31.3.11

Le ciel est aux petits porteurs – Daniel Boulanger


Dieu que ce livre est assommant ! Mr Boulanger, tout sociétaire de l’Académie Française qu’il est, a commis un bien mauvais livre…

On n’y comprend rien. Bousculé par une écriture qui ne veut rien dire et qui copie pâlement la Cantatrice Chauve, le lecteur tente désespérément de s’accrocher.

Qui sont ces personnages qui se succèdent, que viennent-ils faire dans une succession indigeste de scénettes sans intérêt ? Quel est donc le propos ? Sommes-nous dans un monde devenu fou ou bien dans la tête d’un « nègre » dont l’esprit dégurgiterait des textes commis au nom des autres ?

Quelle est donc cette langue fantasque et assommante ?

Lassé au bout de trop longues cent pages, j’ai refermé le bouquin avant que d’avoir trouvé ou non les réponses, et l’ai remisé bien loin de mon estomac qui ne le supportait plus.

L’un des pires livres qu’il m’ait été donné de lire depuis trois ans !

Publié aux Editions Grasset – 245 pages

26.3.11

En censurant un roman d’amour iranien – Shahriar Mandanipour


L’humour et l’autodérision sont décidément des armes irrésistibles pour s’élever contre l’intolérable. Shahriar Mandanipour en fait avec son dernier roman un usage habile et pertinent pour dénoncer de façon subtile les dérives et la folie despotique du régime tyrannique iranien. Shahriar Mandanipour connaît bien son sujet, s’étant vu interdire de publication dans son pays natal et contraint à émigrer aux Etats-Unis où il réside et écrit désormais.

Imaginons donc un instant un auteur, iranien, à qui viendrait l’improbable idée d’écrire et de publier un roman d’amour en Iran. En quoi, me direz-vous, cela constitue une hypothèse improbable ? Tout simplement parce que le régime islamiste despotique a eu pour première préoccupation de concentrer le pouvoir dans les mains de quelques exaltés dont le premier objectif fut, et reste, d’asservir les femmes en les recouvrant d’étoffes pour mieux les dissimuler à leurs fantasmes, à leurs désirs obscurs. Parce que le régime autoritaire, sous le prétexte fallacieux de ne point offenser la religion musulmane tournée en dogme, écornée en dictats absolus, s’efforce de contrôler toute velléité contestataire en ayant mis en place un bureau de censure sous les fourches caudines duquel il faut en passer si l’on veut être publié.

Dans ces conditions, face à une pruderie de façade et aux dérives d’une interprétation sans cesse plus restrictive, il est bien improbable de pouvoir publier une histoire d’amour entre deux jeunes gens, le contact direct entre les deux sexes étant soumis à un contrôle absolu dans le but de conserver les jeunes femmes vierges et soumises aux mâles dominants.

Notre écrivain fictif, dont il n’est pas difficile de reconnaître les traits de l’auteur lui-même, s’arrache donc les cheveux au fur et à mesure que son intrigue progresse. Chaque phrase, chaque mot sélectionnés font l’objet de toute son attention, le forçant consciemment ou non à une auto-censure qui rend le récit volontairement ridicule et vide de sens. La force de Shahriar Mandanipour est de saisir la progression chaotique d’un pseudo roman pour donner prétexte à des commentaires libres, véritable expression de la pensée du pseudo auteur, sur ce qui fait la faillite totale d’un peuple qui, un temps, domina le monde par sa culture avant que de ne cesser de faire l’objet des multiples remous de l’Histoire.

Tout cela est écrit avec une grande profondeur, une dose incroyable d’humour en forme d’auto-dérision et nous donne à voir ce que les organes officiels se gardent bien de conter. Une société corrompue, à bout de souffle, secouée dans des spasmes de révolte mâtée dans la violence et les arrestations arbitraires ; un monde de débrouille et de contournements ; un souci constant, entropique, pour ceux qui détiennent le pouvoir d’en faire un usage à leur seul profit ; un monde d’hommes frustrés, surveillés en permanence et à la merci de la moindre dénonciation ; une société qui s’appauvrit un peu plus chaque mois et dont les élites ont fui. Le message passe d’autant mieux qu’il s’inscrit en faux, en creux négatif, d’un pseudo roman censé finalement mettre en avant la réussite d’un régime condamné d’avance à tomber.

