s’y trouvent un bar glauque, repoussant de saleté et où l’alcool semble couler indéfiniment à flot, et une épicerie fournissant l’essentiel. Ces deux commerces sont ravitaillés par des camions venus de nulle part et qui n’acceptent de livrer que si personne ne les voit comme s’ils avaient peur d’être pris à partie et que l’on tentât de s’emparer d’eux pour fuir.

Car chacune des femmes, chacun des hommes apparaît comme reclus dans ce lieu maudit, abruti de soleil, manquant d’eau, isolé du monde. Ils semblent avoir cherché depuis des années la sortie en sillonnant les collines de pierrailles, en s’écorchant les pieds et les âmes pour revenir, toujours, dans ce bar qui cristallise le renoncement et donne à chacun à voir dans celle des autres sa propre infâmante déchéance.

Dans cet enfer(mement) se trouvent deux êtres singuliers qui sont les seuls à n’avoir pas été menés ici car ils y sont nés, à peu de temps d’intervalle. Il y a Willie, 25 ans, qui cherche un sens à une vie qui en est dépourvue depuis qu’il a vu mourir, à dix ans, ses parents dans l’incendie de leur ferme. Il y a Doug, le simple d’esprit, son unique ami, du même âge, fils d’un couple effacé et qui se tient en marge de la bande d’alcooliques qui forme l’essentiel de cette échappée de l’enfer. Un fils qui passe son temps à creuser des trous, béatement, sous un soleil de plomb, pour les faire admirer à Willie.

Alors, un jour, sans crier gare, Willie décide de partir à la recherche des raisons qui font qu’on ne peut s’échapper de ce village maudit, de comprendre en quoi cet emprisonnement physique et mental est porteur, ou non, de sens. Pour cela, il va lui falloir interroger les habitants, un à un, amener à les confesser pour qu’ils acceptent de dire ce qui les a, chacun, menés jusqu’ici.

De beuveries en errance, au fil d’un temps qui n’en finit pas de s’écouler, chacune de ces âmes perdues va laisser apparaître les grandes ou les petites raisons qui font qu’ils ont en quelque sorte renoncé à vivre.

Au fur et à mesure que cette recherche de sens progresse, un climat de tension dramatique s’installe et se densifie. Car Willie ne pourra faire l’économie de comprendre comment et pourquoi ses parents sont morts en même temps qu’il découvrira d’autres morts restées jusque là précieusement cachées. Une quête de vérité qui va petit à petit casser les codes en usage, faire exploser le groupe jusqu’à ce que les conditions d’un drame soient réunies pour finir par éclater.

Du chaos et du sang jaillira l’espoir, le courage de voir les choses autrement que celles aux quelles on s’est résigné. C’est un livre fort, brillamment construit, à la fois pudique et terrifiant, mélange de conte fantastique et de tragédie classique, une sorte de descente dans l’enfer psychique que nous donne Estelle Nollet. Une sacrée réussite qui devrait signer la naissance d’un auteur sur lequel compter.

Publié aux Editions Albin Michel – 2009 – 328 pages

5.12.09

Je m’en vais - Jean Echenoz



Voilà de la littérature solide, bien écrite ! Jean Echenoz est un maître des lettres et sait associer de façon surprenante les mots souvent communs pour en tirer des images d’une force et d’une poésie surprenantes. Quand, en outre, il y injecte un humour décalé, le lecteur passe un moment agréable, servi par une histoire amusante et pleine de rebondissements.


Un galeriste quitte, sans mot dire, son domicile conjugal en laissant les clés sur le meuble de l’entrée. Un départ définitif, la fin d’une vie impossible, à deux. Il se rend, impatient, chez sa maîtresse dont il va, bien vite, se lasser.


De fil en aiguille, le marché de l’art déclinant, les artistes promus se trouvant en manque d’inspiration, il va finir par céder à son assistant à la tenue constamment négligée et qui semble épuisé par la vie. Un incroyable trésor d’antiquités inuïtes est échoué sur la banquise au large du Canada. Il attend, depuis des années, qu’un inventeur se l’accapare et promet fortune immense à qui saura se l’approprier.


Fauché, financièrement parlant, déçu de la vie parisienne, rasé par les conquêtes féminines sans lendemain et sans saveur, notre homme s’embarque pour un périple audacieux dans le grand Nord.


C’est là un des grands moments du livre, d’une incomparable drôlerie dans sa confrontation d’un occidental blasé et revenu de tout et quelques esquimaux un peu poètes, bruts de fonderie, aux moeurs aussi simples que l’ennui qui les habite est profond !


Nous arrêterons là le récit qui connaîtra de nombreux rebondissements et évoluera peu à peu vers une sorte de roman noir à la grande tenue littéraire et à l’humour décapant.


Certes, ce n’est pas un livre qui marquera l’histoire de la littérature, mais c’est un livre bien fait, encore une fois superbement écrit (certaines comparaisons forcent l’admiration !) et où une collection de personnages pittoresques, déglingués par la vie, brinquebalés par des histoires qui finissent toujours par les dépasser évolue dans un ballet très bien orchestré. Un livre où l’ennui qui habitent les personnages est un trait de caractère commun. Mais un ennui professionnel, structurant et poussant à des actions souvent orthogonales à ce que l’on aurait été en droit d’attendre des personnages mis en scène, d’où un humour très anglo-saxon.


Le lecteur, baladé de surprise en surprise, se prend donc à tourner fébrilement les pages, tout en prenant soin de savourer certains passages d’une inventivité littéraire extraordinaire, jusqu’à refermer, repus et heureux, un livre solidement réalisé.


Bref un petit bonheur...


Publié aux Editions de minuit - 253 pages

28.11.09

Les obscures – Chantal Chawaf


Rarement un livre m’aura autant agacé. Il porte en tout cas bien son titre. : le scenario et l’écriture doivent être « les obscures » auxquelles il est fait référence. Mais qu’est-ce que c’est que ce galimatias délirant, sans queue ni tête à vous dégoûter un lecteur prêt à pardonner beaucoup. On dirait que Madame Chawaf a recherché avec détermination et ingéniosité les différents moyens de se débarrasser de celles et ceux qui auraient réussi à digérer un fatras de stupidités. Il y est parvenue !

Je suis franchement révolté qu’un tel tissu de pédanterie littéraire anéanti dans un récit perdu au milieu de nulle part puisse trouver un éditeur compatissant !

L’histoire de cette femme larguée par son mari après moins d’un an de mariage parce que, si je lis bien entre les lignes, elle ne mouille pas est d’une navrante bêtise. Nous assommer de soixante pages de délires sexuels en s’imaginant grenouille fécondée par une multitude de crapauds inondant béatement ses femelles reconnaissantes d’une fontaine de sperme dans une nature idyllique est tout simplement ahurissant de mauvais goût.

Je ne peux résister de vous citer quelques lignes de ces c…., histoire de m’assurer que vous fuirez au loin de ce parangon de l’anti-littérature.

« Jours de folie ! Inceste avec le limon des coteaux, les blocs de grès de la forêt, le fumier maraîcher, la tourbe, les vallées, avec la mère nature. Enclave de respiration, de libération. Inceste avec l’avoine, grise, l’avoine noire, l’avoine jaune, barbue, rouge, inceste avec la sécheresse caillouteuse du Gâtinais…. ». J’arrête là, vous aurez compris.

