30.7.11

Le script – Rick Moody


Oubliez tout ce que vous savez ou avez appris sur la littérature : Rick Moody a cette faculté incroyable à inventer une approche nouvelle, décapante et souvent déroutante tout en plongeant l’amateur dans un formidable sentiment d’admiration.

Le livre s’ouvre sur une première séquence mémorable ; digne d’être étudiée par toutes celles et ceux qui disent s’intéresser à la littérature. Une séquence de treize pages lyriques, exaltées et d’une poésie éclatante consacrée à la course du soleil à travers le monde. Un soleil qui traverse le monde, qui éclaire les civilisations, qui déniche les plus humbles, les guerriers, les terroristes, un soleil qui illumine l’histoire de l’humanité et donne la vie. Nous sommes à Los Angeles, patrie du cinéma, berceau des mégalomanes, des déjantés, haut lieu du crime et de la drogue.

Sans transition, et il en sera ainsi tout au long du livre, Moody nous catapulte dans un deuxième chapitre où nous assistons à la déchéance physique et orale d’une vieille femme. Nous sommes dans sa salle de bains où elle se vide les tripes dans une odeur insoutenable, perd son sang sans comprendre ce qui lui arrive et se console en se rinçant la bouche à coup de grandes lampées d’alcool.

A partir de ces deux scènes choc, radicalement antagonistes, l’auteur va échafauder un roman ébouriffant, trépidant et qui bouscule tout sur son passage.

Toute théorie sur la cursivité du discours se trouve remise en cause, l’auteur prenant un malin plaisir à brouiller les pistes en permanence. Certes, nous sommes toujours aux Etats-Unis, dans un Etat ou un autre, perdus au sein d’une des mégapoles ou paumées au fin fond d’un désert quelconque. Mais nous suivons les parcours d’une cohorte de personnages tous plus déjantés les uns que les autres, souvent hantés par l’ambition, situés aux confins de la folie ou y ayant parfois sombré, généralement névrosés, harcelés ou harceleurs et, au fond, absolument malheureux.

Tous ces personnages vont se livrer à une incroyable guerre autour d’un script qui n’existe pas vraiment, putativement inspiré de jusqu’à cinq auteurs différents, en réalité attribué à un auteur dont le nom fut constitué par l’accolement de trois noms d’auteurs différents, les noms composés faisant plus chic.

Un scenario censé redonné vie à un minable studio de production « Moyens de Production », produisant des films d’art et essai intéressant vaguement quelques étudiants et collectionnant en son sein une sidérante galerie d’hommes et de femmes frustrés, jaloux, harponnés par une patronne obèse, grossière, odieuse et en manque d’amour.

Un scenario pour une mini série en treize épisodes, « Les sourciers », retraçant la marche de l’humanité depuis les Huns jusqu’à la fondation de Las Vegas. Tout un programme…

Par une série de rebondissements incroyables, le scenario va se retrouver aux mains de studios concurrents et soudain, alors que personne n’en voulait, devenir l’enjeu de la survie et du renouveau de l’industrie cinématographique américaine.

Moody utilise une langue subtilement riche et décalée, employant sans cesse des termes détournés pour décrire des situations cocasses ou ridicules. Il invente carrément un nouveau vocabulaire, une nouvelle grammaire pour traduire le chaos et la confusion qui s’empare de la société américaine après la désastreuse élection de G.W. Bush en 2000.

Ce roman est un pamphlet brûlant sur la collusion entre le cinéma et la finance, la politique et les grandes corporations, l’apparente volonté d’intégration multiraciale d’une société américaine en réalité, et je puis vous le dire la fréquentant assidument !, en plein doute et déliquescence.

Il n’en reste pas moins que ce livre n’est pas grand public par son approche et sa construction. Il nécessite une solide culture littéraire et une ouverture d’esprit si l’on veut se laisser emporter par l’ouragan qui se déchaine alors.

Absolument remarquable !

Publié aux Editions de l’Olivier – 619 pages

22.7.11

Demi-sommeil – Eric Reinhardt


Dix jours que le livre me nargue, relégué à la gauche de mon écran, en attente de la note de lecture. Dix jours que je m’interroge sur ce que m’a véritablement inspiré ce premier roman d’un auteur, par ailleurs galeriste et né en 1965.

