31.1.09

J’habite en bas de chez vous – Brigitte

Brigitte, dont le nom est censuré afin de préserver son anonymat et sa tranquillité, décrit avec sincérité et sans fausse pudeur sa descente aux enfers. Un enfer qui la mènera à la rue, en SDF, à survivre à l’abri des colonnes de la place des Vosges.

Au-delà du témoignage spontanné, écrit de façon très journalistique, l’intérêt de ce livre est de nous donner à voir en quoi l’enfance peut conduire à des comportements adultes qui mènent potentiellement tout droit au désastre.

Brigitte naît d’une union pré-maritale. Enfant non désirée, elle est placée en famille d’accueil et ses parents ne viennent jamais la voir.

Un beau jour, son père débarque pour la ramener de force chez ses parents. L’enfer va commencer. Détestée par sa mère qui lui reproche d’exister, elle découvre l’existence d’une petite sœur de quatre ans, adulée par sa mère.

Très vite, Brigitte devient le souffre-douleur de sa mère. Eduquée à coups de ceinturon, victime d’une persécution verbale qui vise à la rabaisser plus bas que terre, elle sert de refouloir à sa mère. Une mère mal dans sa peau, qui ne s’assume pas, mal dans son couple.

Plus tard, devenue femme, Brigitte n’arrivera jamais à envisager une relation normale avec les hommes. Incapable de se livrer sans retenue, aimant toujours sur la retenue, elle ira de déception en déception. Après une longue liaison qui se termine brutalement suite à une incartade de son homme, elle se livre à une débauche sans retenue, consommant les mâles à la chaîne.

Grâce à ses amis, elle finit par reconstruire une liaison stable avec un professeur de gymnastique, propriétaire d’une petite salle de sport à Paris.

Mais l’enfer va bientôt resurgir, son jules se révélant volage et violent. Alors, parce qu’elle ne supporte plus les agressions physiques et alors qu’elle n’a pas un sou en poche, elle va finir par partir et se retrouver en quelques heures à la rue.

Il est sidérant de constater la vitesse à laquelle la rue, sa violence, ses risques et ses rites, s’emparent de vous, une fois que vous avez franchi le pas du mauvais côté.

La rue, quand on est une femme, que la misère sexuelle règne parmi les hommes majoritaires, c’est éminemment dangereux. La chance de Brigitte sera de rapidement trouver un protecteur qui la prendra en charge.

C’est à partir de là que le récit bascule et nous donne à voir les mécanismes qui vous broient, rendant tout retour à la vie normale quasi-impossible.

La dépression s’empare de vous, annihile toute velléité de s’en sortir. C’est le combat quotidien pour la propreté, la lutte pour ne pas dormir, pour se protéger des agressions brutales.

Le temps passant, vous perdez confiance en vous, vous considérez comme inutile, incapable de réaliser le moindre acte qui vous paraîtrait banal dans n’importe quelle vie normale.

Ballottée de structure d’accueil en structure, suffoquant enfermée dans une chambre, devant troquer de la nourriture contre des prières en un Dieu dont on pense qu’il vous a abandonné, vous ne tardez plus à devenir une quasi-épave.

Il faudra à la fois une volonté de fer, une patience infinie de la part des bénévoles d’associations spécialisées, un peu de chance et la mort des compagnons de galère, parce que la rue fait de vous un vieillard à quarante ans pour que Brigitte finisse par s’en sortir.

Au prix d’une lutte terrible pour s’arracher au bitume qui vous englue très vite et à la honte de soi qui paralyse et inhibe.

Un témoignage bouleversant qui permet de comprendre comment la vie peut basculer pour des milliers d’hommes et de femmes, victimes du chômage, de violence ou de maltraitance.

Publié chez Oh ! Editions – 268 pages

29.1.09

Où on va, Papa ? – Jean-Louis Fournier

Un très court récit (il se lit en une heure à peine) pour un très gros succès en librairie. Voici plusieurs semaines que « Où on va, Papa ? » occupe la tête des ventes et un certain temps d’antenne.