C’est remarquablement fait, terriblement efficace, et malgré le tragique de la situation, l’auteur sait nous arracher des saccades de rires et de sourires. Un très grand bravo !

Publié aux Editions du Seuil – 2010 – 406 pages

25.3.11

Et mon cœur transparent – Véronique Ovaldé


Si l’on devait rechercher l’archétype d’un romain résolument contemporain, en verve, avançant sans s’en laisser compter dans un environnement tissé de toutes pièces, je n’hésiterais pas à citer « Et mon cœur transparent ».

Un roman typiquement français, par son atmosphère si particulière, son intimité et sa pudeur. Un roman rebondissant, souvent drôle, malgré un sujet assez lourd. Drôle parce que Véronique Ovaldé a décidé de ne pas se prendre au sérieux tout en conduisant de main de maître son récit.

Lancelot est un brave type qui se laisse un peu mener dans sa vie. Divorcé d’une première épouse qui lui était devenue étrangère, il s’est remarié à une fille fantasque, beaucoup plus jeune que lui, belle, attirante. Il n’a jamais très bien compris comment ce mariage d’amour, miraculeux, a bien pu se produire.

Mais voici qu’encore fraichement marié, sa nouvelle épouse, Irina, disparaît dans un accident de voiture. Un accident bizarre, à un endroit où elle n’aurait dû se trouver, à une heure improbable, dans d’étranges circonstances.

Ebranlé par cette mort qui le laisse abandonné à lui-même, vaguement désœuvré, Lancelot, interpelé par les premières révélations de la police, va chercher à comprendre ce qui a pu se passer.

Un à un, les secrets d’Irina vont se révéler et Lancelot va découvrir qui était vraiment sa femme.

Mené un peu comme une enquête parallèle, le récit nous donne à réfléchir sur la perception que nous avons des autres, y compris les plus intimes. Que connaissons-nous vraiment d’eux ? Quel rôle nous font-ils jouer malgré nous ? Où commence la manipulation et où s’arrêtent les sentiments ?

Pour tenter de répondre à ces diverses interrogations, Lancelot va se confronter à un monde qui lui était totalement étranger. Un monde à la marge, en contestation souvent violente. Un monde dont il va devoir apprendre les codes, un monde qui va peu à peu lui devenir une nouvelle famille.

Sur cette route parsemée d’embûches, V. Ovaldé va poster une cohorte de petits personnages attachants parce que mal dans leur peau, en doute ou en quête d’amour, de reconnaissance ou simplement d’un peu d’attention.

Ce qui fait le charme du livre est un goût prononcé pour le merveilleux, l’improbable, le surprenant. Mené tambour battant, le livre nous entraine dans un tourbillon indispensable au personnage principal pour quitter une vie avant d’en endosser une autre malgré qu’il en ait (comme on disait au XVIIe siècle !).

Tout ceci se lit très vite et laisse un joli goût sucré et acidulé dans la bouche. A déguster sans hésitation.

Publié aux Editions de l’Olivier – 233 pages

18.3.11

Comme ton père – Guillaume Le Touze


Malgré un Prix Renaudot reçu en 1994, je dois dire avoir été assez insensible à de roman de Le Touze.

La faute sans doute à la structure romanesque qui repose sur une série d’auto narrations, intercalées dans l’espace et le temps, et dont nous finissons par comprendre peu à peu le sens et les interrelations. Un parti-pris certes bien conduit, mais qui peut se révéler fort perturbant si l’on aime la structure et la rationalité.

La faute aussi, et avant tout, à une première partie un peu aride et où l’on se dit que, encore une fois, nous allons être assommés par le thème un peu trop présent de l’homosexualité, de la différence et de l’exclusion qu’elle pouvait entrainer encore il y a une quinzaine d’années.

