16.1.10

Les héros de la frontière - Antonio Soler



Antonio Soler, jeune romancier espagnol, signe ici son premier roman. Un sacré coup de maître, étonnant de verve, d’imagination. Un roman qui rappelle parfois le style haut en couleurs de cet autre romancier espagnol que nous admirons au plus haut point : Juan Manuel de Prada. En moins imaginatif, en moins riche au plan du vocabulaire certes, mais tout aussi explosif de délires !


Nous voici au coeur d’une ville écrasée d’ennui quelque part en Espagne. Solé, célibataire et écrivain public, mit misérablement en faisant usage d’une improbable clientèle de son ami qui tient le salon de coiffure local. Ses tarifs sont forfaitaires et dépendent de la longueur du texte qui lui est confié. L’imagination littéraire de ses clients étant des plus concise, il se permet d’enrichir les missives de quelques tournures de son choix, sans en référer à ses clients illettrés.


Solé fréquente assidûment le bar local où se retrouve une clique de personnages attachants, pauvres voire miséreux et qui soignent leur détresse ou leur solitude dans un alcool renouvelé par les nombreuses tournées.


Un aveugle, Rinela, ami de Solé, qui survit en vendant des billets de loterie, client acariâtre du bar où il cherche sans cesse querelle, fait découvrir à Solé ce qui se passe derrière la mince cloison de son appartement misérable. Le chiffonnier Chacon, homme ragoûtant et rustre, est un maître dans l’art de faire chanter le corps de sa femme, Rosaura.


Chaque soir, une nouvelle symphonie de cris, de soupirs, de frôlements ou de caresses se déchaîne et plonge Rinela dans un abîme de pâmoison et de désirs pour sa belle et généreuse voisine. Un désir qui va enfin trouver à s’exprimer lorsque Rinela assistera à un assassinat particulièrement violent dans la chambre de ses voisins douteux, Rinela achetant son silence par la possibilité de déclencher à loisir une symphonies de jouissance en s’introduisant à son tour dans le corps merveilleux de Rosaura.


Mais tout a un prix et l’histoire se terminera mal.


Ce qui fait le charme de ce roman est l’expression toute méditerranéenne des sentiments. Il n’y a pas de demi-mesure. La passion, la jouissance, la violence, la cupidité doivent exploser à tout prix. Une fois apparue, impossible de les réfréner et autant les entretenir pour donner du relief à une existence dominée par la misère.


Une explosion soutenue par un vocabulaire aux forts contrastes où l’absence de couleurs du monde de l’aveugle côtoie le rouge sang, les murs chaulés écrasés de soleil, l’odeur putride de la décharge publique et la couleur mauve qui s’échappe du corps sans cesse sollicité de la drôlesse assassine de Rosauria.


Un beau coup d’essai et un grand coup de chapeau de Cetalir.


Publié aux Editions Albin Michel - Les grandes Traductions - 230 pages