Il faut dire que le sujet, sur le fond (les enfants lourdement handicapés) et sur la forme (un récit autobiographique caustique et désabusé), est des plus inhabituels. Dans tous les cas, le livre dérange parce que, d’abord, il n’est pas statistiquement normal d’avoir deux enfants handicapés à la suite, comme ce fut le cas de JL Fournier.

Ensuite, parce que faire un troisième enfant avec tous les risques que cela pouvait comporter, aurait pu relever de la pure inconscience, d’une odieuse volonté de se perpétuer (j’allais dire perpétrer tellement cela aurait pu relever du forfait) à tout prix. Il a fallu la compréhension miraculeuse d’un médecin pour faire accepter cette naissance à un couple en déshérence et qui se raccroche comme il peut à une normalité qu’il leur faut inventer.

Ensuite, parce que pratiquer l’autodérision, en venir à souhaiter presque à voix haute la libération que pourrait représenter la mort prématurée de ses enfants, se raccrocher à un humour noir, grinçant et presque désespéré et, surtout, en faire état sans fausse pudeur dans un récit voulu pour être publié, ne constituent en rien des actes anodins. Il faut un courage certain et, sans doute, éprouver le besoin plus ou moins conscient de devoir absolument se libérer d’un poids, d’une fatalité, d’un Dieu qui s’acharnent sur vous sans raisons apparentes ou compréhensibles. Et c’est précisément cela qui fait la force, l’impact brutal, sans fard, de cette impudique confession.

A coups de chapitres choc, très courts, souvent de juste quelques lignes qui disent l’essentiel, la vérité crue, celle qui n’a pas besoin d’être appareillée de mots pour cacher ou embellir, JL Fournier nous entraine dans son enfer quotidien. Celui d’enfants rachitiques, bossus, incapables de s’exprimer correctement, n’imprimant rien dans des cerveaux « remplis de paille ». Des enfants capables de refaire dix fois, cent fois de suite les mêmes gestes, de proférer une seule phrase, celle du titre, en oubliant aussitôt la réponse qui leur est faite. Des enfants qui font des parias de vous, qui éclaircissent les rangs des amitiés, qui plombent à jamais votre vie, qui font voler en éclats votre couple parce que vous ne supportez plus. Par fois aussi, rarement, des enfants qui font rire de leur innocence ou de leur gentille bêtise.

On sort secoué en se disant qu’il faut être inconscient ou vaniteux pour vouloir donner la vie avec tout le risque que cela comprend…

Publié aux éditions Stock – 155 pages

24.1.09

Histoire de réussir – Russell Banks

Russell Banks est l’un des plus grands écrivains américains encore en vie. Il est important d’avoir un aperçu de sa vie pour mieux comprendre les ressorts fondamentaux qui sous-tendent son œuvre.

Né en 1940 dans le Massachussets, il passera son enfance chez ses enfants dans un petit bled du New Hampshire, paumé au milieu de nulle part. Ses souvenirs sont ceux d’un paysage éternellement enneigé et morne.

Son père, Earl, alcoolique chronique, est menuisier et plombier occasionnel. Lui-même vivra longtemps d’expédients en exerçant les métiers de décorateur, déménageur ou bien encore vendeur de chaussures. Ses parents divorceront et lui même connaîtra également un divorce.

Ce n’est que tardivement, en 1975 alors qu’il réside à La Jamaïque, qu’il viendra à l’écriture avec Family Life et Searching for survivors, un recueil de nouvelles.

Son écriture est habitée de ce qui le hante : la pauvreté, l’isolement, les laissés pour compte de l’Amérique conquérante et rayonnante. Les personnages de ses livres sont souvent des anti-héros typiques qui vivent d’expédients, des femmes trompées, délaissées et qui doivent se débrouiller seules pour s’en sortir, des maris alcooliques, violents, menteurs et qui laissent tomber sans sommation femmes et enfants. Ses ouvrages sont également une critique plus ou moins violente de l’Amérique, de ses injustices et de son aveuglement face à la multitude qui n’a aucun droit au rêve, à commencer par la population blanche pauvre.

A ce titre, le recueil de nouvelles « Histoire de réussir » est un véritable condensé des thèmes précédents.