Le premier mot qui vient à l’esprit, quelque temps plus tard, est étrangeté, suivi de malaise. Oui, ce livre inspire du dérangement, il interpelle par la confusion que la passion amoureuse dévorante, envahissante inspire au personnage central.

Bruno Stepfer a décidé de se confesser pour se libérer d’une femme, Judith, rencontrée par hasard lors d’un congrès littéraire à Las Vegas.

Bruno est un personnage complexe, profondément tourmenté, velléitaire et qui n’a que peu de prise sur les évènements. Il se laisse facilement emporter par les autres et vit une vie en rêve permanent, en idéalisant ce qu’elle devrait être. De ce fait, il est presque toujours en décalage avec lui-même et sa façon d’être au monde.

Bruno, qui travaille pour une maison d’édition de livres scientifiques et s’est spécialisé sur les poissons rares, vit à Paris avec Margot, une collègue de travail. Margot est froide mais protectrice. Malgré de multiples tentatives, ils ne parviennent jamais à faire l’amour ce dont Bruno souffre.

Alors lorsqu’il rencontre Judith, femme fatale, libre, ouverte et demandeuse, le barrage du refoulement cède et entraine Bruno dans un mode qu’il a espéré. Mais comme Judith vit à New-York, le retour sur Paris est terrible car il faut affronter Margot tout en rêvant en permanence de Judith.

Bruno étant incapable de choisir, il doit vivre deux vies à la fois, radicalement différentes, avec deux femmes que tout oppose.

C’est à la dissociation de la personnalité de Bruno que l’auteur va finalement s’attacher et la description minutieuse d’une perte de tout repère, d’une descente au tréfonds d’une dépression grave est particulièrement réussie.

Par l’incohérence de ses choix dictée par l’incapacité à prendre des décisions, Bruno se perd lui-même et s’enfonce dans une vision onirique et impossible d’une vie idéalisée.

Le recours aux flash-backs, l’utilisation massive de passages brutaux d’une côte à l’autre de l’Atlantique où l’attendent deux vies contribuent habilement à perturber le lecteur en lui faisant ressentir un peu de ce dont Bruno souffre.

Pourtant, il manque un certain allant pour faire de ce livre une incontestable réussite. Une plus grande concision aurait sans doute largement contribué à acérer le récit, à le rendre encore plus poignant.

Mention assez-bien, donc…

Publié aux Editions Actes Sud – 295 pages

17.7.11

La septième vague – Daniel Glattauer


Après le phénoménal succès de « Quand souffle le vent du nord » que nous avions adoré, Daniel Glattauer remet cela avec « La septième vague ». Il est souvent périlleux et hasardeux de surfer sur un premier succès pour publier une suite capable de conserver la fraicheur, le caractère propres à lui conférer une légitimité. C’est pourtant indéniablement le cas avec ce deuxième et, sans doute, dernier tome de notre saga amoureuse virtuelle.

Nous avions quitté Leo et Emmi au moment où Leo, pour se sortir du piège d’un amour par courriel devenu intrusif et destructeur parce que ne menant nulle part, s’enfuyait à Boston pour y enseigner.

Le voici de retour, un peu plus de neuf mois plus tard dans son Allemagne natale. A peine débarqué et parce qu’elle a remarqué la lumière dans son appartement, Emmi renoue le contact et le dialogue reprend presque instantanément avec la même intensité, la même communion d’esprit entre nos deux amants virtuels.

Toutefois, Leo a mûri et surtout il a rencontré Pamela avec qui il planifie de faire sa vie. Alors, Emmi va devoir abattre ses cartes, prendre des risques, faire des ouvertures pour tenter de conserver son avantage et de faire comprendre à Leo qu’ils sont définitivement faits l’un pour l’autre.