N’IMPORTE QUOI !

Honteusement publié aux Editions des femmes Antoinette Fouque – 2008 – 194 pages.

27.11.09

Les chaussures italiennes – Henning Mankell


Il est des livres qui, d’emblée, sortent de l’ordinaire et laissent une trace durable dans l’esprit d’un boulimique de lecture comme moi. Par l’originalité de son thème, sa tonalité mélancolique mais fulgurée de pointes d’optimisme ici ou là, l’extrême précision psychologique des personnages à la dérive et qui ont perdu leurs plus profondes attaches, la qualité de son écriture, « Les chaussures italiennes » s’imposent comme une de mes découvertes majeures de l’année 2009.

Le thème récurrent qui sous-tend l’œuvre est celui de la recherche de soi ou comment l’amour, sous toutes ses formes mais toujours pudiquement ici, souvent à la frontière du simple souci de l’autre, peut recréer du lien social, des attaches affectives fondamentales pour des personnages qui, pour des raisons différentes, sont en rupture de la société, condamnés à la solitude, l’incompréhension, la violence ou la mort. Ou comment un évènement fortuit, une rencontre non sollicitée, une découverte inattendue peut transformer une vie d’ombres et de désespoir un des univers possibles qui amènent à se reconsidérer soi-même, à envisager de donner du sens à une vie qui n’en avait plus guère.

Or, et c’est la force de ce roman, l’auteur sait ne pas tomber dans le pathos, le tragique ou l’hypertrophie face à des thèmes aussi lourds. Au contraire, une écriture maîtrisée fondée sur les nuances, les infimes variations du quotidien, la vertu de laisser au temps le soin de donner et prendre du sens font du livre un récit aux profondes racines, puissant sans ostentation, souvent bouleversant.

Un homme de soixante cinq ans vit seul sur une île de la Baltique simplement accompagné d’un vieux chat, d’un chien souffreteux et d’une fourmilière géante qu’il a laissé s’installer depuis dix ans dans son salon déserté. Il vit reclus là, simplement visité d’un facteur que la présence de cet ancien chirurgien, retiré du monde et de lui-même, conforte à ce que cet employé des postes se considère comme un éternel malade imaginaire. L’activité principale de l’habitant solitaire îlien consiste à creuser un trou dans la glace de la mer et à s’y plonger, en un geste de catharsis symbolique et douloureux.

Soudainement, la vie de cet homme va basculer lorsque, Hariett, une femme qu’il a aimée trente ans plus tôt et qu’il a abandonnée sans explication, lâchement, va surgir inopinément. Hariett est en phase terminale d’un cancer et vient solder une existence entachée d’un lourd secret.

A partir de cette survenue, notre homme va devoir quitter son île, partir à la quête de souvenirs profondément enfouis dans les forêts enneigées d’une Suède glaciale et solitaire, accepter d’être ce qu’il ne pouvait imaginer être en faisant une découverte capitale. Par la magie de rencontres que nous vous laisserons le soin de découvrir et parce que celles-ci vont lui donner la force de sortir de sa réclusion volontaire, il va alors entreprendre une démarche de repentance envers une patiente dont il a brisé la vie, suite à une erreur médicale. Une démarche qui, à nouveau, va lui ouvrir les yeux sur des misères, des terreurs et des horreurs bien plus profondes que les siennes propres et, peu à peu, l’obliger à prendre conscience de la fatuité de son isolement jusqu’à redonner un sens à une vie qui était dans une impasse totale.

Chaque personnage est porteur d’une souffrance particulière qui a besoin d’un autre, d’actes souvent incompréhensibles au premier abord pour s’exprimer et devenir, plus ou moins, supportable. C’est de la combinaison de ces maux, de la juxtaposition des chemins ne menant nulle part de tous ces personnages que sortira un avenir positif redevenu possible parce que ceux qui auront survécu auront su accepter de s’assumer.

Un livre rare et magnifique.

Publié aux Editions Seuil – 2009 – 341 pages

18.11.09

La vérité sur Marie – Jean-Philippe Toussaint


Voilà un roman coup de poing, hallucinatoire, qui vous prend aux tripes et ne vous lâche plus. Bâti sur un rythme endiablé, reposant sur une écriture d’une éblouissante précision et dotée d’un pouvoir de séduction extraordinaire, ce roman s’impose comme l’une des œuvres majeures de la rentrée littéraire 2009. Il fut d’ailleurs très justement récompensé par le « Prix Décembre » (qu’on avait parfois connu moins inspiré…).

C’est une forme de malédiction qui semble coller aux basques de Marie, jeune femme aux multiples et troublantes facettes qui font d’elle un personnage énigmatique, déroutant et donc attirant. Une malédiction construite en trois chapitres clairement distincts, décalés dans le temps, comme autant de chemins de traverse à suivre pour découvrir la vérité sur cette femme fragile, sous des apparences trompeusement décidées, qu’est Marie.

Le premier chapitre est en soi une véritable prouesse littéraire. Marie, jolie trentenaire qui vient de se séparer de son compagnon au retour d’un voyage au Japon, vient de faire l’amour avec un homme proche de la cinquantaine. Ecrasée par un été parisien étouffant, la ville cède à un orage dantesque. Soudainement, l’amant s’effondre victime d’une crise cardiaque. C’est à la mort en direct de cet inconnu que nous allons assister sans qu’aucun détail ne nous soit épargné, avec un luxe de précision et un style qui rend de façon haletante l’urgence des gestes et la détresse d’une Marie qui n’a pas d’autre recours que d’appeler à l’aide son ancien compagnon. Le chapitre se conclut sur un étrange et troublant rapprochement de deux êtres qu’on devine tourmentés et encore passionnément attachés l’un à l’autre. Un climat de mystère s’est installé.

Sans transition s’ouvre un deuxième chapitre qui se déroule quelques mois plus tôt. Nous découvrons la rencontre de Marie et de celui qui allait devenir son amant et allons assister à une nouvelle scène de folie. Elle est tout aussi brillamment exécutée que la première et, comme elle, se déroule de nuit, sous un nouvel orage diluvien qui inonde les pistes de l’aéroport Narita à Tokyo. L’amant, éleveur de chevaux de son état, va devoir lutter avec un étalon qui refuse d’embarquer dans le box de chargement et qui, pris de folie, va partir en un galop de légende et au plus profond de la nuit zébrée d’éclairs sur les pistes d’un aéroport aussitôt transformée en enclos de rodéo. On croit que la tension va alors retomber, une fois l’animal capturé, mais JP. Toussaint se lance alors dans une nouvelle épopée associée au récit d’un voyage en soute mémorable et éprouvant pour les nerfs. Fin du chapitre. Un moment de littérature éblouissant et absolument saisissant, qui prend aux tripes.

