30.4.10

L’étoile du matin – André Schwarz-Bart

Le moins que l’on puisse d’André Schwarz-Bart, membre de l’Académie Française et décédé en 2006, est qu’il ne laissa pas une production littéraire des plus abondantes. Délibérément absent des cercles littéraires, il s’était retiré en Guadeloupe après le succès considérable de son roman phare, premier roman d’ailleurs, « Le Dernier des Justes » qui fut couronné du Prix Goncourt en 1959.

Il ne publia de son vivant que deux nouveaux écrits « La Mulâtresse Solitude » en 1972 et, quelques années auparavant, en collaboration avec son épouse, Simone Schwarz-Bart, elle-même romancière, « Un plat de porc aux bananes vertes » en 1967.

« L’étoile du matin » est un roman posthume que son épouse décida de publier en 2009. Un roman qui mit de longues années à mûrir et dont l’accouchement final se pressa alors que la maladie avançait et annonçait le départ de plus en plus proche et probable de l’auteur qui dicta certains passages à sa femme et son fils depuis son lit.

Tenter de synthétiser « L’étoile du matin » est une véritable gageure tant l’ouvrage s’inscrit à part. La meilleure définition que l’on puisse en donner est celle d’un conte hassidique, condensé de vision ironique et désillusionnée d’un Juif qui a cessé de croire en l’existence de son Dieu sans toutefois se départir des traditions souvent exubérantes et ostentatoires, festives ou exaltées de cette branche du Judaïsme.

Le parti-pris de l’auteur est le suivant. En l’an 3000, la Terre est désertée de ses habitants après un conflit nucléaire majeur qui a vu les peuples du monde entier émigrer vers des exo-planètes où ils vivent désormais en harmonie.

Une sorte d’archéologue en mission dans ce pays qu’on appelait autrefois Israël découvre deux énormes malles remplies de documents qui relatent le récit d’une extermination du peuple errant autour de l’an deux mille. C’est bien sûr de l’holocauste dont il est question.

A travers la vie romanesque de Haïm, l’auteur va nous donner sa vision du monde qu’il s’apprête à quitter. Haïm est le cadet des cinq fils du cordonnier de la petite ville polonaise de Podhoretz. Son père est le lointain descendant d’un autre savetier qui découvrit l’usage du violon, quelque part au XVII ème siècle, et en enchanta les siens au point de lui prêter des vertus miraculeuses qui lui valurent la visite du prophète Elie avant de devenir, par la force, le rabbin d’une communauté dont il se retira, ne pouvant supporter la douleur du monde.

Au moment où la seconde guerre mondiale éclate, le père de Haïm que tous croyaient rustre, fut le seul à comprendre que les « deux pharaons », Hitler et Staline, allaient s’en prendre aux Juifs et leur faire connaître à nouveau les pires abominations. C’est pourquoi il eut la présence d’esprit de faire fuir ses enfants avant que tous les Juifs du village ne soient méthodiquement exécutés dans la forêt proche.

Haïm, après que son frère aîné ait décidé d’aller mourir avec les siens, devient le chef d’une famille orpheline. Il va se retrouver enfermé dans le ghetto de Varsovie puis envoyé à Auschwitz, après que ses trois frères soient morts du typhus dans le ghetto. Il réchappera de l’enfer pour vivre ensuite une vie détachée, vidée de tout sens du fait de la barbarie à laquelle il aura assisté. Pour autant, il est sans ressentiment, conscient que les bourreaux furent habilement manipulés, conditionnés. Sa seule certitude est que Dieu est mort et que les trompeuses visites du Prophète Elie distribuant le pain aux enfants orphelins de Varsovie n’étaient qu’un leurre et la manifestation de la protection soucieuse du bon docteur en charge de l’orphelinat dans lequel il fut recueilli.

Le livre est d’une intense beauté, celle que donne la vision fantasmagorique d’un monde de croyances qui s’évanouit, se dissout dans la bestialité humaine et qui, jamais, ne pourra plus être comme avant. C’est aussi un témoignage envers les millions de disparus, la grande chaine d’hommes et de femmes qui ont fait de Schwarz-Bart ce qu’il fut avant qu’il ne s’en aille la rejoindre.