Fort heureusement, le passage brutal, en deuxième partie (Journal d’Emma) d’un livre qui en comporte six, en nous changeant d’époque (nous sommes dans la première partie du XIXe siècle alors que la première partie se déroule en 1994), de personnage (une jeune femme juste mariée en route pour prêcher la foi protestante en Afrique du Sud), nous donne envie de poursuivre une lecture qui avait failli s’arrêter là… Où Le touze veut-il nous conduire ? C’est la curiosité qui fait progresser une lecture un peu laborieuse.

Alors, peu à peu, nous comprenons.

Un homme, Paul, est venu se réfugier en Afrique du Sud. Il s’est caché au fond d’une grotte à Massitissi. Une grotte longtemps habitée par des missionnaires protestants au XIXe siècle, ses ancêtres. Nous allons tout en apprendre, à distance, via le journal intime d’une forte femme, Alsacienne, Emma.

Paul, après avoir été marié à Claudia et eu avec sa femme un enfant, Giuseppe, qu’il n’a jamais connu, a vécu une histoire d’amour absolue avec un homme. Pour lui, il a tout quitté.

Paul s’est enfui à nouveau lorsqu’il eut peur que l’âge, la maladie ne viennent détruire cet amour hors normes, incompris par les autres.

Giuseppe, malade et condamné, qui n’a jamais connu son père, décide de le rejoindre pour un dernier voyage, avant qu’il ne soit trop tard. Giuseppe, lui aussi, est homosexuel. Une façon de suivre ce père qu’il a admiré à distance, en imagination et de fuir une mère qui ne l’a jamais aimé, qui a vécu avant tout pour elle-même. Une femme qui s’est réfugiée à Rome auprès d’un mari trop parfait et embarrassée d’une sœur cadette fantasque et futile.

Tout cela est un peu trop écrit, parfois un peu convenu. La lecture manque totalement de naturel.

Finalement, « Comme ton père » se révèle un roman sur l’amour profond d’un père et d’un fils qui se découvrent enfin au soir de leurs vies et qui, malgré peu de mots mais beaucoup de maux, vont se donner l’absolution avant que le fils ne finisse par mourir.

Pour autant, « Comme ton père » méritait-il un prix littéraire ? A quinze ans de distance, pour moi la réponse est contenue dans la question…

Publié aux Editions de l’Olivier – 219 pages

12.3.11

Neutralité malveillante -Jean-Pierre Gattegno

N

Publié en 1992, ce roman est donc plus ancien que le superbe « Avec vue sur le royaume ». Cette antériorité se manifeste d’ailleurs par un style plus lâche, une écriture simple et une trame moins élaborée que dans les romans plus tardifs.

Mais l’inventivité, l’originalité, la moquerie sont déjà là et Gattégno possède un incomparable talent pour s’emparer de son lecteur, le fondre dans l’univers qu’il a spécialement conçu à cet effet.

Le personnage principal du roman, malgré les apparences, va se révéler comme une sorte d’archétype de l’anti-héros. Michel Durand est analyste. Il gagne sa vie (très bien) en écoutant passivement ses patients et ses patientes lui confier sans pudeur, les fantasmes, les pulsions, les frustrations dont ils sont victimes. Gattégno fait défiler une galerie de personnages névrotiques assez hilarante et représentative d’une société au bord du malaise.

A la base de la psychanalyse se trouve la distanciation entre le patient et le médecin qui ne doit pas former de jugement, rester neutre, tout en accompagnant son patient dans la recherche et la compréhension de son moi.

Or, c’est cette neutralité que Durand va perdre en acceptant d’être l’analyste d’un patient bizarre, inquiétant et de plus en plus manipulateur.