Si chacune des nouvelles peut être lue indépendamment des autres, elles forment toutes, sauf une (« Le poisson »), une suite cohérente, l’esquisse d’un roman global. On y voit quatre personnages aux prénoms et parfois noms identiques, à des époques différentes, dans des postures sociales différentes qui sont autant d’illustrations des chemins que leur vie prendra une fois la cellule familiale éclatée.

Il y est question au quotidien de divorce, de fins de mois difficiles, de relations amoureuses tristes et vouées à l’échec, d’alcoolisme. Dans la nouvelle qui donne son nom au recueil, c’est Russel lui-même qui est en scène, la façon dont il vit d’expédients comme décorateur, déménageur et vendeur de chaussures avant de rencontrer celle qui deviendra sa femme, Sarah Cole dans le livre.

Une femme dont on comprendra, dans la nouvelle « Adultère », qu’il l’épousera sans l’avoir jamais aimée et sans qu’il lui soit possible de l’aimer.

On comprendra donc que la tonalité générale de ces récits est globalement sombre. Il y a peu d’espoir et chaque fois qu’une issue semble possible, une nouvelle catastrophe surgit rendant toute extraction de la pauvreté impossible.

Pourtant, grâce à l’incroyable tendresse dont Banks fait preuve vis-à-vis de ces personnages losers, anti-images de l’Amérique idôlatrée, grâce aussi à une écriture drôle et un rien décalée, nous nous prenons de passion pour celles et ceux qui vivent en marge de la consommation, des parties, de l’argent facile.

Car il s’agit avant tout de femmes et d’hommes faits de tripes, de sang et de sentiments. De celles et ceux qui nous aurions pu être, que nous avons été le cas échéant, en partie, à un moment ou un autre de nos existences.

C’est cette identification potentielle qui fait la grandeur de ces remarquables récits à découvrir de toute urgence.

Publié aux Editions Actes Sud – 190 pages

17.1.09

Le premier homme – Albert Camus

« Le premier homme » est, à bien des égards, un roman à part dans l’œuvre d’Albert Camus. Roman avant tout inachevé, inabouti, plutôt esquisse développée d’un roman encore à venir et qui ne connaîtra jamais son aboutissement.

En effet, le manuscrit en fut retrouvé dans la carcasse de la voiture dans laquelle Albert Camus et son éditeur, Michel Gallimard, trouvèrent la mort en 1960. Il fallut attendre l’accord de sa fille, Catherine Camus, en 1996 pour que le manuscrit paraisse enfin.

Manuscrit qui donne à voir la façon dont Camus travaillait. Au vu du manuscrit et des nombreuses notes qui nous sont parvenus, il apparaît que Camus travaillait par écritures successives. Si certaines phrases sont très abouties et que le texte dans son ensemble présente une cohérence globale, il n’en reste pas moins que Camus émaillait son écriture de notes, de remarques, d’interrogations. Il ne cessait de se questionner sur le choix des mots, les passages à améliorer ou à développer, les détails à approfondir. Travail par constructions successives dont nous n’avons ici que la strate initiale avec toutes ses imperfections.

Certaines phrases sont restées bancales, suspendues à une révision qui ne vint jamais. Le roman se termine d’ailleurs alors que tant de choses restent à dire et que le propos de l’auteur est incomplet.

Pourtant ce récit est le plus autobiographique de Camus. Il se déroule intégralement en Algérie dans la classe la plus pauvre de la population européenne des colons.

Jacques, l’enfant qui constitue le personnage central de ce roman à part, est orphelin de son père qui fut tué au début de la guerre de 14, victime parmi des milliers d’autres des tirs qui décimèrent les tirailleurs africains repérables à des kilomètres avec leurs uniformes bleu et rouge. Il est élevé par deux femmes : l’une effacée, absente et silencieuse, sa mère qu’il aime profondément et dont il va découvrir l’amour qu’elle lui porte, progressivement. L’autre est sa grand-mère maternelle, maîtresse femme, brutale, entière, laissant peu de place aux sentiments, avare de mots et d’argent, nécessité oblige.

