28.5.09

Lignes – Murakami Ryû

Un photographe, marié à une jeune femme entreprenante et mystérieuse, se fait larguer par cette dernière. Il soupçonne que les coups de fil bizarres qu’elle recevait sur une ligne qu’elle s’était fait installer pour son seul usage, sont ceux de son amant.

Lors d’une de ses virées mensuelles vers une jeune prostituée sado-maso de l’agence qu’il fréquente régulièrement, il cherche à en savoir plus sur la fille de l’agence dont il a entendu dire qu’elle avait été internée psychiatrique pour savoir entendre et lire à travers les câbles électriques. Il veut la retrouver pour écouter ce qui se dit au téléphone et gagner son procès en divorce.

A partir de ce prétexte inhabituel, Murakami Ryû plante un décor sombre, louche, glauque et nauséabond à travers lequel l’auteur va nous faire déambuler. Un décor hanté et cauchemardesque. Chaque porte franchie nous emmène vers une galeries de nouvelles horreurs, plus totales !

Un Tokyo nocturne, comme souvent dans les romains contemporains japonais que nous avons eu l’honneur de relater dans Cetalir. Le Tokyô où les conventions tombent, où le mal être de la société nippone peut enfin s’exprimer surtout au détriment des filles, jeunes, droguées, soumises, prêtes à tout y compris le pire, pour survivre et acheter la dope. Celui des drogués du boulot qui ne rentrent pas chez eux et qui compensent par l’alcool, la fête, la drogue et le sexe violent, de préférence le tout combiné.

Vingt personnages vont se croiser au hasard des déambulations. Chacun d’eux est une illustration chaque fois plus hallucinante, plus dérangeante de la déchéance humaine, celle que produit une société rigide, hiérarchisée et lobotomisée.

Chaque personnage a souffert dans sa chair, son cœur et son âme d’une enfance maltraitée, de parents absents et/ou alcooliques. En devant l’objet de l’expression du malheur pour leur famille, ils se sont tous fabriqués une posture de victimes ou de prédateurs car seules la souffrance et la violence constituent leurs moyens d’expression.

Sexe, viol, torture, brutalité et meurtres, dans des conditions horribles, jusqu’à la nausée, vont alors s’enchaîner. Chaque fois plus loin comme pour dire qu’il n’y a aucune limite au malheur humain.

Attention, ce roman est hyper-violent, le plus violent de tous ceux qu’il m’ait été donné de lire sans doute. Impossible de le lire d’une seule traite : vous êtes scotchés, ahuris, hébétés à la fin de chaque chapitre, souvent court, qui vous assène son lot de raffineries dans un mode très spécial.

On découpe en morceaux les victimes, on sodomise à outrance, la fellation est le mode par défaut d’une sexualité sans amour et faite seulement de violence. Les mutilations et auto-mutilations sont légions. Chaque moment de tendresse mène à un nouveau déchaînement pour mieux se punir de s’être laissé aller.

Aucun comportement n’est normal, la normalité devient brutalement ce qui peut le plus choquer ou le plus détruire, physiquement ou psychologiquement.

Et puis, après une longue nuit d’errance et de violence dans toutes les formes possibles et imaginables, on finit par retrouver la trace de celle qui lit dans les câbles électriques. Mais pourquoi faire alors ? Tout est perdu de toute façon, à commencer par l’innocence.

Si le cœur vous en dit, si vous l’avez bien accroché, alors ce livre est une illustration indispensable du roman contemporain japonais. Celui d’une société qui explose et dont la violence absolue constitue le mode de dérivation.

Waou…

Publié aux Editions Philippe Picquier – 238 pages