Publié aux Editions Seuil – 2009 – 251 pages

23.4.10

Lignes de faille – Nancy Huston


Pour bien appréhender ce magnifique et dernier roman de la romancière et essayiste d’origine canadienne qu’est Nancy Huston, il faut avoir à l’esprit que l’auteur fut elle-même abandonnée par sa mère à l’âge de six ans. Cet abandon hante une grande partie de l’œuvre romanesque de N. Huston et constitue le point de départ de ce roman même si nous ne le comprendrons qu’à la toute fin du livre.

La structure romanesque empruntée par l’auteur est d’une assez grande subtilité et d’une relative complexité. Nancy Huston sème son récit d’indices, d’anecdotes, de propos ou de scènes dont nous ne comprendrons le sens qu’en progressant dans le récit. Une progression qui d’ailleurs se fait en remontant dans le temps et à travers la voix de quatre enfants, tous âgés de six ans, tous confrontés à la violence d’un monde qui implose sous les coups de butoir de guerres absurdes aux quatre coins du monde, tous devant composer avec une structure familiale qui sombre et provoque ces « lignes de faille » qui donnent leur titre au roman.

C’est cette structure et le parti pris de donner la parole à des enfants d’une étrange maturité, extrêmement troublante, qui font la force du livre. Des enfants témoins de scènes qui les marqueront à jamais, qui structureront le reste de leur vie, les projetteront plus tôt que de nécessaire vers le monde instable et stressant des adultes. Et lorsqu’ils deviendront à leur tour parent, ils transféreront inconsciemment une grande partie de leurs troubles vers leurs propres enfants qui tous héritent d’une double caractéristique : d’une part, ils ont tous une tâche de naissance qui les marquent, en font symboliquement un être à part, impur, dans lequel ils trouvent un moyen de confidence en instaurant entre leur esprit et cette tâche un dialogue qui les rassure. D’autre part, ils sont tous ce que nous appellerions aujourd’hui des enfants précoces, capables de lire très tôt, d’apprendre avec rapidité et facilité les langues étrangères indispensables à leur adaptation à des transferts de continents et de culture auxquels les adultes les obligent, capables, aussi et surtout, d’écouter, de décoder les étranges comportements de leur structure familiale.

La tâche qu’ils portent tous symbolise aussi le Mal dont ils sont le vecteur passif et inconscient. Un Mal qui trouve son origine dans les Fontaines de vie, ces sortes de fermes mises en place par les Nazis dans lesquelles des femmes sélectionnées donnaient naissance à de parfaits petits aryens. Des fermes aussi dans lesquelles transitaient des centaines de milliers de jeunes enfants, correspondant aux critères imposés par le régime hitlérien, qui furent arrachés de force à leurs parents des pays que l’Armée occupait après les avoir vaincus.

C’est à cette origine, à une longue séquence de secrets familiaux lourdement tus, que Nancy nous convoque à travers les yeux des enfants qui en sont les victimes.

Tout commence avec Sol, un petit garçon qui, en 2004, se prend pour Dieu parce qu’il pense tout comprendre et que, grâce à Google, il a accès, sans que ses parents ne le sachent, à toute la violence du monde, celle des exécutions sordides d’Al Quaida, celle des femmes qui se font violées par des brutes ou des animaux.

Sol est le fils de Randall, Juif du fait d’une mère goy qui s’est convertie avec fanatisme au Judaïsme et qui s’est lancée dans des recherches folles sur les Fontaines de Vie. Randall découvrira à six ans la propre violence des Juifs, celle faite aux Palestiniens massacrés à Chabrat et Chatyla, avant de devenir lui-même un ardent et actif pourfendeur du terrorisme arabe.

Randal est fils de Sadie, élevée aux Etats-Unis par un oncle psychiatre mais pas psychologue pour un sou et une tante acariâtre et hostile. Une jeune fille placée sous la contrainte permanente, conditionnée pour survivre à la guerre nucléaire entre la Russie et les Etats-Unis, éduquée pour devenir une parfaite femme au foyer, abandonnée par une mère qui l’eut trop jeune avant que celle-ci ne la reprenne brutalement.

Sadie est la fille de Kristina, sage jeune fille élevée en pleine seconde guerre mondiale par un couple d’Allemands, la mère qui perdra son fils aîné sur le front de l’Est, sans mari parti à la guerre, secondée par son père. Kristina qui découvrira brutalement la vérité sur sa famille et deviendra une grande chanteuse internationale au nom étrange dont nous comprendrons la signification à la toute dernière ligne.