Le moment crucial du roman se situe lorsque Jacques, devenu un adulte de quarante ans, se rend sur l’insistance de sa mère, à moitié sourde et illettrée, sur la tombe de ce père qu’il ne connut jamais. Il réalise alors avec toute la brutalité possible l’ironie injuste qui fait de lui un adulte plus âgé que son père, fauché à 29 ans.

De cette révélation va jaillir l’impérieux besoin de comprendre pourquoi et comment on peut être plus âgé que son père, non pas en cherchant à comprendre qui ce père inconnu fut mais on retraçant ce que sa propre vie d’adulte a été jusqu’ici. Qu’est-ce qui en a été le fil conducteur, pourquoi les chemins suivis ont-ils été pris, qui compta et pourquoi ?

Ce roman est le roman du « qui suis-je » en tant qu’homme fait, adulte, responsable. Qui suis-je au sens des évènements qui ont fait de moi l’être social que je suis, du libre arbitre dont j’ai pu faire preuve, des choix qui m’ont été imposés. De qui ai-je subi l’influence et pourquoi ?

Malgré une langue imparfaite puisque seulement esquissée, Camus se laisse découvrir en tant que ce qu’il fut lui-même et nous invite à nous poser les questions sur nos racines, nos choix raisonnés ou non, notre filiation familiale.

Si ce n’est certes pas le roman par lequel il convient de découvrir cet immense auteur qu’est Camus, c’est un roman d’archéologie qui mérite d’être découvert pour sa dimension profondément humaine.

Publié aux Editions Gallimard – 331 pages

10.1.09

Malavita – Tonino Benacquista

Malavita, c’est l’un des nombreux noms donnés par les Siciliens à la mafia. C’est le nom choisi par Giovanni Manzioni, alias Fred Blake, pour son chien. Un non donné par défi, par nostalgie de ce qu’il fut.

Capo respecté et craint à Newark, il va finir par se faire serrer par un teigneux du FBI, Tom Quintaliani. Il décidera de passer à table et son témoignage fera tomber le parrain new-yorkais ainsi que l’essentiel des capi.

Pour leur sécurité, que le gouvernement américain ne pouvait plus assurer sur le sol natal, voici la famille Blake, sous protection du programme Witsec (Witness Security), exilée au beau milieu de la Normandie, dans la petite ville de Cholong-sur-Avre.

Bientôt, la vie de cette tranquille commune normande va se trouver bouleversée car là où la famille Blake débarque, les ennuis arrivent…

Tonino Benaquista signe ici un roman bien meilleur que son célèbre « La Madonne des Sleepings », blogué dans Cetalir. Meilleur à bien des points de vue.

Tout d’abord, celui de l’intrigue, lisible et passionnante, car elle va nous donner à voir les désespérants efforts de Manzioni pour devenir normal, s’insérer comme le FBI l’invite à le faire.

Meilleur donc au plan psychologique car ces efforts et les échecs dont ils sont systématiquement l’objet nous donnent à voir un grand mafieux sous son aspect humain. Celui d’un repenti qui doit s’assumer, celui d’un roublard qui va tromper son monde, celui d’un psychopathe qui assume ses pulsions et qui aime à donner et faire le mal. Celui que la vie normale emmerde au plus haut point et qui finira par se racheter, à ses propres yeux et à ceux de son espèce, à travers un dernier chapitre hallucinatoire et jouissif. Un chapitre qui le réhabilite en tant que ce qu’il est, dans son sang, dans ses tripes : un chef mafieux !

Car ce roman très original est extrêmement jouissif ce qui constitue la troisième illustration du caractère supérieur de « Malavita ». D’ailleurs, les hommes de La Cosa Nostra n’ont rien d’ennuyeux ; ils savent vivre et profiter d’une existence qui se termine le plus souvent de façon violente, pour une raison ou une autre. Manzoni en est l’incarnation absolue et vivante.

Bien que Benacquista ait puisé une partie de son inspiration dans « Le Parrain » et les innombrables films de gangsters produits par le cinéma américain et grâce aussi à une documentation détaillée et jamais ennuyeuse dont le roman est émaillé, ce livre, par son côté décalé, effronté est d’une inspiration le plus souvent assez éblouissante. Certes, il y a quelques petites imperfections (l’histoire un peu longuette du voyage de la revue scolaire locale qui finira par trahir Manzoni, bien malgré lui), mais on se prend à presque aimer ce personnage pourtant odieux, fou et dangereux de Manzoni.