Le ton y est du coup moins léger, moins spirituel que dans le premier tome. C’est aussi parce que les personnages sont plus vrais, leurs sentiments plus terre-à-terre, leur vie plus ancrée dans le réel, moins dans la fantasmagorie. Prenant le risque de se rencontrer physiquement, de se revoir, ils acceptent tout ce que la confrontation au réel peut comporter de risque. Ils se mettent en situation de ce fait d’être emportés par cette septième vague, a priori identique à celles qui l’ont précédée mais qui par sa force sournoise balaiera tout sur son passage et portera ce dont elle se sera emparée très loin au large, vers les zones inconnues et potentiellement pleines de danger.

C’est cette décomposition inéluctable que mettent en évidence ces nouveaux courriels avec un sentiment d’urgence et de vérité que ne comportait pas le roman précédent. En conséquence, le livre tient en soi, trouve une existence propre et complémentaire tant au plan stylistique que psychologique du tome qui l’a précédé d’un an. On y prend un réel plaisir, différent, mais toujours aussi grand. Bravo pour ce doublé éblouissant !

Publié aux Editions Bernard Grasset – 2011 – 348 pages

10.7.11

Dis-moi quelque chose – Guillaume Le Touze


« Dis-moi quelque chose » fait partie, pour moi, de ces romans face auxquels, au moment de me mettre au clavier pour Cetalir, m’amène à m’interroger aussi honnêtement que possible sur ce que j’en ai pensé.

C’est toujours relativement aisé lorsque l’on a été irrésistiblement entrainé par une écriture éblouissante, une intrigue délicieuse ou au contraire, que l’on a détesté pour des raisons plus ou moins objectives (heureusement ce cas est rare).

Ici, j’ai été séduit par la petite musique, cette gentille mélodie facile, sans ambition, bien tournée et qui vous trotte dans la tête. J’ai été aussi séduit par le parti pris d’une écriture dépouillée, allant à l’essentiel, presque scolaire et pauvre et qui décrit sans fard, ce que l’auteur veut nous donner à voir. Derrière la pauvreté apparente, se cache en fait une grande maîtrise de l’écriture.

En même temps, j’ai été perturbé par la fragmentation du récit, sa composition à base de blocs distants les uns des autres. De façon systématique, Le Touze décide de nous projeter à des mois de distance, voire des années, dans des lieux qui n’ont rien à voir (Paris, Marseille, l’Afrique) et où se déroulent des morceaux de vie reliés, de façon ténue, les uns aux autres.

Nous débarquons face à des situations dont nous ne savons rien, souvent comme Igor, personnage principal, dont nous allons suivre le parcours de vie entre 8 et 30 ans. Mais comme Igor a toujours peur de comprendre, peur d’être aux autres, peur de se lier, nous ne saurons rien ou pas beaucoup de son frère Laurent, de ses parents partis en Afrique et laissant leurs deux fils, dont Igor encore enfant en pension, avant de disparaître brutalement dans un accident de plongée. Bref nous allons sans cesse zapper sans comprendre tout au long d’une étrange première partie.

Et puis, dans la deuxième partie du livre, Igor va faire la connaissance de Mathilde, une vieille archéologue de soixante-dix ans, libre d’esprit, joyeuse mais fragile et Igor, l’écorché, l’homosexuel qui a peur de s’attacher aux hommes qu’il aime, va peu à peu apprendre à devenir un homme qui saura assumer ses choix.

Il existe des pages superbes dans ce récit (on pense particulièrement à ce voyage en barque sur la mangrove à la découverte des éléphants) dont la tonalité se veut cependant d’une grande neutralité.

L’homosexualité masculine y est omniprésente. Tous les hommes, ou presque, le sont dans ce livre et tous, sauf Igor ou presque, finissent par se marier et faire des enfants, sans aucune explication. C’est le côté le plus perturbant du roman, cette absence de prise de position, ce placage de situations surprenantes ou choquantes, toujours sans transitions.

Alors on a envie, à la fin du roman, de reprendre le titre à notre compte et de demander à Mr Le Touze de nous dire quelque chose, de mieux comprendre le but poursuivi dans ce roman qui laisse un arrière-goût d’inachevé.

Publié aux Editions Actes Sud – 187 pages

9.7.11

Le cahier rouge – Michel Tremblay


« Le cahier rouge » constitue la dernière étape de la trilogie des cahiers où la naine, Céline Poussin, se raconte et détaille, avec causticité et affection, les grands et petits maux des « goudines » (les travesties) de la « Main » de Montréal.