Il en résulte un authentique chef-d’œuvre, récompensé par le Prix Femina 2006, à lire de toute urgence !

Publié aux Editions Actes Sud Babel – 2006 – 489 pages

17.4.10

Melnitz – Charles Lewinsky


La Suisse est-elle une si belle terre d’accueil ? C’est la question que l’on est en droit de se poser après la lecture de ce copieux roman sous forme de saga familiale. De 1871 à 1945, nous allons suivre, sur cinq générations, la vie d’une famille de Juifs émigrés en Suisse et leur ardent désir de s’intégrer à un pays qui a du mal à se défaire de ses préjugés et son antisémitisme souvent primaire.

Nous découvrons tout au long de ce roman attachant des aspects profondément méconnus de notre voisin réputé pourtant si policé. Ceux d’un pays qui commença par parquer les juifs dans des zones bien délimitées et où il était de bon ton, dans la bourgeoisie, de tenir avec un certain mépris les pratiquants de la religion mosaïque.

Un pays qui vit aussi l’avènement d’un Front pro-nazi, qui fit voter l’interdiction des abattages kascher avant que de soutenir ouvertement et violemment, en s’en prenant physiquement aux Juifs, le régime hitlérien jusqu’à faire fermer les frontières à tout Juif à partir du milieu des années trente.

Dans ce contexte qui se manifeste de façon sporadique et plus ou moins sournoise, chacune des générations de la famille Meijer que nous allons suivre, va tenter à sa manière de trouver un équilibre entre l’appartenance à une tradition, à une culture et à une religion omniprésentes tout en trouvant sa place, par le travail ou l’esprit d’entreprise, dans le monde social helvète.

Comme dans chaque famille, il y aura des succès ou des échecs. Quel chemin parcouru entre l’oncle Salomon, le marchand de bestiaux au bon sens paysan, rusé mais honnête et qui cherche à gagner la fidélité durable de ses éleveurs en battant la campagne de la bourgade d’Endigem à pied, son parapluie à la main, et la troisième génération ! Une génération personnifiée par Schmoul, qui s’est fait baptiser au grand dam de la famille et a pris le nom de François, histoire de faire oublier sa judéité et de s’approprier le terrain sur lequel il pourra enfin faire bâtir le plus grand magasin de Zurich.

Comme dans toute famille, l’amour tient une place particulière. Il y a celui qui vient avec le temps à coups de mariages arrangés entre familles juives de même niveau social pour sceller des alliances, toucher une dote qui permettra d’investir dans de nouveaux projets tout en renforçant l’appartenance à la communauté. Bien sûr, parfois tout cela est troublé par une impossible histoire entre une Juive et un goy qui se terminera d’autant plus mal que la guerre de 14 viendra durement endeuiller la famille.

La cinquième génération sera la génération sacrifiée par la deuxième guerre mondiale. Celle de Ruben, profondément croyant, sauvé une première fois de l’enfer par son père qui est venu le sortir d’une souricière qui s’était refermée sur lui au moment du déclenchement de la première guerre mondiale alors qu’il étudiait le Talmud avec un grand maître en Galicie. Ruben qui, devenu rabbin, s’est installé en Allemagne et disparaîtra brutalement avec sa femme et ses quatre enfants, sans laisser de traces, en 1937.

Bref, c’est l’Histoire mondiale que nous suivons et vivons de près, de la défaite de Sedan aux deux grandes guerres mondiales et ses répercussions incessantes sur la famille Meijer.

Tout au long de ce roman apparaît l’oncle Melnitz, mort depuis bien longtemps, figure spectrale du martyre des Juifs depuis les temps les plus reculés, témoin caustique des tourments dans lesquels les pauvres êtres se débattent sans nécessairement comprendre que le monde est en train de s’écrouler autour d’eux, en dépit de leur apparente réussite personnelle.

On comprend beaucoup mieux, à la lecture de ce beau livre, le poids qu’a la religion dans la tradition juive. Une religion lourde d’interdits, de symboles, tournée vers le passé et où les textes anciens et abscons sont censés donner une clé de lecture du temps présent. Une religion qui fige dans l'éternité ceux qui s'y consacrent.