Le troisième chapitre nous montre Marie, quelque temps plus tard, dans sa petite maison de l’île d’Elbe. Elle y est seule s’occupant de remettre de l’ordre dans un jardin torturé et en s’occupant des chevaux que lui a laissés son père à sa mort. Le compagnon narrateur refait une apparition inattendue. Un jeu trouble de séduction réciproque, jamais consommée, suggestive et insupportable commence. Les conditions sont alors de nouveau réunies pour nous projeter dans une nouvelle scène infernale où un incendie de chaleur se déclenche nuitamment. Une nuit qui hante décidément JP. Toussaint et qui se pose comme autant d’inévitables transitions vers un ailleurs inconnu et inattendu. Là encore, l’auteur sait happer des lecteurs conquis et les plonger au cœur même de la destruction inexorable qui est à l’œuvre.

Trois chapitres pour dire la perte d’un amour, le désir de l’autre toujours présent, et un jeu complexe de séduction qui ne peut progresser que dans le drame que semble déclencher Marie malgré elle. Trois chapitres d’une remarquable densité et d’une maîtrise stylistique devenue rare. Un jeu brillant déroulé sur un rythme effréné, aux confins de l'hallucination.

On en sort abasourdi, enthousiaste aussi et en concluant qu’un grand, très grand livre, est né !

Publié aux Editions de Minuit – 2009 – 205 pages

13.11.09

L’annonce – Marie-Hélène Lafon


Le Cantal est un pays qui ne se laisse pas aborder facilement. Les hivers y sont profondément enneigés, éperdus d’un épais silence ouateux, les étés écrasés de chaleur, embaumés par l’explosion haletante des senteurs et des couleurs. Un pays aux racines agricoles où l’isolement et la solitude semblent la règle. Un pays aux fermes isolées, à l’esprit de canton et à la merci d’une météo maîtresse femme.

C’est dans cette région rude que vit, replié sur soi, un quatuor de figures. Il y a Paul, 46 ans, agriculteur à la tête de 26 hectares pentus et arides, ses deux oncles vaillants et secs octogénaires avec lesquels il a du lutter pour prendre le pouvoir de l’exploitation et sa sœur, Nicole, qui règne en cuisinière et lingère lorsqu’elle n’est pas à vaquer sur les routes pour apporter un soin attentif et attendu à une collection de personnes âgées et percluses de solitude. Tous vivent seuls, à l’abri des passions et des tentations, dans un dénuement et une simplicité essentiels.

Mais Paul n’en peut plus d’un célibat forcé et se remet avec difficulté d’une première histoire d’amour qui a mal tourné dix ans auparavant. Contre l’avis du clan, il va passer une petite annonce en vue de rechercher une compagne qui l’acceptera, lui, sa garde familiale rapprochée et la terre lointaine sur laquelle et de laquelle il vit.

Après l’épreuve sélective des coups de fil et de deux rencontres furtives dans la ville de Nevers, fantomatique et pluvieuse, Annette et son fils Eric débarqueront avec armes et bagages pour venir s’installer et commencer une nouvelle vie. Venus du Nord, du plat pays de Bailleul, le choc est rude mais Annette et Eric, chacun à leur manière, ont bien décidé de trouver leurs racines, de recommencer à vivre en se remettant des profondes blessures infligées par un compagnon et père alcoolique, violent et incontrôlable.

Usant d’une langue d’une incroyable profondeur, à la sublime lenteur, parcourue d’adjectifs fulgurants et précis, Marie-Hélène LAFON entraîne son lecteur au cœur même de ses six personnages, de leur quotidienneté, de leur long apprentissage à devoir vivre ensemble dans un contexte où les antiques distributions des tâches et des rôles se trouvent alors remis en cause.

On est subjugué par ces petits gestes, ces regards, ces sous-entendus qui, lentement, à l’image du temps qui se déroule là-bas, font que les uns et les autres vont s’apprivoiser et, peut-être, finir par s’aimer. Le livre s’achève en laissant ouverte toute conclusion même si l’on comprend que les plantes déracinées et transplantées ont fini par venir à bout de ce micro-climat si particulier dans ce hameau perdu du Cantal.

Il en résulte un livre magnifique, poignant et plein d’espoir. Un livre qui fut justement récompensé du Prix Page des Libraires 2009.

Publié aux Editions Buchet-Castel – 2009 – 196 pages

11.11.09

Le dernier train - Maria Mercé Roca



Si vous ne connaissez toujours pas la littérature espagnole contemporaine, malgré mes exhortations sur Cetalir, voici une nouvelle opportunité à découvrir du côté de la Castille.


Ce roman est d’une sensibilité intensément féminine et touche profondément tout lecteur ayant un peu vécu, connu des histoires amoureuses qui se sont plus ou moins bien terminées.


La structure en est simple. Trois parties.


Premièrement, une femme, proche de la cinquantaine, avocate spécialisée dans les négociations et les dossiers difficiles, se livre à une analyse de là où se trouve son couple. Après 26 ans de vie commune, elle n’est plus amoureuse de son mari dont elle donne une description sans complaisance.


Celle d’un homme assez égoïste, peu à l’écoute de l’autre, d’un être qui vogue d’échec en échec professionnel, engloutissant au passage toutes les économies familiales dans d’impossibles projets.


Elle ne sait plus comment elle a pu tomber amoureuse mais elle lui reste attachée, par habitude, par souci de materner d’autant que son homme a connu une grave attaque cardiaque et a tué, par accident, un homme un jour de chasse au sanglier.


Au fond, elle se rend compte que c’est ce besoin in contrôlable de protection régentée qui lui rend la vie à deux encore souhaitable, souhaitée et poursuivie alors que son mari est devenu incapable de la satisfaire sexuellement parlant du fait des médicaments qu’il prend à vie.


Deuxièmement, le mari, cinquantenaire qui n’a rien réussi dans sa vie et qui se livre à une analyse amère de son existence.


Une épouse dure, nourricière mais quasi dictatoriale, une femme qui ne lui laisse que peu d’espace de respiration, une femme d’affaires qui mène son couple comme elle mène ses affaires, allant à l’essentiel, plus soucieuse du résultat que des sentiments.


Une épouse, cependant, dont il reconnaît les multiples qualités et l’infini dévouement dont elle a su faire preuve lorsqu’il fut terrassé par son accident cardiaque et totalement déprimé, après avoir tué accidentellement un homme, il y a si longtemps, ce fameux jour de chasse au sanglier.


Un père déçu par sa fille qui fut un sujet constant de désaccord avec son épouse tant est si bien qu’elle a fini par s’enfuir avec le premier venu.


Mais aussi, et surtout, un homme qui se remet à prendre goût à la vie après avoir rencontré, miraculeusement sans s’y attendre, une femme dont il est tombé profondément amoureux et qui est sa maîtresse depuis 8 mois.


Une femme qui l’aime et qu’il peut en retour aimer car elle a profondément besoin d’être protégée, entourée, cajolée après l’ablation d’un sein qui a conduit son mari à divorcer, ne pouvant plus supporter l’image de cette mutilation.


Alors, voilà, n’aimant plus son épouse qu’il voit comme tyrannique, il décide de la quitter et doit lui annoncer ce soir.


Troisièmement, l’annonce de la décision et son dénouement, sobrement et superbement pis en scène.


Car ce roman est finalement écrit comme une pièce de théâtre, mais un théâtre sans dialogues. un théâtre où deux longs monologues se complètent et se superposent, donnant à voir des scènes et des thèmes identiques mais pris sous des angles et des points de vue radicalement différents, si différents qu’ils finissent par rendre tout compromis impossible.


