6.12.09

On ne boit pas les rats-kangourou – Estelle Nollet


Un titre étrange, qui retient l’attention, pour un livre assez fascinant qui nous a, par moments, rappelé l’univers étrange, noir et solitaire, perdu en plein désert qu’avait dressé Percival Everett dans « Blessés ». Un beau compliment quand on sait que le livre d’Estelle Nollet est son premier roman !

Que font ces quelques hommes et femmes échoués en plein désert ? Ce hameau de quelques âmes semble avoir été abandonné de tous. Seuls s’y trouvent un bar glauque, repoussant de saleté et où l’alcool semble couler indéfiniment à flot, et une épicerie fournissant l’essentiel. Ces deux commerces sont ravitaillés par des camions venus de nulle part et qui n’acceptent de livrer que si personne ne les voit comme s’ils avaient peur d’être pris à partie et que l’on tentât de s’emparer d’eux pour fuir.

Car chacune des femmes, chacun des hommes apparaît comme reclus dans ce lieu maudit, abruti de soleil, manquant d’eau, isolé du monde. Ils semblent avoir cherché depuis des années la sortie en sillonnant les collines de pierrailles, en s’écorchant les pieds et les âmes pour revenir, toujours, dans ce bar qui cristallise le renoncement et donne à chacun à voir dans celle des autres sa propre infâmante déchéance.

Dans cet enfer(mement) se trouvent deux êtres singuliers qui sont les seuls à n’avoir pas été menés ici car ils y sont nés, à peu de temps d’intervalle. Il y a Willie, 25 ans, qui cherche un sens à une vie qui en est dépourvue depuis qu’il a vu mourir, à dix ans, ses parents dans l’incendie de leur ferme. Il y a Doug, le simple d’esprit, son unique ami, du même âge, fils d’un couple effacé et qui se tient en marge de la bande d’alcooliques qui forme l’essentiel de cette échappée de l’enfer. Un fils qui passe son temps à creuser des trous, béatement, sous un soleil de plomb, pour les faire admirer à Willie.

Alors, un jour, sans crier gare, Willie décide de partir à la recherche des raisons qui font qu’on ne peut s’échapper de ce village maudit, de comprendre en quoi cet emprisonnement physique et mental est porteur, ou non, de sens. Pour cela, il va lui falloir interroger les habitants, un à un, amener à les confesser pour qu’ils acceptent de dire ce qui les a, chacun, menés jusqu’ici.

De beuveries en errance, au fil d’un temps qui n’en finit pas de s’écouler, chacune de ces âmes perdues va laisser apparaître les grandes ou les petites raisons qui font qu’ils ont en quelque sorte renoncé à vivre.

Au fur et à mesure que cette recherche de sens progresse, un climat de tension dramatique s’installe et se densifie. Car Willie ne pourra faire l’économie de comprendre comment et pourquoi ses parents sont morts en même temps qu’il découvrira d’autres morts restées jusque là précieusement cachées. Une quête de vérité qui va petit à petit casser les codes en usage, faire exploser le groupe jusqu’à ce que les conditions d’un drame soient réunies pour finir par éclater.

Du chaos et du sang jaillira l’espoir, le courage de voir les choses autrement que celles aux quelles on s’est résigné. C’est un livre fort, brillamment construit, à la fois pudique et terrifiant, mélange de conte fantastique et de tragédie classique, une sorte de descente dans l’enfer psychique que nous donne Estelle Nollet. Une sacrée réussite qui devrait signer la naissance d’un auteur sur lequel compter.

Publié aux Editions Albin Michel – 2009 – 328 pages