31.7.09

Quand est-ce qu’on arrive ? - Howard Buten

Howard Buten nous entraîne dans un univers à la Ionesco où l’absurde, le décalé, la réplique inattendue déclenche souvent le sourire tout en soulevant une interrogation constante sur là où l’auteur veut nous entraîner.

Il est vrai que dans la tête de Bet, une superbe femme d’une quarantaine d’années échouée un peu par hasard en gérante de superette au fin fond du Michigan, il s’en passe des choses.

Pourquoi Bet échoue-t-elle lamentablement dans ses relations amoureuses, pourquoi des divorces en série dont on se remet de moins en moins mal une fois l’habitude prise ? Pourquoi rend-elle les hommes fous d’elle et a-t-elle tendance à s’enflammer aussi de son côté ?

Pourquoi ne sait-elle pas être la mère d’une adolescente de seize ans finalement bien plus mature qu’elle ?

C’est son histoire que nous allons découvrir, par lambeaux, au fur et à mesure que les souvenirs conscients ou inconscients remontent. Une histoire faite d’échecs successifs, une histoire trouée par la disparition douloureuse d’un frère homosexuel, emporté par le sida. Une histoire dont les parents sont absents, minables.

Une histoire où la gentillesse de Bet la dessert le plus souvent comme cette scène cruciale où elle va se révéler malgré elle, sous la pression du stress, face aux caméras de télévision sur le thème des sosies. Car Bet est la sosie d’une actrice célèbre mais en encore plus belle, encore plus mystérieuse.

Si vous vous laissez porter par un parti pris décapant, décalé, aux répliques digne de “La cantatrice chauve” et qui mettent superbement en évidence la difficulté irréconciliable pour Bet d’être au monde, de se fondre dans une relation anonyme et anodine, alors vous serez séduits par cet ouvrage à part et marquant.

Sinon, vous resterez extérieur à cet univers fascinant et dont Buten s’est fait une spécialité.

Publié aux Editions de l’Olivier - 204 pages

24.7.09

R&B Blitz - Ken Bruen

Que diriez-vous d’un polar nerveux, sans prise de tête, à la lecture linéaire et agréable ? N’allez-pas plus loin, vous l’avez trouvé.

Nous voici transportés au coeur de Londres, dans un monde où il devient difficile de faire la différence entre les criminels et les flics durs, intimidateurs et cogneurs. Un monde où la violence physique et psychologique est omniprésente, où les meurtres non élucidés s’enchaînent et se confondent rapidement dans une pile de dossiers qui finit par traîner.

Jusqu’à ce qu’un taré complet, speedé, shooté à l’alcool et au fix, décide, pour s’amuser, de descendre gratuitement des flics. Sept pour être précis et le dernier sur la liste sera le plus dur et le plus vicieux des inspecteurs de la criminelle de Londres. Du moins cela fait partie du projet. Alors la maison poulaga va s’organiser et faire rendre justice, coûte que coûte...

Ken Bruen ne s’embarrasse pas d’artifices. Pas d’effet de style, aucune description, aucune analyse psychologique. On est d’emblée au coeur de l’action, soudé aux acteurs du roman. On prend les coups, les insultes et les baffes.

Chaque chapitre est précédé d’une citation d’un people britannique ou américain, une citation qui illustre parfaitement bien, souvent avec ce zeste d’understatement si typiquement anglo-saxon, l’action à venir. Histoire de bien s’assurer que ce monde n’est pas très éloigné de celui que nous côtoyons.

Chaque chapitre est court, voire très court, format coup de poing en pleine figure. Fondamentalement sous forme de dialogues brefs, vifs et essentiels. La lecture défile à toute allure dans un monde qui a perdu la plupart de ses repères et où bien et mal finissent par se confondre largement.

Un monde en noir et blanc et où il ne fait pas bon d’être noire, ce qu’une agente apprendra à ses dépens jusqu’à sombrer dans la délinquance. Un monde où le règlement de compte finira toujours par se substituer à la procédure judiciaire qui laisse trop de place aux échappatoires légales.

Bref, pas de la grande littérature mais une efficacité certaine et sympathique. Rien de tel, au fond, pour passer un bon moment !

Publié aux Editions Série Noire Gallimard - 272 pages

16.7.09

L’Ange sur le toit - Russel Banks

Encore un récit de nouvelles de cet auteur majeur qu’est Russel Banks. Un recueil placé sous le signe du désir d’être aimé ou respecté pour cette cohorte de personnages paumés, toujours laissés sur le bas-côté de la société américaine.

Comme toujours, ces nouvelles se déroulent pour l’essentiel dans le New Hampshire ou aux alentours.

Comme toujours chez Banks, elles mettent en scène presque exclusivement des divorcé(e)s qui multiplient les déceptions amoureuses et trouvent un refuge réconfortant mais destructeur dans l’alcool.

La figure du père est omniprésente à travers ces ouvriers plombiers ou charpentiers (ce que fut le père de Banks), respectés professionnellement, détestés en tant qu’individus parce que détestant progressivement eux-mêmes leurs épouses qu’ils finissent un jour ou l’autre par abandonner.

Le nomadisme, le vie en roulotte ou en mobile-home font le fonds de commerce de ces nouvelles, thèmes que nous retrouverons magnifiés dans “Trailer Park”.

Pour autant, ce recueil n’est pas le meilleur de Banks. L’unité y est obtenue par la récurrence du thème et les caractéristiques répétées sans cesse de ses personnages masculins, alcooliques, souvent dépressifs, ruinés par des divorces coûteux, volages et peu reluisants.

Il y manque un renouvellement, quelques nouvelles aux figures de style en rupture qui pourraient ponctuer une série qui finit par devenir monotone.

A réserver sans doute aux inconditionnels de Banks, non indispensable pour les autres.

