25.2.10

Personne – Gwenaëlle Aubry


« Personne » est un livre d’une rare densité, tissé à l’aide d’une écriture précise et exigeante tout en étant touchant de sincérité et d’humanité.

Gwenaëlle Aubry semble a priori avoir beaucoup d’atouts en mains pour réussir dans la vie. Elle est séduisante et intelligente, diplômée de l’ENS en Philosophie et auteur de plusieurs romans à l’écriture ciselée. Mais elle est aussi la fille d’un père difficile à assumer, un père aimé et incompris, malheureux et abandonné. « Personne » en donne un portrait forcément subjectif, intensément touchant en même temps qu’il explique pourquoi Mme Aubry a choisi une carrière littéraire.

François-Xavier Aubry, son père donc, fut un avocat brillant ainsi qu’un professeur émérite de droit, dispensant, entre autres, ses cours à l’ENA. Auteur de nombreux ouvrages et articles, il fut un théoricien expliquant la dérive centralisatrice de l’Etat. Mais, frappé d’une psychose maniaco-dépressive, il décida peu à peu de se retirer en soi, tentant d’affronter sa mélancolie, abandonnant ses fonctions après avoir été abandonné de son épouse tout en s’éloignant de ses deux filles.

Parce qu’à la mort de son père l’auteur trouva un manuscrit de ce dernier, forme de confession souvent lucide de ce « mouton noir » qui l’envahit et le dévore, elle décida d’essayer de mieux comprendre celui qui fut un père mais surtout un inconnu, un être inquiétant et imprévisible, qui quitta les feux et les atours de la République jusqu’à glisser au statut de SDF alcoolique quittant la rue pour séjourner, de plus en plus longuement, dans des hôpitaux psychiatriques.

Alors, comme il faut bien tenter de dire qui cet homme fut, quelle meilleure idée que de composer un portrait composé de scénettes, sortes de stèles funéraires, toutes adossées à chacune des vingt-six lettres de l’alphabet.

Nous découvrirons ainsi un père qui se prenait parfois pour Bond (B), ressemblant à Jean-Pierre Léaud (L) ou à Dustim Hofman (D), un père un peu pirate (P) et utopiste (U). Un père enfant, un homme de cinq ans d’âge mental, souvent charmant avant que de sombrer définitivement dans la psychose. Un père qui s’humanise a posteriori, malgré la folie omniprésente qui force à l’éloignement physique et psychologique, grâce aux bribes de souvenirs associées à des extraits du manuscrit posthume, souvent beau et poétique. Un père qui choisit de ne devenir Personne après avoir été Quelqu’un.

C’est un terrible témoignage, poignant et intime, parfois sublime qui nous est livré ici, catharsis devenue possible une fois que le courage en a été trouvé. Un très beau livre, récompensé fort justement par le Prix Femina 2009.

Publié aux Editions Mercure de France – 2009 – 159 pages

19.2.10

De l’autre côté de l’été – Audrey Diwan


« De l’autre côté de l’été » est le premier roman d’Audrey Diwan. Autant dire que c’est une réussite d’autant plus surprenante que la jeune auteur avait choisi un sujet difficile. Son pari consiste à nous faire croire en ce coup de folie qui prend une femme à l’aube de sa soixantaine. Quittée par son mari depuis quelques années, elle cohabite avec sa fille qu’elle ne comprend pas, autant sujette au désordre dans sa vie que la mère se raccroche à l’ordre apparent pour ne pas avoir à se confronter à la réalité. Cette femme tourne à vide, ne fait rien de ses journées, fuit les relations sociales et trompe son ennui et son désespoir dans l’abus de pilules garantes d’effacer la réalité pour la rendre plus supportable.

Pourtant, un jour, alors qu’elle semble avoir renoncé à tout, elle décide de s’offrir un homme sous la forme du joli et jeune serveur dans ce restaurant où elle se morfond à écouter vaguement les cancans de deux copines qui tentent désespérément de ne pas la laisser lâcher prise.

La solution quand on n’a plus les atouts en main pour séduire consiste à acheter, à contractualiser des relations que toute normalité condamnerait a priori. Alors le jeune homme acceptera de venir passer chaque soirée et chaque nuit chez cette femme car son rêve est de partir faire le tour du monde, ce qui nécessite de l’argent dont il ne dispose pas.

Le débarquement de cet homme dans un appartement qui n’en recevait plus depuis longtemps va rapidement faire exploser les conventions bourgeoises qui y régnaient, surtout quand cet homme est plutôt bohème. Grâce à lui, la bientôt vieille femme va trouver la force de faire le ménage de son passé et peu à peu se reconstruire, au fur et à mesure que les relations de pure convenance vont prendre de la consistance avec le temps et sa succession de petits gestes, de courtes étapes qui vont faire progresser chacun des protagonistes l’un vers l’autre, chacun à sa façon.

Personne ne comprendra ce qui a bien pu prendre la délaissée, la désaimée. Ni son mari qui fait naufrage de son côté, ni sa fille dont elle découvrira avec étonnement grâce aux yeux de l’autre ce qu’elle n’avait jamais su voir comme étant son secret. Bien sûr, elle finira seule et difficile sera sa reconstruction quand on s’est prise au jeu, qu’on a cru que l’impossible pourrait devenir une voie inespérée.