La force de la troisième partie est de faire intervenir un tiers narrateur qui se met à l’intérieur de la tête de chacun des protagonistes et décrit, avec précision, l’émotion qui s’empare de chacun des deux époux au fur et à mesure que quelques paroles, très peu, sont échangées.


C’est le langage corporel et la progression de la pensée et de l’émotion qui vont finir par faire exploser la crise.


Un roman d’une rare finesse, d’une grande profondeur psychologique et qui se passe intégralement à l’intérieur de la tête des deux époux.


Impossible à tout lecteur un peu mûr de ne pas se reconnaître à un moment ou un autre...


Hautement recommandé par Cetalir !


Publié aux Editions Métalié - 173 pages

5.11.09

L’Arabe – Antoine Audouard


Le racisme et l’ostracisme au quotidien constituent le sujet du dernier roman d’Antoine Audouard. Avec beaucoup de pudeur et une intensité quasi insoutenable lorsque viennent les moments d’horreur, l’auteur nous donne à voir la bêtise et la méchanceté humaines dans ce qu’elles ont de plus crues, nous faisant descendre dans les égouts nauséabonds des idées préconçues, des paroles bientôt suivies d’actes qui ne reposent sur rien d’autre que des préjugés.

Le roman se déroule dans une petite bourgade du Sud de la France, le long du Rhône, pas très loin de Marseille. Un Arabe débarque sans prévenir dans cette petite cité composée exclusivement de blancs issus de la classe ouvrière ou de la petite bourgeoisie. Le Maghrébin a été envoyé par le frère, curé de son état, du patron de la gravière locale pour des raisons que nous découvrirons plus tard dans le roman. Il vient renforcer une petite équipe constituée principalement de rustres et d’une jeune femme solitaire et rebelle qui vit seule dans une grande maison sans chauffage en lisière de la gravière.

L’Arabe qui n’a pas de logement sera recueilli par Jules, un homme qui, derrière son mauvais caractère apparent, cache une réelle générosité et va se prendre d’amitié pour l’occupant de sa cave qui a aussi décidé de redonner vie à un jardin qui partait à l’abandon. L’Arabe, silencieux et travailleur, trouve rapidement sa place dans son milieu professionnel.

Mais, soudain, le drame va frapper la bourgade avec l’assassinat de la fille de la voisine de Jules. Bien qu’immédiatement reconnu par le mari alcoolique et violent, le meurtre ne peut trouver son origine, pour la mère stupide et obèse de la victime, que dans la présence de l’intrus indésirable parce que différent. Immédiatement interpelé et mis en garde à vue, la vie de l’Arabe va alors basculer dans un enfer car, même s’il ne tarde pas à être libéré, son histoire familiale va se trouver affichée au grand jour et le faire passer, à tort, pour un complice d’Al Qaida.

Menée par la voisine odieuse et vengeresse, un complot va s’ourdir qui vise à se débarrasser à tout prix d’un Arabe qui ne peut que constituer un danger malgré toutes les évidences contraires. Un complot qui entrainera les plus faibles, les plus stupides et les plus conformistes, sans exception.

Les mécanismes de la vindicte populaire, de la haine irréfléchie, de la machine policière qui se met en route malgré la présence d’esprit d’un inspecteur circonspect et humain, sont particulièrement bien analysés et font bien comprendre en quoi le racisme, s’il n’est pas tué dans l’œuf, est porteur de danger mortel. Quand l’alcoolisme et l’atavisme sont en outre à l’œuvre, il ne peut qu’en résulter des désastres complets et irréparables.

L’Arabe constitue une trame idéale pour un film typique du cinéma français. Gageons que nous devrions le voir porter sur les écrans d’ici quelque temps…

Publié aux Editions de l’Olivier – 260 pages

31.10.09

Tous les hommes sont menteurs – Alberto Manguel


Je faisais la découverte d’Alberto Manguel à travers ce roman récemment publié. Manguel, récompensé par un Prix Médicis Essais en 1998, est Argentin. C’est un être cosmopolite et à multiples facettes, vivant en France depuis de nombreuses années, écrivant habituellement en Anglais et ayant décidé, exceptionnellement, de recourir à l’Espagnol pour accoucher de ce dernier roman.

Manguel fait partie de ces écrivains qui aiment écrire sur l’écriture (comme De Prada ou Jaenada pour prendre deux figures que tout oppose !) et mettent en scène l’homme d’écriture qui se raconte ou promène le lecteur dans les affres de la composition. Attention, ce n’est jamais pompeux, toujours subtilement élaboré, un brin moqueur voire légèrement autocritique.

« Tous les hommes sont menteurs » illustre parfaitement cette tendance tout en se situant volontairement à la croisée de trois chemins : l’intrigue policière, le récit journalistique et la réflexion sur le métier et la fonction d’écrire. Sacrifiant à une tendance de plus en plus forte depuis quelques années, le récit emprunte également une sorte de psalmodie dans laquelle plusieurs personnes (un ami qui se dit très proche, son épouse, son compagnon de cellule au pire moment de la dictature militaire argentine, son éditeur et enfin, celui qui sait tout sur sa mort) vont tenter d’expliquer à un certain Terradillos, journaliste de son état, qui était Alejandro Belivacqua que l’on vient de retrouver mort, le crâne fracassé sur un trottoir.

Bien évidemment, comme dans la vie réelle, chacun des épistoliers a une vision bien trempée du personnage, vision qui présente plus de disjonctions que d’intersections avec celle donnée par le ou les précédents narrateurs.

A la façon d’une enquête policière qui vise à tracer le profil psychologique de la victime pour trouver qui aurait pu lui vouloir du mal au point de le tuer, nous allons naviguer dans le temps et découvrir le personnage terne de Belavicqua. Un homme ordinaire, commetteur de romans-photo populaires, balloté par l’Histoire, victime collatérale de la junte militaire, expulsé malgré lui en Espagne, victime de ses passions amoureuses et auteur apocryphe putatif d’un mystérieux roman qui devint un best-seller dès sa parution.

Comment un tel livre peut-il être l’œuvre d’un personnage si terne ? Quels sont les ressorts de la création littéraire ? Qui est vraiment l’auteur de ce livre ? Qu’est-ce qui fait le succès littéraire ? Ce sont autant de questions que Manguel, qui se met en scène lui-même jusqu’à donner son identité même à l’un des narrateurs, traite avec délectation et brio dans ce petit opuscule.

On savoure la prouesse sans toutefois être emporté par un récit dont l’issue était largement prédictible. C’est ce qui en fait la limite.

Publié aux Editions Actes Sud – 2009 – 200 pages

23.10.09

Le cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates – Mary Ann Shafer & Annie Barrows


Publié il y a quelques mois, ce livre fut (et continue d’être) un étonnant succès de librairie, objet de diverses louanges.

Pourtant, nous ne nous joindrons pas au chœur laudatif tant ce livre nous a laissé sur notre faim. Le livre fut publié en 2008 aux USA peu après le décès de M.A. Shaffer, ex bibliothécaire de son état. Celle-ci fut assistée par sa nièce, A. Barrows, elle-même auteur de livres pour enfants, pour concocter cet ovni littéraire. Il est écrit clairement par deux amoureuses des livres, aux références solides, doublées d’un brin d’originalité.