Un patient qui va s’appliquer à semer le doute en lui, à détruire le fragile équilibre du médecin, divorcé, victime de problèmes d’argent, obnubilé par un appartement de prestige décoré comme dans une revue spécialisée, poursuivi par ses créanciers et follement tenté par ses patientes ou collègues superbement sexies. Un patient qui va se jouer de lui pour, à son tour, plonger Michel Durand dans une descente alambiquée, rocambolesque et haute en couleurs et en surprises dans la compréhension d’un moi fort malmené. Une psychanalyse à distance et par tiers interposé, orchestrée par un manipulateur prévoyant, déterminé et implacable.

A tel point que Durand finira par détester son patient et perdre la lucidité et le recul dont il ne devrait pas se départir. Et le piège va se refermer…

L’imagination dont fait preuve Gattégno est incroyable. Nous allons de rebondissements en rebondissements, chaque épisode étant un prétexte pour se moquer gentiment de l’establishment, de la psychanalyse et de ses codes. On sourit souvent et prend plaisir à suivre une histoire abracadabrante dans laquelle tout le monde manipule tout le monde au mépris des règles de conduite et de déontologie.

Certes, la fin devient prévisible même si elle réserve une ultime surprise. Certes, l’écriture manque de force et le copinage du roman noir léger et des scènes un brin érotiques frôle parfois le style Arlequin, ce qui est le point le plus faible de ce roman.

Mais on pardonne à Gattégno qui sait si bien nous captiver et nous amuser. Et puis, c’était pour préparer d’autant mieux les livres du même auteur, plus aboutis, à venir.

Publié aux Editions Calmann-Lévy – 237 pages

5.3.11

Resplandy – Yves Bichet


Tout commence comme un improbable moment d’égarement. Bertrand, professeur d’arts plastiques sans ambitions particulières et sans histoire, vient de perdre son père dans un stupide accident de circulation. Alors qu’il a tout juste récupéré l’urne funéraire, à peine sortie de la crémation, il remarque une femme d’âge mûr qui elle aussi, vient de récupérer l’urne de sa mère.

Une attirance irrésistible le projette vers elle qui, loin de se refuser, l’attire à elle jusqu’à la consommation sexuelle, presque pulsionnelle. Une consommation qui s’achèvera par une incroyable scène de mélange des cendres funéraires entreprises avec détermination par Resplandy, cette amante déterminée d’un après-midi particulier.

Celle-ci disparue sans laisser de nouvelles, Bertrand n’aura de cesse que de partir à sa recherche en vue de comprendre chacun des gestes qu’il ne s’explique pas.

Dans un roman à tiroirs, Yves Bichet nous mène à son rythme volontairement lent pour appréhender les secrets familiaux qui peu à peu vont se révéler. Qui était vraiment ce père, cheminot apparemment anodin ? Qui est cette Resplandy et quel jeu mène-t-elle ? Comment un couple parvient-il à surmonter l’usure du temps, les petites infidélités ?

Ce roman est aussi et, surtout, au-delà de son intrigue vaguement policière car inquisitoriale, une réflexion à miroirs sur l’amour, l’attirance des corps, la puissance érotique de la nudité qui se voile dans l’ombre trompeuse de la nuit, la puissance destructrice de la passion.

Un roman qui donne une grande place aux femmes qui, finalement, mènent leur vie amoureuse à leur façon, n’hésitent pas à casser les codes, se montrent bien moins prudes que les hommes dont elles finissent par se jouer.

Il aura fallu la mort de la figure freudienne du père pour que les apparences tombent, pour que ce qui importe vraiment finisse par se révéler et s’imposer, pour découvrir ce que sont vraiment les épouses et mères ici souvent dissimulatrices et d’une grande force de caractère.

La fin inattendue nous laisse pantois, en forme d’un ultime pied de nez aux conventions, un rire moqueur glaçant de la part d’une femme qui, décidément, mène sa barque à sa façon sans se soucier de la part de destruction qu’elle porte en elle et qu’elle projette sur les hommes qu’elle manipule honteusement.

Certes le roman peine parfois à garder son cap, peut manquer ici ou là d’une densité. Il n’en reste pas moins très original et parfaitement recommandable en tant que tel.

Publié aux Editions Seuil – 2010 – 252 pages