A nul moment le roman ne sombre dans le vulgaire ou dans d’inutiles clichés. Au contraire, il y a beaucoup d’intelligence et de subtilité, une maturité psychologique étonnante pour un auteur qui n’avait pas trente ans quand elle a rédigé ce livre. Chaque scène est touchante de vérité, rendue avec une écriture simple et dont la luminosité progresse avec la vie qui reprend.

Ma seule réserve concerne les deux derniers chapitres du livre. Tout en respectant les choix de l’auteur et de l’éditeur, je trouve cependant que ces chapitres donnent une convenance qui dépareille un peu avec le reste de l’ouvrage. Ils confèrent certes de l’humanité au jeune serveur qui semblait jusqu’ici plutôt jouer une partie en solitaire et dont il voulait tirer le plus grand avantage. Mais en arrêtant le roman avec le départ du bellâtre, on aurait laissé un tableau fait de noirceur et laissant toute possibilité d’interprétation, et surtout, moins convenue que la fin retenue.

Un bien joli roman, cependant.

Publié aux Editions Flammarion – 2009 – 251 pages

12.2.10

Déjeuner de famille - John Cheever


John Cheever est considéré aux USA comme un romancier et nouvelliste majeur, réputé pour la froide férocité avec laquelle il met en scène la petite et moyenne bourgeoisie américaine.


Ce gros recueil de nouvelles, de longueur variable et qui présente l’originalité de se situer tout au long du XXe siècle, ne faillit pas à cette stratégie littéraire.


Pour autant, il nous semble qu’il lui manque en permanence du souffle pour emporter une adhésion totale de la part d’un lecteur peut-être blasé. Certes, la bonne société des gens normaux, de la classe moyenne américaine, n’y gagne pas en reconnaissance ou admiration. Ce sont les mille et un petits travers, les mesquineries, les tromperies, les illusions perdues qui se succèdent en trame de fond. C’est aussi ce qui rend ces personnages, très humains, attachants. Ils sont comme nous : faillibles et légèrement ridicules.


Mais, assez vite, on se lasse. A tel point, que la lecture des différentes nouvelles s’enfonce dans une lente monotonie, légèrement insipide. Un Russel Banks, autre maître en la matière, aurait sans doute su y donner le côté drôle et sarcastique qui manque cruellement ici pour en faire une oeuvre marquante.


Publié aux Editions Joelle Losfeld - 303 pages

9.2.10

Une affinité véritable - Saul Bellow



Tout Prix Nobel qu’il soit, Saul Bellow a commis ici un roman qui, je dois le dire, m’a laissé au mieux de marbre.


Etais-je si fatigué ce jour-là que je sois passé à côté d’un chef-d’oeuvre ? Pas si sûr, sans forfanterie de ma part.


Rien, à bien y penser, pour racheter ce roman dont le traitement m’a semblé d’une totale confusion. Un style anodin, une absence de spiritualité alors que la situation (un original qui rachète une concession et qui se fait enterrer aux côtés de sa belle-soeur dans la haute société new-yorkaise) s’y prêtait.


Le lecteur, balladé sans transition d’un personnage à l’autre, d’un lieu à un autre est immédiatement perdu dans un fatras romanesque où, bientôt, on ne retrouve plus ses petits.


Il n’existe pas la moindre aspérité qui mérite de racheter ce très court roman, ce qui constitue là son seul intérêt.


Bref, je n’ai pas aimé, et j’assume !

6.2.10

La nuit de Fort-Haggar – Stéphane Héaume


Première rencontre avec cet auteur qui fait parler de lui depuis 2002 en ramassant quelques prix au passage. Dans ce cas, on ouvre toujours le roman en se disant qu’il devrait nous révéler une surprise, une petite ou grande joie littéraire. Force est malheureusement de dire que nous avons été extrêmement déçus par ce récit aussi invraisemblable que mal ficelé. Quand on combine la pauvreté des dialogues, fort nombreux au demeurant (ce qui allège la peine), avec un style qui manque autant de conviction que de souffle, qu’on y greffe une histoire à faire peur à un mauvais scénariste hollywoodien, que chaque rebondissement semble presque cousu d’avance, on obtient un récit qui frise le zéro pointé. On ne croit pas une seconde à cette intrigue et ce n’est pas l’écriture, plate et quelconque de Monsieur Héaume, qui va la sauver.

Voici en quelques lignes de quoi il retourne.

Julia Schlick, photographe de presse, se fait enlever par un improbable cavalier surgi de nulle part. Elle se retrouve entre les mains d’un mystérieux avocat, Henri Lamartre, sorte de grand prêtre d’une mystérieuse organisation internationale chargée de sauver les enfants enlevés du monde. Bon, cela commence plutôt mal…

Pour recouvrer sa liberté, il lui faudra accepter de se rendre dans un fort millénaire, réputé inexpugnable, situé aux confins du Tchad et du Niger, le Fort-Haggar. Là-bas se trouve reclus son amant, grand reporter, qu’elle aime toujours d’un amour passionné et total et qui disparut brutalement, sans laisser de traces trois ans plus tôt.

Celui-ci est accusé par Lamartre d’être le complice et l’amant de la reine d’une tribu de femmes guerrières qui sème la terreur et la mort, massacrant tout dans la région, pour s’emparer des enfants dont elles font ensuite commerce.

Commence alors une longue traversée du désert où les tentations amoureuses, les batailles sanglantes, les trahisons en série sur fond de manipulation finiront malgré tout par mener la belle à la rencontre d’une vérité sur fin mélodramatique. Coupure !

C’est ridicule et franchement mauvais !

Publié aux Editions Seuil – 2009 – 291 pages