On appréciera ainsi la fantaisie des personnages mis en scène et l’understatement si caractéristique de l’humour anglo-saxon qui nous ont arraché, ici et là, quelques timides sourires. Pour autant, nous avouons avoir éprouvé la plus grande difficulté à entrer dans ce roman épistolaire qui ne commence vraiment à trouver son rythme qu’une fois la première moitié achevée. Bref, l’ennui ne fut pas loin de nous guetter avec une agaçante fréquence…

Le thème en est relativement simple. Juliet, écrivain trentenaire vivant à Londres, est en mal d’inspiration. Nous sommes dans l’immédiat après-guerre et Juliet a tout perdu lors d’un bombardement à distance de Londres. Son appartement n’est plus que décombres, ses chers livres, poussières, ses repères éliminés. Elle loge dans un minable petit appartement où elle n’est pas à l’aise et se morfond.

Parce qu’un inconnu résidant à Guernesey lui adresse une lettre en ayant découvert son identité sur un livre acheté d’occasion et qui lui avait appartenu, elle va se mettre à entretenir une correspondance abondante avec une kyrielle d’habitants ayant tous appartenu au cercle littéraire des amateurs de tourtes aux épluchures de patates. Un cercle destiné à tromper l’occupant allemand et où une collection de paysans va peu à peu s’éprendre d’auteurs classiques et tromper la faim, l’ennui, le froid provoqués par la guerre.

Peu à peu, cette correspondance va la faire pénétrer dans l’intimité de familles malmenées par la guerre et soumises à une occupation de plus en plus brutale de l’île.

Poursuivie des assiduités d’un entreprenant éditeur américain, elle va finir par rejoindre l’ile de Guernesey pour faire connaissance de ses correspondants et tenter de lever certains secrets ou fils perdus.

Le livre repose sur une succession de lettres entre les divers protagonistes. Elles s’entrecroisent, donnent parfois différentes interprétations ou versions d’un même événement, traduisent l‘état d’esprit de celles et ceux qui les écrivent puis y répondent. S’entrecroisent des histoires d’amour et des tragédies humaines que la guerre a inévitablement entrainées.

Au final, on aura apprécié une construction assez solide renforcée par une bonne dose d’autodérision, un authentique amour pour les verts pâturages de Guernesey et ses habitants simples, mais il aura manqué un souffle, un allant pour que nous adhérions à ce premier (et dernier) roman de M.A. Shafer.

Publié aux Editions NIL – 391 pages

16.10.09

Amour dans une vallée enchantée – Anyi Wang


Anyi Wang, née en 1954, est une femme écrivain chinoise qui a été récompensée par plusieurs distinctions littéraires en son pays.

« Amour dans une vallée » est un roman sensible, tout en nuances, très féminin et dans lequel la seule action est quasiment celle des pensées qui agitent les deux personnages principaux du livre. C’est donc un roman profondément intimiste et d’un romantisme presque classique. Si vous détestez le genre, alors vous vous y ennuierez, autant le savoir par avance…

Une jeune femme qui travaille dans une maison d’édition chinoise s’ennuie profondément dans son mariage routinier. Son mari n’a pour elle plus aucune surprise à lui offrir, elle se demande pourquoi elle a bien pu l’épouser et le harcèle de reproches souvent injustes et qui ne font que cacher son profond désespoir de ne pouvoir échapper à une vie monotone.

Envoyée sans prévenir dans un colloque d’écrivains chinois dans la province montagneuse et bucolique de Lushan, elle va faire la connaissance d’un jeune écrivain chinois. Une fascination réciproque va bientôt s’emparer de ces deux personnages un peu à la dérive.

Commence alors une histoire d’amour platonique et dans laquelle très peu de paroles sont échangées. Seuls comptent les regards, les petits gestes, les attentions indétectables par les autres et qui témoignent de leur amour impossible. Dix jours passeront ainsi, en espoir, en renoncement, en attente d’un lendemain ailleurs.

Puis la vie monotone reprendra ses droits et ne laissera surnager que quelques images chéries qui permettront de supporter une vie terne.

Pour ma part, n’étant pas du genre romantique, je dois avouer m’être ennuyé ferme dans ce récit par ailleurs bien écrit et superbement traduit. Un livre qui convient probablement plus à un public féminin.

Publié aux Editions Philippe Picquier – 2008 – 147 pages

12.10.09

Black bazar – Alain Mabanckou


Reprenant le thème du gros succès littéraire objet de multiples récompenses que fut son précédent roman « Verre cassé », Mabanckou fait du Mabanckou.

Et c’est bien là le hic… Moins inspiré, moins explosif et caustique, moins abouti que « Verre cassé », « Black bazar » ne pourra éventuellement séduire que les lecteurs qui découvriraient l’auteur avec cette dernière production. Pour les autres, dont je suis, ils resteront clairement sur leur faim.

Certes, le roman est toujours bien écrit et Mabanckou sait toujours autant jouer avec les mots en se moquant gentiment des surprenantes aberrations sexistes de la langue française.

Mais l’histoire de ce Congolais échoué dans les quartiers chauds de Paris et qui vient de se faire larguer par son ex, repartie avec leur fils putatif en compagnie d’un charmeur joueur de tam-tam au pays, ressemble trop à « Verre cassé ».

Comme dans le précédent roman, notre homme passe un temps non négligeable au bistrot avec une bande de potes accros à la Pelforth et qui ont une vision raciste inversée du monde, l’objectif étant de faire payer aux blondes et rousses françaises le prix de la colonisation. Comme dans son succès précédent, les présidents africains à vie et leur cohorte à leur solde en prennent pour leur grade. Comme dans « Verre cassé », l’auteur tente d’exorciser sa misère dans l’écriture et il se met à nous conter sa vie de Noir en terre de France.

Une vie qui condamne aux petits boulots, à vivre dans des logements sociaux minuscules et au confort sommaire. Une vie qui met aux prises d’un racisme ordinaire, ou plus rigolo, d’un voisin de palier antillais qui n’accepte pas sa négritude.

Mais aussi une vie d’homme obnubilé par « la face B des femmes », comprenez leur derrière tentateur et enchanteur qui permet de détecter d’un coup d’œil le côté explosif ou non, au lit s’entend, de la dame. Un regard porté au rang d’art et qui vaut à notre personnage le surnom de « fessologue ».

Bref, il existe quelques traits amusants et choisis mais cela ne tire pas le roman d’une forme d’auto plagiat regrettable.

Publié aux Editions Seuil – 2009 – 247 pages

10.10.09

Plein été - Colette Fellous

Première rencontre, pour ma part, avec cette auteur en vogue. Sentiment mitigé au bout du compte.


Colette Fellous nous mène ici au coeur de plusieurs étés qui ont compté pour elle sous la forme d’un journal intime, non linéaire et dont les pages se remplissent au fur et à mesure qu’un souvenir en appelle un autre. D’où un style forcément décousu et qui peut dérouter.