Comme pour affirmer une maturation dans son parcours littéraire, le fond et la forme de ce dernier cahier y sont assez différents des deux premiers.

Sur le fond, c’est le récit, détaillé, ciselé, et finalement très personnel de deux journées que Céline décide de raconter. Deux journées comme hôtesse de bar à goudines, deux journées ponctuées par la grande foire qu’engendrera l’exposition universelle de 1967 tenue à Montréal.

Sur la forme, le style y est un peu moins fleuri, plus affirmé et Céline, donc l’auteur lui-même, s’aventurent à effectuer des digressions, voire à résumer (et là c’est moins réussi) certains épisodes des deux tomes précédents, histoire de rafraîchir la mémoire éventuellement défaillante d’un lecteur peu attentif.

Au total, on continue de sourire et de s’attendrir sur ce que doivent subir ces pauvres hommes qui se prennent pour des femmes, sans en être pas plus qu’elles ne sont hommes.

Mais, à la différence des deux premiers cahiers, le récit finit un peu par traîner en longueur et n’a pas la fraîcheur initiale. Il faut dire que Tremblay aura usé jusqu’à la corde sa source d’inspiration et que cela reste un authentique exploit que de nous avoir tenu en haleine pendant un petit millier de pages autour de « la gang » à Céline.

Nous continuons avec ce récit à découvrir Montréal sous un jour inconnu, à savourer les inimitables expressions de nos amis canadiens, à nous réjouir avec les simples des grandes et petites joies quotidiennes en oubliant les grandes peines.

Et puis, nous découvrirons le secret jalousement gardé de la maquerelle Fine Dumas à travers un final haut en couleurs, jouissif et explosif, à l’image globalement de ces trois volumes indispensables de la littérature québécoise.

Publié aux Editions Actes Sud – 333 pages

2.7.11

Train – Pete Dexter


Pete Dexter est l’un des grands romanciers américains de ces vingt dernières années. Avec « Train », il signe un superbe roman sur la société éminemment raciste des années cinquante qui se déroule pour l’essentiel en Californie.

« Train » est le surnom donné à un jeune homme noir, Lionel Walk, caddie dans un golf chic du côté de Boston. Ce surnom vient d’une marque renommée de modèles réduits de trains (train en anglais) : Lionel trains.

Train est un garçon sans histoires. Caddie docile, il sert sans se poser de questions les blancs souvent odieux, ventripotents et méprisants qui viennent golfer, mal, sur ce terrain privé.

Il va se faire remarquer par un homme étrange, à la démarche claudiquante, Miller Packard, et qui semble inspirer une peur sans nom à certains des plus détestables représentants de l’espèce blanche sur le green. Train va se révéler en effet un golfeur émérite, aux talents exceptionnels mais impossibles à mettre en lumière dans cette société raciste et bloquée qu’est l’Amérique des années cinquante.

La vie de Train va basculer du jour au lendemain, lorsque le chef des caddies, noir lui aussi et presque aussi raciste envers ses frères que les chefs blancs, va se trouver mêlée aux meurtres d’une rare violence et totalement gratuits perpétués par deux noirs sur le voilier d’un riche homme d’affaires local.

Tous les caddies se font embarquer et cuisiner par la police qui frappe sans distingo et sans remords tout ce qui est de peau foncée.

Et puis, un jour, la vie de Train va recroiser celle de Packard Miller dont nous aurons découvert le rôle clé et la violence qui l’anime férocement, en permanence. Train se pensera sauvé, à tort.

Pete Dexter met en scène avec lucidité, application et beaucoup de cynisme tous les ressorts qui sous-tendent la société américaine, encore aujourd’hui. Violence, racisme, exclusion, domination par l’argent, alcoolisme sont les tarauds d’une société qui tient à peine debout, à bout de souffle.

Il faut la prudence, l’humilité, la générosité et la lucidité d’un Train pour échapper à tous les pièges qui se referment sur ceux qui sont promis à l’exclusion, implacable.

Le roman est volontairement oppressant dans sa longue première partie et nous fait descendre au fin fond de l’enfer où tuer est la normalité, jouer avec le fric, banal et signe de puissance, mépriser les faibles, signe d’intégration.