On l’aime car il cherche à devenir humain en racontant ses mémoires qui risquent de faire frémir beaucoup dans les sphères du pouvoir. On l’aime car pour supporter un passé et s’inventer un futur, il va devoir jouer avec les mots, se frotter à un dictionnaire pour dire ce qui doit être dit, lui qui d’habitude est avare de paroles qui, lorsqu’elles sont proférées, sont souvent porteuses de mort. Ecrire est le premier pas d’une réhabilitation, d’un retour à la vie car vivre en rentier, protégé et surveillé, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, n’est pas pour Giovanni Manzioni.

Il y a aussi chez chaque membre de la famille Manzoni, par atavisme, presque malgré lui, un petit côté famille Adams. Le souci de se fondre dans la masse est toujours trahi, à un moment ou un autre, par une réaction violente, épidermique, spontanée et qui trahit la culture mafieuse du clan. La mère et les enfants finissent tous, de façon drôle et percutante, à péter un câble et à se faire respecter de celles et ceux qui ne les respectent pas.

On termine la lecture de ce très sympathique roman avec un énorme sourire aux lèvres. Celui d’un lecteur contenté et tenu en haleine par une histoire originale et captivante.

Publié aux Editions Gallimard – 315 pages

Cap Horn – Francisco Coloane

Francisco Coloane est donné pour le plus grand écrivain chilien. Cap Horn est un recueil de nouvelles qui nous donne à voir son univers de prédilection.

A travers une langue dépouillée de toute afféterie littéraire, allant droit à l’essentiel comme les gauchos qui fondent sur les troupeaux de chevaux semi-sauvages dans les déserts patagoniens, Francisco Coloane s’impose comme un auteur de nouvelles hallucinatoires.

Des nouvelles qui illustrent toutes, sans exception, la folie qui s’emparent des hommes et des bêtes dans un territoire immense, virtuellement illimité. Un territoire où tout est exponentiel : le vent d’ouest qui souffle intensément jusqu’à rendre fou, la nuit inexistante en plein été, la neige qui recouvre les troupeaux de moutons jusqu’à les ensevelir vivants.

Et puis l’alcool, pour tromper l’ennui, l’absence de femmes, pouvoir affronter ses peurs échoués au milieu de l’immensité fuégienne.

Dommage que l’éditeur se soit incroyablement emmêlé les pinceaux dans la mise en page. Le récit s’arrête brutalement p127, une quarantaine de pages sont alors dédoublées en lieu et place des pages 128 à 160 qui ont purement et simplement disparu ! Scandaleux et totalement non professionnel…

Publié aux Editions Phébus Libretto – nombre de pages fantaisiste.

3.1.09

Eloge de la lumière au temps des dinosaures – Virginie Lou

Pourquoi un tel titre, un peu racoleur et dont nous n’avons pas compris le sens par rapport aux propos de l’auteur ?

A part cette question (de marketing peut-être ?), voici un livre coup de poing ! Un livre fort, marquant et dont la langue vous plaque au sol par sa violence et celle, physique et psychologique, qu’elle décrit crûment, sans nous épargner le moindre détail.

Un couple sans histoire vit dans une banlieue quelconque, dans un petit pavillon coincé entre deux nationales. Lui est vaguement cinéaste, elle se cherche entre libraire et antiquaire. Peu de revenus, beaucoup d’ennuis administratifs mais une routine rassurante. Un amour qui dure.

Mais tout à coup la vie de Solange va basculer. Un jeune de la cité voisine s’introduit de force chez elle. Il va tout casser, la brutaliser, se saouler et la violer, à deux reprises. Une violence gratuite pour exprimer en actes ce que la langue pauvre, limitée est incapable de traduire.