Ces étés sont ceux de son enfance, à Tunis, rassemblés autour de la nombreuse fratrie et de parents aimants, même s’ils ne s’aimaient plus entre eux. Des étés brûlants où une petite fille découvrait peu à peu ce que grandir signifiait en particulier d’une fait d’une mère en proie à des troubles neurologiques graves qui vont finir par l’emporter jeune et la laisser orpheline.


Des étés où, peu à peu, l’amour se laisse découvrir même si, blocage oblige, certains souvenirs particuliers ont été occultés par une mémoire sélective comme ce qui s’est réellement passé avec ce bel Amor, plus âgé que la petite Colette, et qui a enflammé son coeur et son corps le temps d’un été sans que l’auteur ne sache très bien jusqu’où la frontière n’a pas été franchie.


Il existe de très belles pages dans ce récit de souvenirs comme celles inspirées par les “joueurs de cartes” dont une reproduction meublait le corridor familial, la quête de la maison où la mère fit ses premiers pas et où mettre les siens propres dans ceux de l’être aimée et disparue fait naître un vertige, une fuite du temps.


Il convient de se laisser porter par la non linéarité du récit, par la poésie et la chaleur qui l’habitent pour l’apprécier pour ce qu’il est: une opportunité de nous donner à comprendre, un peu, qui est l’auteur et ce qui l’habite ou la hante.


Publié aux Editions Gallimard - 159 pages

2.10.09

La langue maternelle - Vassilis Alexakis



Ou bien les romans confiés à la sagacité du jury Médicis étaient d’une bien piètre pauvreté, ou bien les membres de cette auguste assemblée ont obéi à un schéma qui, je l’avoue, m’échappe. Toujours est-il que ce prix Médicis 1995 est un roman raté.


Raté par un style ampoulé, alambiqué à souhait et qui se veut souvent érudit mais dont le résultat n’est que d’endormir un peu plus un lecteur qui se demande quand ce périple assommant va bien prendre fin.


Raté par l’incapacité à servir une bien haute ambition dans le thème abordé. Allons donc au fait.


Un émigré grec, dessinateur humoristique pour le compte de grands journaux parisiens, revient au pays après la chute du régime des colonels.


Il y redécouvre sa famille, ses racines, ses souvenirs d’enfance grâce à un frère malheureux en amour et un père, conteur d’histoires pour le gynécée qui l’entoure et malgré tout en proie à des phobies annonciatrices d’un gâtisme avancé. Jusque là, tout va bien.


Là où le roman se met à déraper, c’est lorsque notre émigré, dont le nom (comme celui de l’auteur), ne contient aucun E se met en quête de vouloir comprendre la signification de l’Epsilon qui trônait au-dessus de l’entrée du temple de la pythie à Delphes.


Un mystère non éclairci et qui va conduire notre émigré en mal de pays à un périple désordonné, hasardeux, fait de rencontres plus ou moins cocasses afin d’élaborer une théorie qui en vaudra une autre.


Il y a du bon dans le roman comme l’idée de jeter dans un carnet de voyage un mot, glané au fil du périple, par page commençant par Epsilon et de voir quelle histoire va en sortir. Du bon encore dans l’ambiance des soirées rythmées par l’ouzo, le plaisir de la drague qui sont assez bien rendus.


Mais le récit dérape le plus souvent dans d’ineffables langueurs, une somme de conjectures où l’on se perd sans tarder. Les références à l’antiquité sont difficilement maîtrisées et surtout injectées sans talents, brutes de fonderie et finissent d’assommer le lecteur pourtant docile que je fus.


Au total, je n’avais qu’une hâte, celle d’en finir avec ce roman disons-le, carrément raté. A éviter donc ! Vous trouverez bien d’autres suggestions de lectures passionnantes dans Cetalir pour ne pas perdre votre temps avec celui-ci.


Publié aux Editions Fayard - 313 pages


24.9.09

Arlington Park - Rachel Cusk



Autant l’avouer tout de go, ce livre m’a rasé. En venir à bout fut une véritable punition et ce n’est que motivé par la résolution de commettre ma note de lecture que je ne l’ai pas refermé avant le mot fin...


Rachel Cusk nous emmène sans talent dans une chic banlieue londonienne. Une banlieue où les maris travaillent, ont en général une belle situation et une belle maison. Une banlieue où les femmes sont des épouses et des mères qui se sont sacrifiées pour la réussite du mâle dominant. Une banlieue où l’on s’ennuie ferme derrière un écrin chic et vert. Où les femmes et mères se réunissent autour d’une tasse de thé pour imaginer comment peupler la vacuité de leurs journées.


A croire qu’il n’y a que des déprimées parmi ces trentenaires. Des déçues de l’amour qui ne savent plus pourquoi elles partagent un peu de la vie d’un homme qui leur est devenu inconnu, pourquoi elles doivent s’occuper du linge sale, de la cuisine et des enfants. Un monde de la non communication au sein des couples en crise et où l’alcool coule abondamment pour rendre l’existence moins triste et vide.


Un monde sans espoir, sans perspectives, d’esclavage moderne et où l’argent est censé rendre le vide plus plein...


Le seul talent de l’auteur est d’arriver à imaginer de multiples variations sur le même thème pendant près de 300 pages.


Le reste n’est que lieux communs, propos vides, considérations sans intérêt. Bref, à fuir... Une déception rare chez cet éditeur dénicheur de talents.


Publié aux Editions de l’Olivier - 292 pages

17.9.09

Le septième voile – Juan Manuel de Prada


Si vous avez lu mes deux notes sur Cetalir sur le magistral recueil de nouvelles « Le silence du patineur » et le fascinant roman « La vie invisible », vous savez alors mon admiration inconditionnelle pour ce jeune auteur trentenaire espagnol.

Sa dernière production, « Le septième voile », n’entame en aucune manière le respect que j’éprouve envers de Prada, bien au contraire. Ce jeune homme est un magicien des mots. Il manie la langue avec une hardiesse dans les images, un souci du vocabulaire, un recours subtil aux mots inusités, une syntaxe et une grammaire éblouissantes qu’on ne trouve presque plus dans l’écriture contemporaine. C’est simple, de Prada est le Victor Hugo moderne, version espagnole. Un Victor Hugo qui n’a pas froid aux yeux, prêt à s’attaquer aux institutions, aux tabous, aux secrets malsains.

« Le septième voile » est en effet une analyse détaillée, sans concession, mise au service d’une fresque romanesque dense, des jeux de pouvoir déchirant l’Allemagne nazie occupant la France, la résistance écartelée entre un communisme stalinien et les accents patriotiques gaullistes, les collabos français pressés de s’enrichir et l’Espagne franquiste obligée de pactiser avec les Américains pour tenter de sauver sa peau avant qu’il ne soit trop tard.

Nous découvrons au passage le comportement abominable qu’eut le régime franquiste envers les Catalans et les Juifs, pages sombres de l’Histoire que notre système éducatif se garde bien de nous enseigner.

Le fil conducteur de ce très épais roman est la recherche du père et de sa propre identité. Le roman s’ouvre sur un prologue de cinquante pages où le narrateur, professeur de littérature d’âge mûr, après avoir perdu sa jeune épouse dans un accident de voiture en apprenant au passage qu’elle était enceinte, ce qu’elle lui avait caché, apprend le décès de sa mère. Son père, brisé par l’émotion, lui révèle alors qu’il n’est pas son vrai père. Le prologue se termine sur une phrase sublime, caractéristique du style de de Prada : « Le monde était une nuit sans faille. J’entendais autour de moi la pullulation du néant, teigne prête à pondre. » (p 48).

