27.9.10

Sex, Foot, Royalties

Sex, Foot, Royalties

Paru sous le titre complet suivant : « Raymond Domenech - Sex, Foot, Royalties – Entretiens avec Estelle – La fausse interview », ce livre truculent et fort bien renseigné nous donne à voir la face cachée du couple Domenech/Estelle Denis.

Un livre prémonitoire aussi car, paru en Avril 2010, il donnait déjà les clés d’un échec assuré d’une équipe nationale de football minée par une absence de leadership, de vision et confiée aux mains de celui qui fut, probablement, le pire sélectionneur, à tous points de vue, de l’équipe nationale.

Comme le titre prend bien soin de le préciser, l’interview imaginée de Domenech par sa compagne, la journaliste Estelle Denis, est fausse. Toutefois, chacun des faits relatés y est vrai et leur juxtaposition complétée de l’explication que l’auteur, qui connaît son sujet sur le bout des doigts, en donne par la voix du principal intéressé est fort éclairante.

On y voit un Domenech qui fut un joueur redouté pour sa brutalité et ses actes d’anti-jeu qui lui auraient valu, de nos jours, une exclusion à vie des stades. On y voit un homme avant tout préoccupé de son intérêt personnel, de sa maximisation financière, prêt à tout pour tirer quelques euros de plus comme nous le rappelle l’histoire des billets de la Fédération revendus sous le manteau par Domenech en Irlande avant que l’affaire ne soit étouffée par la FFF.

On y apprend (et tout ceci est largement vérifiable en quelques clics sur internet)que Domenech aura toujours rêvé d’être un acteur, qu’il a d’ailleurs joué dans quelques pièces de théâtre souvent montées par son compère Stéphane Tournu-Romain (STR) et quelques téléfilms. Qu’il aura géré l’équipe de France espoirs comme un bande scouts, lui faisant subir des stages d’expression collective ahurissants mis en scène par son compère STR. Que ce féru d’astrologie aura cherché, sans jamais la trouver, l’équipe idéale en laissant les astres décider et en éliminant systématiquement les joueurs préférés de son éternel rival, chouchou de Zidane et de la grande équipe vainquer de la Coupe du Monde 1998, Laurent Blanc, alias « La Touillette ».

Qu’il aura tenté en vain de prendre les rênes de l’équipe nationale Irlandaise quand cela commençait à chauffer pour lui au vu des résultats de l’équipe de France. Que grâce à l’incompréhensible soutien indéfectible d’Espallette, il parvint à sauver sa peau à moultes reprises.

On comprendra sa stratégie de communication qui visait à toujours promettre plus pour plus loin en tirant parti de tactiques de communication à l’américaine orchestrées par STR. On y lira la clé de son ahurissante déclaration de demande en mariage le soir même de l’élimination de la Coupe d’Europe après un match catastrophique contre l’Espagne.

Comme le tout est écrit en tournant habilement en ridicule l’ami Raymond en faisant de lui un manipulateur égocentrique tout en décrivant une relation de couple pour le moins inhabituelle avec sa compagne qui a l’âge de sa fille aînée, on se réjouit à longueur de pages aux frais de ce trublion qui réussit à mener ce qui avait tout pour constituer une grande équipe à la situation grotesque et dont le monde entier se gausse à laquelle nous avons déplorablement assisté en Juillet dernier.

La seule bonne nouvelle c’est finalement que Domenech est maintenant mis hors jeu. Espérons que ce soit à vie !

Publié aux Editions Nova – 2010 – 189 pages

24.9.10

La bataille – Patrick Rambaud


Voici un Prix Goncourt (1997) particulièrement mérité.

Ecrit dans une langue solide, riche, héritière d’une belle tradition classique et romantique, ce roman subjugue immédiatement. Particulièrement si, comme moi, vous êtes amateur d’histoire et encore plus (ce qui est mon cas), passionné par l’épopée Napoléonienne.

Nous voici aux portes de Vienne en 1809. L’armée impériale, épuisée par la défaite espagnole, affamée par le blocus anglais, occupe la capitale de l’empire austro-hongrois. Une armée qui a perdu de son lustre, habillée souvent des dépouilles des soldats ennemis tombés sous les boulets ou les baïonnettes. Une armée formée pour l’essentiel de jeunes soldats qui doutent et manquent d’expérience.