Puis le roman entre dans une deuxième partie étonnamment paisible où l’on pense que, grâce à la protection d’un puissant, un jeune noir va pouvoir enfin s’en sortir, malgré les regards abjects qu’on lui jette, les affronts qu’il doit essuyer sans broncher, les injustices quotidiennes.

P. Dexter utilisera, dans son roman, les rapports de voisinage dans ce qui deviendra, quelques années plus tard, le quartier select et chic de Hollywood pour décrire la puissance de la pression sociale. C’est tout un quartier qui va se liguer pour exclure de son sein les deux jeunes noirs que Miller a pris sous son aile. Et c’est le quartier qui finira par triompher, de la plus horrible des manières.

Le roman est noir, sans lumière, sans espoir. Il est aussi et surtout absolument magnifique.

Publié aux Editions de l’Olivier – 346 pagesTrain – Pete Dexter

Pete Dexter est l’un des grands romanciers américains de ces vingt dernières années. Avec « Train », il signe un superbe roman sur la société éminemment raciste des années cinquante qui se déroule pour l’essentiel en Californie.

« Train » est le surnom donné à un jeune homme noir, Lionel Walk, caddie dans un golf chic du côté de Boston. Ce surnom vient d’une marque renommée de modèles réduits de trains (train en anglais) : Lionel trains.

Train est un garçon sans histoires. Caddie docile, il sert sans se poser de questions les blancs souvent odieux, ventripotents et méprisants qui viennent golfer, mal, sur ce terrain privé.

Il va se faire remarquer par un homme étrange, à la démarche claudiquante, Miller Packard, et qui semble inspirer une peur sans nom à certains des plus détestables représentants de l’espèce blanche sur le green. Train va se révéler en effet un golfeur émérite, aux talents exceptionnels mais impossibles à mettre en lumière dans cette société raciste et bloquée qu’est l’Amérique des années cinquante.

La vie de Train va basculer du jour au lendemain, lorsque le chef des caddies, noir lui aussi et presque aussi raciste envers ses frères que les chefs blancs, va se trouver mêlée aux meurtres d’une rare violence et totalement gratuits perpétués par deux noirs sur le voilier d’un riche homme d’affaires local.

Tous les caddies se font embarquer et cuisiner par la police qui frappe sans distingo et sans remords tout ce qui est de peau foncée.

Et puis, un jour, la vie de Train va recroiser celle de Packard Miller dont nous aurons découvert le rôle clé et la violence qui l’anime férocement, en permanence. Train se pensera sauvé, à tort.

Pete Dexter met en scène avec lucidité, application et beaucoup de cynisme tous les ressorts qui sous-tendent la société américaine, encore aujourd’hui. Violence, racisme, exclusion, domination par l’argent, alcoolisme sont les tarauds d’une société qui tient à peine debout, à bout de souffle.

Il faut la prudence, l’humilité, la générosité et la lucidité d’un Train pour échapper à tous les pièges qui se referment sur ceux qui sont promis à l’exclusion, implacable.

Le roman est volontairement oppressant dans sa longue première partie et nous fait descendre au fin fond de l’enfer où tuer est la normalité, jouer avec le fric, banal et signe de puissance, mépriser les faibles, signe d’intégration.

Puis le roman entre dans une deuxième partie étonnamment paisible où l’on pense que, grâce à la protection d’un puissant, un jeune noir va pouvoir enfin s’en sortir, malgré les regards abjects qu’on lui jette, les affronts qu’il doit essuyer sans broncher, les injustices quotidiennes.

P. Dexter utilisera, dans son roman, les rapports de voisinage dans ce qui deviendra, quelques années plus tard, le quartier select et chic de Hollywood pour décrire la puissance de la pression sociale. C’est tout un quartier qui va se liguer pour exclure de son sein les deux jeunes noirs que Miller a pris sous son aile. Et c’est le quartier qui finira par triompher, de la plus horrible des manières.

Le roman est noir, sans lumière, sans espoir. Il est aussi et surtout absolument magnifique.

Publié aux Editions de l’Olivier – 346 pages