Commence alors une longue enquête à la recherche du père. Grâce à un vieux prêtre jésuite très anticonformiste, notre homme va peu à peu découvrir qui fut son père et poursuivre une enquête à la recherche d’une vérité troublante.

Son père fut recueilli dans un cirque ambulant financé par le MI6 pour faire passer des Juifs au Pays Basque. Blessé à la tête, à demi-mort, opéré par un chirurgien devenu jongleur, notre homme va revenir peu à peu à la vie, amnésique et devenir un magicien surdoué. Reconnu par un des chefs de la résistance, une fois la guerre presque terminée, il va découvrir qu’il fut lui-même un héros connu sous le nom d’Houdini dont il veut comprendre les faits et la motivation.

Obsédé par la recherche de son identité, devenu fou par paranoïa, survivant dans des conditions sordides une fois la guerre achevée, il va disparaître sans laisser de traces et mener à son tour, des années plus tard, sa propre enquête tout en laissant sa compagne enceinte. Il découvrira que derrière le héros se cache un homme qui fut broyé par la machine de l’Histoire, manipulé par des courants beaucoup plus forts que lui.

« Le septième voile » fait référence à un tableau mettant en scène l’impudique Salomé et symbolise l’ultime parure qu’on ne fait tomber devant personne sauf à plonger dans les abysses de la psychanalyse pour découvrir son véritable moi.

Or c’est précisément cette double quête, celle du fils destinée à comprendre qui fut son père, celle du père n’acceptant pas, a priori, de se reconnaître en ce qu’on lui donne à voir de lui et découvrant, peu à peu, qu’il ne fut que le jouet des autres, qui structure le récit et lui donne une force immense.

On sort forcément ébranlé d’un récit qui dérange, plein de doutes sur ce que nous aurions été nous-mêmes en de pareilles circonstances, scotchés par l’audace de l’auteur qui a su reconstituer avec minutie et précision, tout en conservant une fougue littéraire inébranlable, le Paris de l’occupation.

Impossible de sortir de ce dense roman qui nous hante et vous absorbera pendant de nombreuses heures d’une écriture sublime au service d’une histoire romanesque haute en couleurs et menée d’une main de maître.

Chapeau bas, Monsieur de Prada !

Publié aux Editions Seuil – 694 pages

14.9.09

Chamboula - Paul Fournel

Voici un joli roman à l’écriture imaginative, drôle et souvent frappante, à la mode des contes africains. Reste à préciser que Paul Fournel est né à Saint-Etienne et qu’il a su brillamment s’inspirer du style si particulier aux écrivains africains d’expression française.

Chamboula est la plus belle jeune femme du village. Elle fait rêver les hommes et chavire les coeurs avec sa démarche chaloupée. Une invitation à l’amour charnel. Mais Chamboula est indépendante. Elle accepte de se donner aux hommes qui lui plaise sans vouloir s’attacher à l’un en particulier. C’est aussi une femme moderne, de pouvoir et qui milite pour la liberté de la femme.

Chamboula habite un petit village tranquille au chef respecté. Un village de traditions et où le temps s’écoule selon des rites bien spécifiés.

Tout ce bel équilibre va se trouver mis à bas lorsqu’un ingénieur blanc débarque et remarque la présence de gisements pétrolifères et de pierres précieuses sur cette terre ancestrale.

Avec l’ingénieur débarque le commerce. L’arrivée du premier réfrigérateur, du premier téléviseur, alimentés par un groupe électrogène à pédales va provoquer un snetiment de jalousie et de propriété.

Un sentiment renforcé par les belles images prometteuses du catalogue de la manufacture de Saint-Etienne.

Avec l’ingénieur, Chamboula perd sa liberté. Elle accepte d’être sa compagne pour gagner l’autorité avant que de se débarrasser d’un homme encombrant en ayant recours aux recettes traditionnelles visant à le priver de sa virilité.

Avec l’ingénieur débarque en force la civilisation moderne, celle qui chasse les ancêtres de leurs sépultures et fait rôder leurs âmes en peine. Avec elle, l’arrivée en masse de main d’oeuvre, des constructions hideuses, le bruit et la foule.

Bref, le village ne tarde pas à perdre son âme et sa tranquillité.

Et puis, il y a ceux qui tentent l’aventure de l’expatriation et qui y laissent toujours leurs vies au bout du compte. Ils s’appellent tous “boulot” même si leurs destins divergent beaucoup entre l’intellectuel surdoué qui finit ministre et se fait assassiner ou le pauvre bougre que l’on retrouve gelé dans le train d’atterrissage à Roissy. Ils viennent tous du village et partagent une faim d’un autre monde qui se laisse refuser.

Ces tranches de vie défilent paisiblement, malgré les chambardements, la violence, la soif du gain grâce à une succession de très courts chapitres de 1 à 3 pages en général qui nous donnent à voir les nombreux et pittoresques personnages de cette petite saga et la façon dont ils s’adaptent, ou non, à un monde bouleversé.

Le tout fait penser à un conte, vif, alerte et rythmé, psalmodié et enrichi au gré de l’imagination et du talent du conteur.

Paul Fournel en a beaucoup, ce qui fait de ce livre une véritable réussite.

Fortement recommandé par Cetalir.

Publié aux Editions du Seuil - 343 pages

4.9.09

Avec vue sur le royaume - Jean-Pierre Gattégno

Sans perdre une seconde, trouvez à tout prix ce superbe roman qui exploite brillamment une idée originale.

Imaginez une seconde, qu’une fois morts, avant d’entrer au paradis ou bien peut-être pour l’éternité, vous vous retrouviez au sein d’un super-sonique luxueux. un de ces appareils capables de ravitailler sans jamais faire escale, avec des hôtesses aux petits soins pour vous et qui soignent vos angoisses, vos cauchemars, bref la résurgence des souvenirs de vos vies à coup d’alcool. Car champagne fin et whisky à gogo (le Santari de “Lost in translation” sans autre alternative) coule à flots.

Soudain, un fils d’émigré juifs saloniques qui vient de se faire suicider par amour par son ami de toujours, d’une balle en pleine tête, se retrouve assis à côté d’un vieux monsieur digne et lui-même fils d’un des pires assassins nazis.

Grâce à des écrans en trois dimensions au rendu hyper-réaliste, les souvenirs de chacun des deux voisins va s’afficher, au fur et à mesure qu’ils resurgissent du néant. Des images, des scènes qui vont amener l’un et l’autre à se raconter, à partager le plus intime de leurs vies, leurs amours, leurs vices, leurs espoirs et leurs secrets.

Qu’est-ce qui va pousser le fils d’émigrés à mentir à son compagnon de l’au-delà sur sa personne et à se faire passer pour son ami que son voisin trépassé a connu ? Mais quel est le fil ténu qui relie ces deux hommes qui ne se connaissent pas et qui sont assis, l’un à côté de l’autre, par décision supérieure sans possibilité aucune de s’échapper ?