Mais une armée tenue solidement par l’Empereur qui la fait vibrer par ce même magnétisme qui est le propre des grands hommes militaires et politiques. Un empereur qui a su s’entourer d’hommes de confiance qu’il a faits généraux ou maréchaux de France et qui lui doivent richesse, gloire, fortune, maîtresses…

Cependant, l’archiduc d’Autriche entend prendre une revanche après la bataille d’Austerlitz. C’est à Essling, aux portes de Vienne, qu’une bataille essentielle va se jouer. Une bataille d’une férocité sans pareille qui laissera morts plus de quarante mille hommes au bout de deux jours d’une intensité démentielle. Une bataille qui en annoncera une autre, un mois plus tard, à Wagram.

Avec un luxe de détails historiques incroyable, une précision absolue, Patrick Rambaud nous plonge au cœur des évènements. Nous sommes tour à tour cuirassiers, hommes d’infanterie, artilleurs ou grenadiers. Nous vivons et mourrons en héros, déchiquetés par les boulets, éventrés lors de corps à corps où tous les coups sont permis surtout quand les munitions manquent.

L’une des grandes réussites de ce roman est de nous montrer les doutes qui s’emparent du commandement militaire à la tête d’une armée qui n’a plus le lustre d’antan. Doutes augmentés par la supériorité numérique de l’ennemi, par sa capacité à retarder l’acheminement des renforts attendus de l’armée d’Italie.

Mais la dévotion, le sens du sacrifice, la volonté de se comporter en héros feront la différence face à l’Archiduc qui hésite sur la conduite à tenir et qui est ébranlé par une armée impériale qui se bat jusqu’à son dernier souffle et qui lui inflige des pertes incalculables.

L’Empereur finira par l’emporter de justesse, sans nette victoire, au bord lui-même de l’implosion, acculé avec les restes d’une ramée affamée, mutilée et ravagée dans une île au milieu du Danube.

Grâce au mélange superbement équilibré de personnages historiques dont beaucoup y laisseront la vie et de quelques personnages de fiction très représentatifs des hommes de base de cette armée en fin de règne, Patrick Rambaud réussit un tour de force remarquable.

Tout amateur de belles lettres et/ou de romans historiques se doit de lire ce roman complété de notes historiques très documentées.

Publié aux Editions Grasset – 302 pages

17.9.10

Les heures souterraines – Delphine de Vigan


Delphine de Vigan nous avait enchanté avec « No et moi » dont vous trouverez un compte-rendu sur Cetalir. On y voyait déjà cette solitude dans la ville, cette vie en marge au bord du gouffre et au seuil de nos portes, toutes choses qui sont au centre de son dernier roman « Les heures souterraines ».

Ce roman est sombre et laisse planer très peu d’espoir pour les deux êtres ballotés par la vie mais que l’épuisement professionnel et la vie personnelle vidée de toute joie et de substance vont finir par détruire psychologiquement. D. de Vigan fait du thème de la solitude dans la ville, en particulier dans une ville comme Paris, un élément central de son roman. La multitude, malgré ses apparences de trépidation, ses embouteillages, ses galères régulièrement orchestrées par les régies de transports publics est en fait le meilleur moyen de fabriquer de l’isolement, de retrancher les faibles, les plus fragiles dans une zone abandonnée dont il leur sera sans doute impossible d’échapper in fine.

« Les heures souterraines » sont ces moments cruciaux de notre vie où tout va basculer sans qu’on s’en rende compte sur le moment. Une fois le point d’inflexion franchi, il sera impossible de revenir sur ses pas et il faudra de longues heures, un long moment, d’un processus invisible, souterrain, pour inéluctablement vous détruire et jeter sur le bas-côté pour sans doute à jamais.

Nous allons précisément suivre ce processus et, en particulier, son dénouement destructeur, son apothéose explosive finale à travers deux personnages dont tout laisse à penser qu’ils sont appelés à se croiser.

