19.2.10

De l’autre côté de l’été – Audrey Diwan


« De l’autre côté de l’été » est le premier roman d’Audrey Diwan. Autant dire que c’est une réussite d’autant plus surprenante que la jeune auteur avait choisi un sujet difficile. Son pari consiste à nous faire croire en ce coup de folie qui prend une femme à l’aube de sa soixantaine. Quittée par son mari depuis quelques années, elle cohabite avec sa fille qu’elle ne comprend pas, autant sujette au désordre dans sa vie que la mère se raccroche à l’ordre apparent pour ne pas avoir à se confronter à la réalité. Cette femme tourne à vide, ne fait rien de ses journées, fuit les relations sociales et trompe son ennui et son désespoir dans l’abus de pilules garantes d’effacer la réalité pour la rendre plus supportable.

Pourtant, un jour, alors qu’elle semble avoir renoncé à tout, elle décide de s’offrir un homme sous la forme du joli et jeune serveur dans ce restaurant où elle se morfond à écouter vaguement les cancans de deux copines qui tentent désespérément de ne pas la laisser lâcher prise.

La solution quand on n’a plus les atouts en main pour séduire consiste à acheter, à contractualiser des relations que toute normalité condamnerait a priori. Alors le jeune homme acceptera de venir passer chaque soirée et chaque nuit chez cette femme car son rêve est de partir faire le tour du monde, ce qui nécessite de l’argent dont il ne dispose pas.

Le débarquement de cet homme dans un appartement qui n’en recevait plus depuis longtemps va rapidement faire exploser les conventions bourgeoises qui y régnaient, surtout quand cet homme est plutôt bohème. Grâce à lui, la bientôt vieille femme va trouver la force de faire le ménage de son passé et peu à peu se reconstruire, au fur et à mesure que les relations de pure convenance vont prendre de la consistance avec le temps et sa succession de petits gestes, de courtes étapes qui vont faire progresser chacun des protagonistes l’un vers l’autre, chacun à sa façon.

Personne ne comprendra ce qui a bien pu prendre la délaissée, la désaimée. Ni son mari qui fait naufrage de son côté, ni sa fille dont elle découvrira avec étonnement grâce aux yeux de l’autre ce qu’elle n’avait jamais su voir comme étant son secret. Bien sûr, elle finira seule et difficile sera sa reconstruction quand on s’est prise au jeu, qu’on a cru que l’impossible pourrait devenir une voie inespérée.

A nul moment le roman ne sombre dans le vulgaire ou dans d’inutiles clichés. Au contraire, il y a beaucoup d’intelligence et de subtilité, une maturité psychologique étonnante pour un auteur qui n’avait pas trente ans quand elle a rédigé ce livre. Chaque scène est touchante de vérité, rendue avec une écriture simple et dont la luminosité progresse avec la vie qui reprend.

Ma seule réserve concerne les deux derniers chapitres du livre. Tout en respectant les choix de l’auteur et de l’éditeur, je trouve cependant que ces chapitres donnent une convenance qui dépareille un peu avec le reste de l’ouvrage. Ils confèrent certes de l’humanité au jeune serveur qui semblait jusqu’ici plutôt jouer une partie en solitaire et dont il voulait tirer le plus grand avantage. Mais en arrêtant le roman avec le départ du bellâtre, on aurait laissé un tableau fait de noirceur et laissant toute possibilité d’interprétation, et surtout, moins convenue que la fin retenue.

Un bien joli roman, cependant.

Publié aux Editions Flammarion – 2009 – 251 pages