17.4.10

Melnitz – Charles Lewinsky


La Suisse est-elle une si belle terre d’accueil ? C’est la question que l’on est en droit de se poser après la lecture de ce copieux roman sous forme de saga familiale. De 1871 à 1945, nous allons suivre, sur cinq générations, la vie d’une famille de Juifs émigrés en Suisse et leur ardent désir de s’intégrer à un pays qui a du mal à se défaire de ses préjugés et son antisémitisme souvent primaire.

Nous découvrons tout au long de ce roman attachant des aspects profondément méconnus de notre voisin réputé pourtant si policé. Ceux d’un pays qui commença par parquer les juifs dans des zones bien délimitées et où il était de bon ton, dans la bourgeoisie, de tenir avec un certain mépris les pratiquants de la religion mosaïque.

Un pays qui vit aussi l’avènement d’un Front pro-nazi, qui fit voter l’interdiction des abattages kascher avant que de soutenir ouvertement et violemment, en s’en prenant physiquement aux Juifs, le régime hitlérien jusqu’à faire fermer les frontières à tout Juif à partir du milieu des années trente.

Dans ce contexte qui se manifeste de façon sporadique et plus ou moins sournoise, chacune des générations de la famille Meijer que nous allons suivre, va tenter à sa manière de trouver un équilibre entre l’appartenance à une tradition, à une culture et à une religion omniprésentes tout en trouvant sa place, par le travail ou l’esprit d’entreprise, dans le monde social helvète.

Comme dans chaque famille, il y aura des succès ou des échecs. Quel chemin parcouru entre l’oncle Salomon, le marchand de bestiaux au bon sens paysan, rusé mais honnête et qui cherche à gagner la fidélité durable de ses éleveurs en battant la campagne de la bourgade d’Endigem à pied, son parapluie à la main, et la troisième génération ! Une génération personnifiée par Schmoul, qui s’est fait baptiser au grand dam de la famille et a pris le nom de François, histoire de faire oublier sa judéité et de s’approprier le terrain sur lequel il pourra enfin faire bâtir le plus grand magasin de Zurich.

Comme dans toute famille, l’amour tient une place particulière. Il y a celui qui vient avec le temps à coups de mariages arrangés entre familles juives de même niveau social pour sceller des alliances, toucher une dote qui permettra d’investir dans de nouveaux projets tout en renforçant l’appartenance à la communauté. Bien sûr, parfois tout cela est troublé par une impossible histoire entre une Juive et un goy qui se terminera d’autant plus mal que la guerre de 14 viendra durement endeuiller la famille.

La cinquième génération sera la génération sacrifiée par la deuxième guerre mondiale. Celle de Ruben, profondément croyant, sauvé une première fois de l’enfer par son père qui est venu le sortir d’une souricière qui s’était refermée sur lui au moment du déclenchement de la première guerre mondiale alors qu’il étudiait le Talmud avec un grand maître en Galicie. Ruben qui, devenu rabbin, s’est installé en Allemagne et disparaîtra brutalement avec sa femme et ses quatre enfants, sans laisser de traces, en 1937.

Bref, c’est l’Histoire mondiale que nous suivons et vivons de près, de la défaite de Sedan aux deux grandes guerres mondiales et ses répercussions incessantes sur la famille Meijer.

Tout au long de ce roman apparaît l’oncle Melnitz, mort depuis bien longtemps, figure spectrale du martyre des Juifs depuis les temps les plus reculés, témoin caustique des tourments dans lesquels les pauvres êtres se débattent sans nécessairement comprendre que le monde est en train de s’écrouler autour d’eux, en dépit de leur apparente réussite personnelle.

On comprend beaucoup mieux, à la lecture de ce beau livre, le poids qu’a la religion dans la tradition juive. Une religion lourde d’interdits, de symboles, tournée vers le passé et où les textes anciens et abscons sont censés donner une clé de lecture du temps présent. Une religion qui fige dans l'éternité ceux qui s'y consacrent.

Il en résulte un livre hautement recommandable pour autant que vous puissiez y consacrer le grand nombre d’heures qu’exige sa lecture.

Publié aux Editions Bernard Grasset – 2008 - 777 pages