Mathilde et Thibault sont totalement étrangers l’un à l’autre. Ils vivent certes à Paris mais n’ont ni amis communs, ni activité commune. Pourtant, chacun d’eux en cette journée du 21 Mai va suivre un parcours parallèle, passer par des pensées identiques, vivre des moments de stress intense et se frôler, sans le savoir. Chacun avait besoin de l’autre pour s’en sortir mais cette rencontre n’aura jamais lieu car ils auront été broyés et rendus ainsi aveugles, racornis sur leur propre douleur, leur anéantissement.

Broyée, Mathilde l’est depuis qu’elle a osé tenir tête, à peine, à son chef, autoritaire et irascible qui lui avait donné sa chance huit ans plus tôt, en l’embauchant après qu’elle soit brusquement devenue veuve et en charge de trois jeunes enfants. Depuis trois mois, elle vit un enfer quotidien, un harcèlement moral qui la dépouille peu à peu de toute responsabilité, de toute personnalité, de toute perspective, au point de faire d’elle une loque. Alors, en ce matin du 21 Mai, elle a décidé de se reprendre en main, de s’en sortir mais le mécanisme souterrain en œuvre, impitoyable et froid, semble inarrètable.

Broyé, Thibault l’est. Médecin urgentiste, il visite trois mille patients par an, sillonne Paris en tous sens, voit toute la misère du monde, toute l’exclusion que fabrique la capitale. Il est épuisé physiquement et, surtout, il a fini par rompre avec Lisa depuis ce matin même. Lisa qu’il aimait à la folie alors qu’elle ne se donnait jamais autrement que dans des parties de sexe torrides, qu’elle refusait le moindre geste de tendresse et restait à la lisière d’une relation engageante.

Pas à pas, la journée de Mathilde et Thibault va être disséquée. Les scènes, pourtant déroulées à distance, se déroulent selon un parallélisme presque parfait au point qu’il semble inéluctable que Mathilde, qui a besoin d’un médecin et d’un homme capable d’un amour sincère finisse par rencontrer Thibault qui saura soigner Mathilde et qui recherche une femme avec laquelle enraciner une vie à la dérive. Mais les heures souterraines creusent leur ravin et cela ne peut finir que par l’engloutissement.

Un nouvel opus magnifique d’un auteur qui s’impose dans le paysage littéraire contemporain.

Publié aux Editions JC Lattès – 2009 – 300 pages

10.9.10

Le siège – Rocco Carbone


Il y a beaucoup de « L’aveuglement » de Saramento dans ce roman italien à découvrir de Rocco Carbone.

Une pluie de sable se met à tomber en pleine nuit au-dessus d’une ville sans nom dans un pays qui n’en porte pas non plus. Une pluie qui ne s’arrête plus, qui recouvre les chaussées, bloque tout trafic.

Bientôt, toute vie économique s’arrête et les habitants qui le peuvent encore ou en ont le courage se mettent à fuir. Curieusement, les autorités, au courant de la situation, ne font rien pour intervenir. On aperçoit l’armée et la marine au loin, mais rien, aucun mouvement.

Laissée à elle-même, la population qui a choisi de rester doit s’organiser. Se procurer de l’eau, de la nourriture, organiser les tâches parmi les rares habitants des immeubles devient la priorité absolue. Tant bien que mal, une vie nouvelle, sommaire, se met en place.

La pénurie de nourriture venant, le sable s’accumulant, le temps passant, la tension augmente. Commencent à se révéler les véritables personnalités et ressurgissent les conflits latents jusqu’à devenir paroxystiques.

Rocco Carbone met en scène avec un certain talent et une retenue à la limite de la froideur, ce qui est le principal reproche à adresser à ce roman par ailleurs remarquable, une galerie de personnages qui vont tout risquer pour s’en sortir en conservant leur dignité et leur humanité quand, autour d’eux, le chaos s’installe.

Car, rapidement, une fois les prisonniers de droit commun évadés, la ville tombe aux mains de la pire racaille. Vols, pillages, exécutions arbitraires, rapt des femmes soumises de force à la prostitution d’une horde de sauvage, internement des hommes jeunes devenus esclaves des nouveaux maîtres, c’est l’enfer qui s’installe.