Il en résulte un livre hautement recommandable pour autant que vous puissiez y consacrer le grand nombre d’heures qu’exige sa lecture.

Publié aux Editions Bernard Grasset – 2008 - 777 pages

9.4.10

Au temps où la Joconde parlait – Jean Diwo


Retrouver Jean Diwo est un bonheur dont on ne se lasse pas. L’auteur qui s’est fait une spécialité des romans historiques nous conte ici, avec brio, imagination et recours à une somme de données historiques, l’avènement de la Renaissance qui bouleversa les arts dans tous les domaines et ouvrit la voie vers les évolutions plus tardives.

Nous pénétrons dans le roman avec un peintre méconnu, Alessandro de Messine, alors qu’il n’était encore qu’un jeune apprenti au service d’un maître italien spécialiste des fresques à la détrempe. Alessandro est fasciné par les toiles du maître flamand Van Eyck quia mis au point dans le plus grand secret un nouveau vernis qui donne à ses toiles un éclat, une lumière jusqu’ici inconnus. Il va, par un concours de circonstances, partir à dos de mule, traverser l’Europe, rencontrer Van Eyck, entrer à son service et ramener en Italie, en cette fin de XVeme siècle le secret de fabrique du maître.

Cette nouvelle technique va faire sa gloire et précipiter l’Italie vers la Renaissance. Car à cette même époque, trois génies absolus vont, tour à tour, chacun à leur manière, révolutionner les arts.

Tout d’abord Leonardo da Vinci, bâtard d’un petit notaire, entré à l’atelier d’un des grands maîtres italiens classiques (c’est-à-dire n’ayant pas encore adopté la technique flamande) où il fascine par le naturel et l’élégance de se dessins. Vinci est beau comme un Dieu, tout entier tourné vers un monde intérieur. Sa pensée universelle qui touche à la peinture (ce pour quoi il est le plus connu et qui fascina les Grands de son époque), à la sculpture (il tenta de réaliser la plus grande statue de bronze jamais conçue dont le moule fut détruit par les soudards à la solde des Français qui s’emparèrent de Milan, à la chimie. Mais sa vraie passion fut celle d’un ingénieur versé dans les arts militaires, l’hydrologie, la mécanique des fluides, la philosophie, la nature… Sa vie est un roman, celle du plus grand génie de son temps que se disputent les Cours d’Europe rivales.

Michelangelo fut son contemporain, plus jeune de quelques années. Ils furent longtemps rivaux malgré le respect qu’ils se portaient mutuellement. Michelangelo étonna le plus grand sculpteur de son temps lorsqu’à dix sept ans, sans formation autre que celle d’avoir aidé son père à tailler des blocs de marbre dans les carrières d’Italie, il réalisa un satyre stupéfiant de vie et de réalisme, à l’image des plus belles réalisations antiques. Immédiatement repéré, il connut une gloire immédiate et grandissante au service des plus grands et des seize papes qui se succédèrent de son vivant. Son caractère ombrageux et dépressif lui causa bien des soucis et seul son génie le sauva plus d’une fois d’une totale absence de diplomatie. Comme Da Vinci, il fut avant tout sculpteur, mais aussi, bien sûr, peintre, lui qui réalisa sur de longues années, dans des conditions de travail épuisantes, l’éblouissante chapelle Sixtine qui laissa sans voix le pape, les cardinaux et toute l’Europe de ce seizième siècle. Mais, on le sait moins, il fut aussi architecte, celui à qui l’on doit l’aboutissement d’un chantier pharaonique initié malhabilement par Brabante, sauvé du désastre par Michelangelo : la basilique Saint Pierre de Rome qui écrase de sa majesté.

Plus tardif mais toujours contemporain, Rafaelo qui admirait ses ainés, posa les bases d’une peinture nouvelle, vivante, colorée qui bouscula les canons. A trente ans il était le peintre le plus en vue, maintenant que Da Vinci vieillissant ne peignait presque plus et que Michelangelo s’épuisaient sur la Sixtine ou le tombeau du Pape Jules II. L’Europe entière se le disputait tandis que le Pape lui confiait les charges écrasantes de conservateur des antiquités de Rome ou le soin de réaliser moult relevés topographiques. Il mourut d’épuisement à trente sept ans, là où ses ainés s’éteignirent à plus de soixante dix ans pour Leonardo et plus de quatre vint pour Michelangelo. L’art, en cette Renaissance explosive, était universel et ne pouvait se mesurer qu’à des êtres universels, de génie, prêt à tout donner pour recevoir gloire éternelle.