Que leur faudra-t-il avouer qui est resté caché au plus profond d’eux de leur vivant pour découvrir enfin qui ils sont l’un à l’autre et ce qu’ils ont partagé, sans le savoir, et qui leur était le plus cher ?

C’est avec une émotion remarquable, une finesse incroyable que Gattégno mène son sujet. Nous assistons, bouleversés, au déroulement de ses deux vies sous la forme d’une confession que les images projetées brutalement sur ces écrans hyper-réalistes empêchent d’être retardée.

La tension narrative est souvent brisée par une touche d’humour décapante lorsque les hôtesses empressées accourent pour servir une éternel et même repas et soulager les morts en noyant leurs souvenirs dans un alcool qui a valeur de médicament psychotrope.

Une confession pour gagner le repos et le respect de l’autre. Une confession pour admettre ses erreurs et ses compromissions d’autant plus que l’on peut assister à ce à quoi elles ont conduit puisque l’écran nous projette aussi dans les temps post-mortem.

Et la réalité est souvent implacable et les êtres aimés se transforment bien vite en traîtres, en proie qu’ils sont eux-mêmes à leurs propres tourments, à leurs désirs.

Bref, un très grand livre indispensable à tout amateur de littérature contemporaine originale et de grande qualité.

Un des must de Cetalir, sans hésiter !

publié aux Editions Actes sud - 363 pages

28.8.09

La cité heureuse - Benoît Dutertre

Autant le dire tout de suite, ce roman m’a paru particulièrement laborieux, comme si l’auteur s’était débattu avec une bonne idée sans avoir les moyens et la capacité de la maîtriser.

Comme la pauvreté du style est spécialement navrante, il en résulte un des ces bouquins inutiles, bâclés et dont on se demande toujours comment ils ont pu être publiés.

Quelques mots sur le thème, tout de même.

Suite à une sombre révolution dont nous ne savons rien, des cités entières sont rachetées par un investisseur sans doute américain pour être transformées en parcs d’attraction pour touristes désoeuvrés.

La règle est que chaque habitant doit y jouer un rôle quotidien, affichant joie, bonne humeur et disponibilité. Déroger aux règles coûte des “points coeur” et vous fait régresser dans l’échelle sociale farouchement codée.

Un écrivain sans réel talent, un peu libre d’esprit, se fait sponsoriser par l'investisseur, celui-ci ayant l’obligation politique de laisser penser que tout un chacun peut s’exprimer librement. Notre écrivain écrit par ailleurs des scenarii pour des séries télévisées au ton moderne et humoristique.

Peu à peu, la vie de la cité radieuse va se détraquer et la vie de l’écrivain, un peu trop sûr d’une liberté sous surveillance, devenir un petit enfer.

il y avait beaucoup de bonnes idées dans ce roman, en particulier celle de faire parler les personnages de l’écrivain (une romancière clamant une position de persécutée permanente et se régalant aux frais de la société et au détriment de son amant, un couple de gays adoptant deux petites filles et aux prises à la tentation de l’autre sexe...).

Tout cela est systématiquement gâché par une plume d’où est absente tout talent, d’une extrême platitude et qui se complaît dans une accumulation de lieux communs. Même pas second degré.

Bref, je n’ai eu de cesse de compter les pages me rapprochant de la fin. M’en voici débarrassé....

Publié aux Editions FAYARD - 282 pages

25.8.09

Une brève histoire des morts - Kevin Brockmeier

Kevin Brockmeier sait immédiatement trouver le ton juste pour planter une atmosphère envoûtante, faite d’étrangetés et de léger malaise. Une étrangeté qui va se développer et se poursuivre selon des voies parallèles tout au long de ce qui fait de cet ouvrage un roman véritablement à part. Un de ceux qu’on n’oublie pas.

Pour nous entraîner dans cet univers à double-sens, l’auteur prend le parti de construire une histoire qui se déroule sur deux plans qui paraissent de prime abord totalement étrangers l’un à l’autre. Si étrangers que j’ai dû relire la quatrième de couverture pour m’assurer qu’il s’agissait bien d’un roman et non d’une suite de nouvelles.

Puis, au fil des chapitres à l’unité de temps et de lieu clairement définie, le lecteur intrigué va découvrir que ces deux univers sont en fait clairement liés l’un à l’autre.

Quels sont donc ces deux mondes parallèles ?

Tout d’abord, nous découvrons une cité hyper-contemporaine ne figurant sur aucune carte et dont la topographie s’ajuste d’heure en heure au fur et à mesure qu’elle accueille de nouveaux venus. Cette cité, c’est celle des morts, des trépassés qui y passent 60 à 70 ans avant d’en disparaître brutalement. Sans raison apparente...

Une cité en tous points identiques avec le monde réel: on y mange, y travaille, s’y déplace en voiture. Les téléphones mobiles y sont présents ainsi que tous les moyens de communication instantanée inventés par notre technologie contemporaine. Une cité où chaque habitant déclare sans ambages s’y trouver mieux que dans le monde réel précédent. Les êtres s’y aiment, les couples se retrouvent et se solidifient, les enfants retrouvent les parents... Bref un monde d’harmonie et d’une certaine sérénité.

Sans transition, le chapitre suivant (et il en sera ainsi de façon inaltérable tout au long du roman) nous transporte sur la banquise. Trois scientifiques y ont été envoyés par Coca-Cola pour une mission environnementale. Parmi eux, Laura Byrd, la spécialiste mondiale des problèmes environnementaux, problèmes qui à l’époque, sans doute pas si lointaine de nos jours, où se situe le roman se traduisent par un recul de la banquise, une montée des eaux et une disparition des baleines, des éléphants et des gorilles.

C’est l’épopée de Laura Byrd que nous allons suivre. Une épopée qui va la conduire à traverser la banquise, seule, une fois ses compagnons disparus sans laisser de traces. Une épopée pour sauver le monde, un monde frappé du virus de la tremblante de l’oeil qui fauche les humains par milliards. Laura sera-t-elle la dernière représentante de l’humanité sur terre ?

Sans répondre à cette question dont vous chercherez la clé dans le roman, nous allons peu à peu comprendre que la cité des morts est celle qui accueille le souvenir de nos défunts, de nos amis, de notre vie passée. Une cité qui s’éteint dès lors que nos souvenirs vacillent.

Une cité qui vit parce que Laura est vivante. Un monde virtuel au sein d’un univers réel, l’un étant résolument indissociable de l’autre, d’où les chapitres parallèles.

Grâce à une subtile allégorie, K. Brockmeier nous amène à nous interroger sur le sens de nos vies, sur l’importance à se souvenir et à comprendre que ce qui nous fait prend sa source constante dans le passé, dans nos relations aux autres, petites, futiles, majeures ou structurantes. Nous ne sommes humains que parce que nous évoluons auprès d’autres humains.

La question centrale de ce très beau roman n’est-elle pas, au fond, de chercher à comprendre ce qu’est la vie et de là où elle s’arrête vraiment.

Un livre hautement recommandable, remarquable d’originalité et qui vous tiendra en haleine jusqu’à la dernière page. A ne manquer sous aucun prétexte !

Publié aux Editions Panama - 301 pages