Solange devra composer avec son tortionnaire pour rester en vie. Une compromission indicible, incompréhensible par son entourage. Jusqu’où aurait-elle dû aller ? Que peut-on accepter, comment préserver sa vie de femme, sa vie de couple après une épreuve que les autres n’arrivent pas ou ne veulent pas comprendre ? Comment dire ce que personne n’est prêt à entendre ? Comment passer du statut de victime à celui de responsable ?

Ce roman fait appel à une langue d’une violence inouïe pour nous interpeler sur ces divers thèmes. La scène du viol, d’une quarantaine de pages, est d’une incroyable férocité. On se prend à retenir sa respiration, à s’accrocher à chacune des pages tellement nous souffrons avec la victime.

Virginie Lou fait une entrée en force dans le cercle des grands auteurs de langue française via un ouvrage difficile et choc !

Publié aux Editions Actes Sud – 179 pages

1.1.09

Jeux croisés – Marie Sizun

Commencé en début d’une soirée d’hiver, ce roman m’aura littéralement happé tant et si bien que je ne l’ai refermé qu’une fois achevé, deux heures et quelques plus tard. C’est sans doute l’un des meilleurs compliments que l’on puisse faire à un auteur.

Ce qui frappe dans ce roman au thème délicat (j’y viens dans un instant), c’est son extrême pudeur, la grande délicatesse des propos, la gentillesse de l’écriture qui font que, malgré la détresse et la perdition qui s’emparent des deux femmes centrales du roman, malgré la spirale de la dépression qui les attire vers des confins où elles risquent de perdre leurs âmes, leur liberté d’action et de pensée, on se prend de compassion pour ces personnages profondément humains, déboussolés.

On en vient même à comprendre les gestes impardonnables de ces deux femmes à la dérive, à faire preuve de mansuétude en passant l’éponge sur ce que la justice pénale ne manquera pourtant pas de sanctionner lourdement. Bref, on se met à aimer ces êtres faibles, elles-mêmes laissées pour compte de l’amour des hommes et dont la vie va brutalement basculer vers ce qui, jusqu’ici, était totalement inimaginable.

Marthe est une jeune femme au milieu de la trentaine, professeur de Mathématiques. C’est une fille quelconque, qui ne se remarque pas et qui s’est mariée, presque miraculeusement, sur le tard. Or, son mari, Pierre, lui annonce tout à trac qu’il l’a quitte et part refaire sa vie avec une collègue dont il attend un enfant. Marthe va comprendre, peu à peu, que c’est son propre refus d’enfanter, de jouer un rôle de mère pour laquelle elle ne se sent pas prête ni désireuse de l’être, qui aura poussé Pierre à la quitter.

Alice a dix-huit ans. Elle élève seul son bébé, Ludo, dont elle ne sait même pas qui est le père. Alice tente de faire face, courant de la garderie au pressing minable qui l’emploie. Alice est en train de craquer, abandonnée par ses parents, délaissée par ses amis qu’elle n’a plus le temps de voir, se débattant avec les problèmes financiers et la garderie qui ferme dans une semaine pour les congés d’été. Que faire de Ludo ? Comment concilier une vie de femme seule, en mal d’épanouissement avec celle d’une mère malgré elle ?

Il suffira d’un moment fortuit, dans un centre commercial, d’un moment de doute chez Alice, d’un coup de folie sous l’emprise d’une automédication douteuse pour Marthe pour que leurs vies basculent. C’est le rapt d’enfant, improvisé, brutal.

Commence alors une fuite en avant désespérée pour Marthe une descente cauchemardesque aux enfers pour Alice, accusée de s’être volontairement débarrassée de son fils. Ce sont ces quelques jours de folie, d’excitation, d’une vie nouvelle idéalement rêvée mais pratiquement inassumée que nous allons suivre de façon terrible et palpitante.

Ces jeux croisés sont en référence au désir fugace d’Alice d’être à nouveau libre et autonome, de Marthe d’être celle que Pierre aurait aimé qu’elle fût. Des jeux dangereux dont il est impossible de sortir indemnes.

On se laisse porter par le récit, par la logique implacable qui plonge ces deux femmes vers une autodestruction certaine. Un récit parfaitement servi par une écriture juste, nerveuse, efficace.
Un beau livre.

Publié aux Editions arléa – 249 pages