On suit ces quatre vingt années qui bouleversèrent à jamais notre monde avec fascination et sans jamais le moindre ennui. Quel talent, Mr Diwo !

Publié aux Editions J’ai lu – 1993 – 507 pages

1.4.10

Terre des oublis – Duong Thu Huong


« Terre des oublis » est un livre étonnamment fort tant sa charge émotionnelle est élevée. Rares sont les ouvrages qui, une fois refermés, continuent de vous hanter au point de vous empêcher d’entamer le nouveau roman qui vous attend. Il m’aura fallu 48 heures de décompression pour me laisser déshabiter de ce livre extraordinaire.

L’impact est d’autant plus fort que la langue est d’une grande simplicité. Mais c’est une langue qui entoure le lecteur, le plonge dans la luxuriance de la jungle vietnamienne, l’horreur des scènes de carnage d’une guerre d’indépendance atroce avant que de retourner à un érotisme sensible qui constitue une composante fondamentale de l’ouvrage. Bref, c’est l’histoire du Vietnam moderne qui nous est contée dans cette saga personnelle. Un Vietnam qui fut déchiré par une guerre fratricide avant que d’être broyé par un communisme aveugle et stupide au point de s’immiscer dans la vie intime de tout un chacun en poussant des jeunes femmes à épouser des vétérans de guerre grabataires, infirmes et défigurés par obligation citoyenne et pression socilae. Un Vietnam où le poids des traditions va obliger à des sacrifices sordides et inhumains parce que la loi, non écrite, l’exige et parce que la peur de résister, de s’opposer aux autres, d’assumer le choix de cœur et non celui d’une raison déraisonnable est le ressort qui gouverne.

Miên est une jeune femme mariée à Hoan, un homme plus âgé qu’elle de sept ans, tendre et travailleur, à la tête d’une prospère exploitation, dont elle a un enfant. Sa vie se déroule jusqu’ici dans la sérénité. Ce tableau idyllique va s’effondrer avec le retour inattendu de Bôn, son premier mari, officiellement déclaré mort, tombé sur le champ d’honneur de longues années plus tôt.

Parce que Bôn la désire et alors qu’il n’est plus qu’un être décharné, souffreteux et enlaidi par une guerre qui l’a vidé de tout souffle, Miên va devoir abandonner tout ce qui compte pour elle : son mari aimant, sa maison luxueuse et surtout son fils chéri. Parce que la tradition exige le retour vers ce premier mari malgré tous les actes officiels qui justifieraient du contraire.

Commence pour elle une vie de calvaire, avec un homme qu’elle n’aime plus et qu’elle va se mettre à détester, dans une cahute sordide en proie à une horde familiale de gueux bestiaux où règne la faim. Un homme qui n’est plus bon à rien, obsédé par l’idée de la posséder charnellement en dépit d’une impuissance répétée.

En alternant les chapitres entre le temps présent et le monde passé, nous allons suivre le cheminement personnel de chacun des membres de ce trio dramatique. Nous comprenons qui ils sont et ont été, les épreuves terribles par lesquelles Bôn a du passer au point de devenir un zombi au sortir d’une guerre implacable, et aussi, partager leurs pensées intimes sur le désespoir qui habite chacun d’eux dans un présent qui ôte toute raison de vivre. Car cette vie n’a plus de sens. Elle pousse Hoan aux pires dépravations dans les bordels les plus crasseux, Miên à se réfugier dans une position d’hostilité de plus en plus frontale, Bôn à abandonner le peu de santé et de raison qui lui restaient pour retrouver une virilité inutile.

Une descente aux enfers dans un Vietnam encore englué dans un Communisme buté et où la compromission et la corruption sont monnaie courante.

Le roman terriblement sombre pour l’essentiel connaîtra malgré une fin qui est celle de la vie qui finit toujours par reprendre ses droits. On en sort bouleversé et profondément ému par la justesse de ton, la pudeur et la dignité qui ont permis de maintenir le récit juste au bord de l’insoutenable. Le livre fut récompensé en 2007 par le Grand prix des lectrices de Elle.

Publié aux Editions Sabine Wespieser – 700 pages