Publié aux Editions Actes Sud - 206 pages

10.7.09

Une exécution ordinaire - Marc Dugain

Une des grandes forces de Marc Dugain est son étonnante capacité à se renouveler. Un renouvellement tant stylistique que sur les thèmes abordés.

Nous avions été enchantés par le style riche, charpenté de “Heureux comme Dieu en France”. Nous avions été bluffés par l’approche roman historique extraordinairement documenté, au style très sombre dans “La malédiction d’Edgar”.

Avec “Une exécution ordinaire”, M. Dugain aborde à nouveau l’histoire contemporaine. Pas sous la forme d’une auto-confession permettant de mettre à nu les dessous du système américain et de ses lobbies qui ont conduit à l’assassinat de Kennedy.

Cette fois-ci, Dugain nous entraîne sur l’autre continent de la guerre froide, l’URSS. Une fois encore, cet extraordinaire auteur et romancier qu’est M. Dugain va nous plonger au coeur du système. Un système politique et financier totalement corrompu et qui va préférer laisser mourir la totalité de l’équipage du sous-marin nucléaire en mer de Barents, à 100 mètres de fond, pour ne pas laisser voir son incurie.

Un système qui achète le silence des familles tout en les expatriant loin des lieux du drame.

Un système où tout le monde se sert, à tous les niveaux, avec pour objectif de s’enrichir à tout prix et le plus vite possible.

Un système où dire la vérité ne se conçoit pas. Le mensonge et la manipulation sont les fondamentaux mêmes du système politique du pays. Regardez ce qui se passe en ce moment avec Kasparov...

Très documenté, très précis, le récit fait froid dans le dos. Il nous donne aussi à comprendre qui est vraiment Poutine et quel bourreau paranoïaque fut Staline. Car il semble que ce soit une constante dans la Grande Russie : il faut être fou et/ou implacable pour s’emparer d’un pouvoir tiraillé entre de multiples intérêts antagonistes.

D’un petit espion discipliné, dévoué au régime pourtant déliquescent, prêt à tuer sans état d’âme, Poutine deviendra le nouveau Maître, attendant son heure et coaché, en quelque sorte, par l’un des patrons du KGB, libre d’esprit parce que libre d’ambition politique personnelle. Un homme dont le grand-père fut le cuisinier du Tsar Rouge Staline.

C’est le politique froid, dénué de tout sentiment, stratège que Dugain nous donne à voir. C’est un Poutine redoutable, manipulateur et prêt à sacrifier les siens que nous découvrons, sans grande surprise à dire vrai. Il suffit d’avoir observé sa gestion de la guerre en Tchétchénie, ses procès fiscaux envers les opposants pour comprendre que le pouvoir est un plat qui ne se partage pas pour Vladimir.

C’est sur cela aussi que Dugain nous invite à réfléchir. La fin du roman, noire et sarcastique, résume en soi l’esprit de corruption et de règlements de comptes qui règne en ce beau pays.

On entre comme toujours avec Dugain de plein-pied dans le roman, immédiatement happé par cette extraordinaire capacité à nous porter dans le coeur même d’un récit hallucinant.

Une leçon d’histoire contemporaine.

Publié aux Editions Gallimard - 350 pages

2.7.09

La pension Eva – Andrea Camilleri

Que cache donc la pension Eva, cette bâtisse imposante et fermée devant laquelle Nenè, un jeune garçon d’une dizaine d’années, passe tous les jours en se rendant à l’école. Il paraît que es hommes s’y rendent pour contempler des femmes nues !

Andrea Camilleri, Sicilienne née en 1925, nous emmène dans son île natale au moment de la prise du pouvoir par les fascistes et jusqu’à la défaite et au débarquement américain. Elle rédige ce court roman à l’âge de quatre-vingts ans.

Son parti pris est d’écrire dans un italien simple, fortement mâtiné de dialectes et de patois. La traduction respecte habilement cette approche au départ assez déroutante. Une façon de rendre immédiate la perception sans ambages des choses de la vie par des êtres simples.

Nous allons suivre le parcours de Nenè, ses premiers émois amoureux, de la découverte du corps féminin grâce à son audacieuse et délurée cousine Angelica jusqu’à la possibilité de pouvoir enfin franchir le seuil de la pension Eva pour consommer, obtenir son passeport de petit mâle.

Le récit réussit alors à s’écarter de la banalité, du mille fois ressassé dans lequel il se tient beaucoup dans toute sa première partie. L’intérêt réside dans l’approche originale voulue par l’auteur. Une approche qui consiste à donner à voir un bordel non comme un lieu de plaisir et de débauche, mais comme un microcosme social.

Un microcosme qui a ses règles, ses rites. Un monde où les putes sont aussi et avant tout des femmes que Nenè, le désir brûlant enfin assouvi, va alors observer, écouter, consoler, chastement.

Car Nenè est avant tout un tendre, un poète doublé d’un amoureux des choses simples de la vie.

Alors, nous aussi nous découvrirons la compassion de ces filles qui changent à chaque quinzaine et nous assisterons aux petits miracles qui égayent leurs vies : la vision d’un saint tentateur et généreux, la descente d’un ange, aviateur nu accroché à son parachute, l’octogénaire ragaillardi d’avoir échappé par miracle à la mitraille du bombardement….

Et puis, la guerre s’installant, les filles restant, de belles et simples histoires d’amour vont s’installer.

Mais tout partira en fumée dans le déchaînement des bombes et des tirs anti-aériens. La paix revenue, il sera temps de devenir définitivement un homme en fumant sa première cigarette.

Décidément, les rites ont la peau dure !

Une curiosité, gentille. Un petit bonbon pour passer un petit moment.

Publié aux Editions Métailié – 134 pages