15.5.11

Vendetta – R.J. Ellory


Le problème avec les romans d’Ellory est qu’une fois commencés, il devient impossible d’en sortir envoûté que l’on est par une intrigue savamment ficelée et qui réinterprète à sa façon un certain nombre de faits historiques, éclairant de façon peu glorieuses l’apparente démocratique Amérique de ces cinquante dernières années.

Vendetta est un roman extraordinaire, dans tous les sens du terme, un de ces livres qui vous hantera pendant longtemps, bousculant les notions de bien et de mal, démontrant avec brio que le pire sait parfaitement bien se dissimuler, se lover sous une apparence de bienséance sociale. C’est un roman qui vous plonge au cœur de la mafia, de ses codes, de ses règles du jeu, mortelles et inflexibles. Une mafia dont les intrications avec la politique sont ici savamment exposées, sans jamais que l’on sache où commence la vérité, où débutent la manipulation ou l’interprétation.

Une fois encore, comme dans « Les anonymes », c’est d’une confession dont il s’agit ici, celle d’un homme, Ernesto Perez, venu se livrer lui-même à la CIA après qu’il ait enlevé la fille du Gouverneur de la Louisiane. En échange d’indiquer où elle est détenue, sans que jamais il ne promette qu’on la revoit vivante, il exige que l’on fasse venir un obscur enquêteur judiciaire, Ray Hartman. Ce dernier a travaillé des années sur les pires affaires de meurtre et d’extorsion impliquant la mafia et c’est à lui qu’Ernesto Perez veut livrer le récit de sa vie jusqu’à ce qu’il décide qu’il en aura fini. Hartman l’alcoolique, le mari largué par sa femme et que le récit de Perez, la fascination que celui-ci opère sur lui, vont peu à peu remettre sur le droit chemin.

Commence une longue, très longue confession dont les règles du jeu ne sont connues que de leur auteur. Celle d’un Cubain d’origine, élevé dans la violence et qui aura vu sa mère se faire assassiner quasiment sous ses yeux par un père violent et alcoolique. Celle d’un jeune homme qui découvrira presque par hasard que tuer permet de s’approprier ce que l’on convoite en même temps qu’il procure une éventuelle jouissance, modeste, pas démonstrative. Celle d’un homme qui, d’étapes en étapes, par un concours de circonstances et aussi, et surtout, par ce don qu’il possède de tuer froidement et de disparaître sans jamais laisser de traces, deviendra le tueur à gages le plus titré de la mafia italienne. Celui auquel on fait appel pour les cas délicats, celui qui ne pose jamais de questions inutiles et qui sait s’adapter aux circonstances n’hésitant pas à supprimer violemment ceux qui ont fait de lui ce qu’il est quand le vent tourne et que les circonstances nécessitent de rapidement s’adapter aux seules fins de survivre.

C’est un demi-siècle de pègre qui défile sous les yeux ébahis de ceux qui sont forcés de l’écouter. Bien des mystères s’éclaircissent. Bien des pages mêlant politique et grand banditisme trouvent ici une explication jusque là introuvable.

Ce qui fascine dans ce récit, c’est le calme, la nonchalance avec lesquels Perez déroule sa confession. C’est aussi le rapport complexe d’estime et d’horreur qui régit la relation entre le confesseur, forcé d’écouter, et celui qui mène sa propre dance, à son rythme. Le dilemme permanent entre le désir de fuir et retrouver femme et fille avant qu’il ne soit trop tard et l’obligation d’entendre un défilé d’horreurs débitées avec intelligence, précision et dans une langue brillante. Sous des trésors de politesse et une épaisse couche d’étonnante culture générale se cache un monstre froid. Sous ce monstre se terre aussi un fabuleux manipulateur, un véritable génie de l’embrouille, un homme qui se jouera de tout et de tous pour satisfaire une vengeance personnelle qui aura attendu de longues années pour s’exprimer. Elle sera aussi terrible que l’attente, que la souffrance qu’il aura endurée, que le mépris dans lequel il aura été tenu, lui le Cubain, la pièce rapportée qui jamais ne pourra s’appairer aux familles italiennes prêtes à tout pour défendre les leurs en même temps que leurs formidables intérêts financiers.

Tout ce tonnerre grondera puissamment dans un déluge de dernières pages qui montrent le génie d’un auteur majeur du roman noir. Nous avions déjà encensé « Seul le silence » et « Les anonymes ». Nous porterons très très haut « Vendetta », un roman culte !

Publié aux Editions Sonatine – 2009 – 653 pages