5.8.09

Les poussières de l’effacement – Gamal Ghitany

« Les poussières de l’effacement » ce sont les fragments de mémoire, les souvenirs furtifs qui remontent à la conscience d’un vieil homme arrivant à moins d’un an de son départ à la retraite. Ce vieil homme, c’est l’auteur lui-même qui saisit ce prétexte pour coucher ici, dans ce qui constitue le cinquième carnet d’un travail de mémoire, une foule de souvenirs, d’impressions et de questionnements qui ont ponctué et continuent de ponctuer sa vie. Pour autant, le parti-pris de l’auteur fait fi des conventions en usage dans ce genre littéraire. Aucun travail chronologique, aucune structuration du récit. Les souvenirs remontent à la conscience, plus ou moins précis, souvent fanés, les visages des êtres entrevus gommés, ne surnageant plus que la silhouette, l’impression d’ensemble, l’ambiance générale que le temps n’a pas déstructurés. Ces remontées sont le plus souvent suscitées par une photographie, un lieu, un mets croisés par hasard et un tableau ramené à la vie entraîne un autre souvenir, le tout se déroulant en une corolle nostalgique et chatoyante, aux couleurs du Moyen-Orient.

Ghitany étant Egyptien, nous sommes invités à parcourir Le Caire en tous sens. Certes, pour celles et ceux qui comme moi ne connaissent pas cette megapole, l’évocation des lieux et des noms aux consonances incompréhensibles pour un non-arabophone rend parfois le parcours délicat. Mais Ghitany n’a pas besoin de forcer son talent pour nous associer à ses souvenirs éveillés tant l’écriture est précise et le travail de traduction remarquable.

On y croise une galerie de personnages pittoresques, du bourreau cairote à la retraite avec lequel il est facile d’échanger dans l’un des nombreux cafés de la ville, au barbier qui terrorisait l’auteur enfant et aux notables souvent morts au cours de l’un des nombreux conflits qui ont agité la région depuis soixante ans ou plus.

La cuisine y tient une place particulière car elle fait appel aux sens, aux odeurs, aux couleurs qui font que nos souvenirs ont une saveur particulière et infiniment personnelle. Les femmes aussi, souvent entrevues et qui par leur beauté, leur mystère, leur grâce ou leur charme ont suscité des émois la plupart du temps restés au rang de fantasmes seulement envisagés et aussitôt abandonnés. Ce sont, avec les fragments consacrés aux parents, les plus belles pages dont le livre est parsemé.

Aborder « les poussières de l’effacement » n’est pas si simple que cela. Il faut se laisser prendre par un rythme d’une très grande lenteur car le rappel du temps passé est un travail qui inconsciemment vise à freiner l’égrainement du temps présent qui fuit trop vite. Les pages étant denses et l’écriture solide, difficile d’en absorber plus qu’une quarantaine par heure sans risquer la saturation.
Probablement, la meilleure lecture qui soit est celle qui s’intercalerait avec la lecture d’un roman plus conventionnel parce que linéaire, à l’image de ce que notre cerveau appelle comme séquences diffuses une fois que nous reposons un bouquin pour vaquer à une quelconque nouvelle occupation.

Sans avoir été enchanté par ce très long et dense carnet, je ne peux que lui reconnaître une qualité intrinsèque indéniable tant littéraire qu’historique, presque anthropologique. En outre, Ghitany a une étonnante capacité à réinventer son écriture autour de séquences qui, à force de se multiplier, finissent par se ressembler. On voyage dans le temps et le monde, observe les conflits de la région et apprivoise peu à peu un art de vivre oriental hédoniste et généreux.

Publié aux Editions Seuil – 432 pages