10.11.10

Longtemps, je me suis couché de bonne heure – Jean-Pierre Gattégno

Une fois de plus, Gattégno réussit en quelques pages à créer un environnement subtil, mélange de poésie, de voyages intérieurs et de réalité sordide qui envoûte le lecteur. Un envoûtement auquel on échappera, et encore, qu’une fois ce superbe roman refermé.

C’est dans la simplicité apparente que Gattégno va puiser ici son inspiration. Sébastien Ponchelet est homme à tout faire dans une maison d’édition. Un job loin d’un domicile en banlieue défavorisée, mal payé et soumis à la torture psychologique d’un petit chef.

Pas trop le choix, car Sébastien sort de prison et vient d’être libéré sous conditionnelle après un braquage à main armée où il s’est laissé entraîner parce qu’il n’a pas osé dire non à un petit caïd.

La vie de Sébastien est banale, attristante : logé chez une pute qui lui ouvre de temps en temps ses cuisses, sans amour, sans tendresse, sans mouvements, il ne connaît ni passion, ni centre d’intérêt. Il est simplement loyal, discret, efficace.

Et puis, un jour sa vie va basculer en tombant par un concours de circonstances sur un manuscrit quasiment illisible, surchargé d’annotations que sa maison d’édition refuse de publier. Un livre où la première phrase, qui donne son titre au livre, le plonge dans un envoûtement et lui fait découvrir un autre monde que celui abrutissant de la télévision vide d’intérêt et que les cuites à la bière.

A partir de là, Sébastien va commencer un parcours personnel initiatique qui va l’amener à avoir un autre rapport aux livres que celui de les classer, les manipuler, les transporter du matin au soir. Un rapport fait de rêves, de poésie, de plongée totale, abandonnée, absolue dans un ouvrage qui sait vous captiver.

Gattégno se livre sans emphase, simplement, à une analyse approfondie du rapport de l’auteur au lecteur, du support au contenu, des mots à la pensée parallèle qu’ils entrainent chez ceux qui les découvrent et en qui ils raisonnent.

De là, Sébastien va progressivement ouvrir son cercle relationnel, découvrir les femmes et comprendre que l’amour est avant tout fait d’émotions dont il a tout ignoré jusqu’ici.

Parce qu’il a partagé la cellule VIP du plus grand voleur de tableaux vivants, il fut initié à la peinture et à la lecture que son codétenu de luxe pratiquait avec avidité, moyen intellectuel de s’évader d’un univers dénue de sens.

Leurs parcours vont encore se croiser et Sébastien va devoir affronter de multiples épreuves pour choisir le sens ultime qu’il souhaite donner à sa vie. Sera-t-il un éternel mauvais garçon, acceptera-t-il de se lancer à la découverte des univers artistiques et du monde des émotions insoupçonnées jusqu’alors.

Gattégno brosse ici un magnifique roman sur le désir, la capacité à dire, les inhibitions, l’importance des rencontres qui bouleversent une vie. Quel sens a la création ? Quel impact a-t-elle sur ceux qui la découvrent ou la subissent ? Quelles lectures d’une même œuvre avoir et pourquoi ?

Autant de thèmes qui sont abordées dans ce livre avec pudeur, sans forfanterie, enveloppés dans un univers drôle malgré la sordidité dont il est empreint.

Définitivement et absolument recommandé par Cetalir.

Publié aux Editions Actes Sud -271 pages