Un enfer dans un désert de sable, oppressant. Un sable qui n’en finit jamais de tomber et qui rend tout déplacement à la recherche du minimum pour survivre, extrêmement périlleux.

Parmi ceux qui font jusqu’au bout preuve d’humanité, il faut compter un employé de bureau sans prétention et pour lequel la protection de sa famille et de ses voisins est la priorité absolue, sans recours à la violence. C’est autour de lui que la communauté va tourner et s’organiser. On y trouvera un médecin, un prêtre, quelques épouses et quelques vieillards qui deviennent des charges quand la vie est de plus en plus difficile.

Aucun d’entre eux n’échappera à un destin implacable dicté par le bon vouloir de la racaille qui s’est emparée d’une ville en état de siège.

Jusqu’à la lie le vin sera bu. C’est au bout du désespoir, de la résistance physique et psychologique que nous entraine Rocco Carbone avec une main de fer. A chaque nouvel épisode, on espère le calvaire fini mais il n’en est rien car l’imagination des hommes pour commettre le pire est sans limites.

Vous resterez scotchés par ce récit dur qui ne laisse pas souffler un lecteur qui compatit pour les innocentes victimes d’une version moderne de la huitième plaie d’Egypte.

Publié aux Editions Fayard – 243 pages

5.9.10

Le chasseur zéro – Pascale Roze


Prix Goncourt en 1996 pour un premier roman : pas si fréquent. Le chasseur zéro, c’est cet avion kamikaze qui a causé tant de dégâts sur la flotte américaine pendant la seconde guerre mondiale.

C’est un de ces chasseurs qui a précisément coulé le cuirassé sur lequel le père de Laura Carlson se trouvait. Un père qu’elle n’a jamais connu car elle n’était pas née au moment du drame. Un drame qu’on lui cache d’ailleurs et dont, enfant, elle cerne peu à peu les contours au travers d’une mère névrosée, dépressive, repliée dans ses souvenirs et la douleur d’avoir perdu celui qu’elle aimait.

Mais l’âge passant, élevée par ses grands-parents maternels qui s’enfoncent de plus en plus dans la sénilité, Laura va découvrir par elle-même la vérité en se livrant à des lectures documentées qui lui en apprendront plus que ce que sa famille veut en dire.

Elle va aussi et surtout faire connaissance par elle-même du chasseur zéro en laissant s’installer en elle un bourdonnement permanent. Une forme d’acouphènes qui symbolise la mort qui rôde, le chasseur qui gravite autour de sa proie et qui attend patiemment le moment propice pour causer la ruine d’une santé psychologique fragile.

C’est là la principale force du roman que d’avoir su emprunter une manifestation physique intangible, ancrée au plus profond de soi pour décrire comment ce père disparu et celui, métaphoriquement parlant, qui l’a tué vont entrainer peu à peu Laura dans une folie, un retranchement du monde, un suicide affectif qui n’auront pas d’autre issue que tragique.

Car comment réussir à vivre quand on redoute la survenue brutale d’un ennemi invisible, incernable, indomptable.

Certes, Laura s’équipe de boules Quies et absorbe des pilules roses pour dormir et calmer ses nerfs, mais ce bruit de moteur qui l’habite anéantit rapidement ses amours, ses liens sociaux.

C’est au naufrage de cette jeune femme, amoureuse d’un compositeur qui gagne la reconnaissance des siens, que nous assistons. Un naufrage qui trouvera son paroxysme lorsque l’amant de Laura, qui n’en peut plus du silence résigné dans lequel son amie se retranche, lui fera écouter une sublime composition qui traduit l’impact du chasseur zéro après son piqué sans retour possible.

Un impact qui ruinera le couple et laissera Laura seule face à elle-même. A elle de trouver les ressources de sortir d’une détresse dûment entretenue par une mère à moitié folle et dont elle aura découvert la détresse amoureuse à l’aube de son adolescence.

Ce roman de nature assez sombre est assez réussi et marque sans doute possible l’arrivée d’un auteur à remarquer. Fallait-il pour autant lui décerner le Goncourt ? La réponse est sans doute dans la question…

Publié aux Editions Albin Michel – 164 pages