26.11.11

Les Jardiniers – Véronique Bizot


Dans ce recueil de 6 nouvelles d’une quinzaine de pages chacune, Véronique Bizot, qui a reçu le Prix Renaissance de la nouvelle 2006 pour son précédent recueil « Les Sangliers », s’amuse à mettre en scène absurde. Un absurde qui entoure la mort qui vient juste de survenir ou qui s’apprête à frapper.

Ce qui surprend dans chacune de ces nouvelles, c’est la capacité de l’auteur à nous entrainer dans une logorrhée envoûtante. Chaque idée en entraine une autre et, peu à peu, sans s’en rendre compte, le lecteur se trouve pris dans les rets d’un récit qui donne l’impression fallacieuse d’une écriture automatique alors qu’au contraire, l’auteur est déterminée à nous emmener dans un recoin sombre, à nous mettre face au ridicule des comportements humains, de nos bizarreries, de nos démons. Le rideau tombe.

Car, quoi de plus frappant pour illustrer nos petits travers que d’user de l’apparente normalité ? Il n’est pas besoin de mettre en scène longuement. Une situation courante de la vie suffit à provoquer un déluge d’inventivité et d’à propos. C’est la force principale de ce recueil par ailleurs bucolique, comme le titre nous le donne à penser.

Ces courtes histoires se déroulent toutes en campagne, loin de l’agitation des villes. Elles ont souvent pour point commun la solitude et l’isolement qui enferment les êtres fragiles dont il est ici question dans leurs démons intérieurs. La mort d’un proche, un revers de fortune les font alors tomber à la lisière d’une douce folie.

Derrière une apparente simplicité d’écriture, chaque texte est en fait très construit, maîtrisé.

Certes, ces textes ne marqueront sans doute pas l’histoire littéraire mais ils permettent de découvrir un auteur qui a talent et potentiel. A suivre, donc…

Publié aux Editions Actes Sud – 101 pages

19.11.11

Une année sous silence – Jean-Paul Dubois


Dubois a une capacité étonnante à se réinventer à l’occasion de chacun de ses romans qui sont autant de perles de la littérature française contemporaine. Capacité doublée de celle de savoir happer son lecteur en quelques phrases, de l’entraîner dans son univers personnel où étrangeté, anormalité, fantasmes sexuels et violence sont des vecteurs d’une construction étonnante d’originalité.

Ce roman fait partie de la série américaine. Nous sommes quelque part en Amérique du Nord, sans que le lieu ne soit particulièrement important. D’ailleurs la présence puissante de l’environnement canadien ne se ressent pas dans ce roman à la différence des ouvrages plus tardifs que sont « Hommes entre eux » ou « J’aimerais pouvoir te dire ».

Paul Miller, narrateur et personnage central de ce roman truculent et décalé, tente de se remettre du suicide de sa femme. Une femme qui, alors qu’elle devenait détestée de son vivant et qu’elle saisissant toute occasion pour avilir son mari, va prendre une place prépondérante et aimante une fois disparue.

Pour survivre, Paul Miller tente de se débarrasser de ce qui rend son existence passée pénible. Il cède la maison qu’il a bâtie de ses mains et dans laquelle sa femme s’est immolée par le feu, entrainant son chien avec elle dans sa folie destructrice, quitte son boulot, vit d’expédients et se loge dans un misérable petit appartement en subissant la compagnie de voisins excentriques.

Nous allons alors croiser deux sœurs qui vont constituer l’essentiel des fantasmes érotiques ou pornographiques d’un homme esseulé et dont les relations sexuelles ont été terriblement contingentées par une épouse castratrice.

Il est troublant d’entendre les talons d’une jeune et jolie femme, seule, battre le parquet de la chambre située juste au-dessus de Paul Miller. Bientôt la libido, censurée par vingt ans de chasteté imposée, entrainera notre homme à des actes qui en fera le jouet des deux sœurs, expertes en tentations. L’épisode de la soirée de Noël est d’une désopilante truculence…

Nous croiserons aussi un prêtre d’origine polonaise dont l’apparente piété est directement proportionnelle à la propreté douteuse. Un prêtre qui commet comme un forcené le péché d’adultère et s’adonne bruyamment à d’effrénées parties de baise avec la plus troublante des deux sœurs.

Plus le désir qui entoure Miller croît, plus il s’enfonce dans la solitude et la dépression. Après un acte hautement symbolique que nous vous laisserons découvrir, il finira par se faire interner dans un hôpital psychiatrique. Par défi envers un psychiatre imbu de sa personne et sûr de triompher de son patient, Miller s’enferme dans un mutisme absolu et devient l’évêque des fous qu’il reçoit en confessions volontaires. Crime de lèse majesté dans un lieu où le pouvoir appartient aux médecins, non aux patients.

Miller mijotera une vengeance perverse et règlera ses comptes afin de rejoindre une épouse idyllique et irréelle.

Le roman se déroule à un rythme trépidant et déroule des formules percutantes et drôles. Au passage, Dubois écorne les notables et les bien-pensants nous donnant à voir l’envers du décor, la fausseté des apparences, la lourdeur des devoirs.

On passe un moment passionnant et savoure en riant un petit bijou de littérature, d’une férocité brillante.

Publié aux Editions Robert Laffont – 201 pages

10.11.11

Un amour fraternel – Pete Dexter


Le monde de Pete Dexter est noir, cruel, violent et sans espoir. Un monde sans pitié, où il faut jouer des coudes pour gagner sa place, se battre pour la conserver, tuer pour survivre.

« Un amour fraternel », écrit en 1991, en est une des plus brillantes illustrations, un livre qui vous frappe comme un uppercut.

L’image n’est pas choisie au hasard car la boxe tient un rôle secondaire et central à la fois dans ce roman poignant et d’une grande violence.

Tenue par un ancien boxeur qui eut son heure de gloire, la salle de boxe d’une petite ville de la banlieue de Philadelphie tient le rôle d’une école de vie. C’est l’un des rares lieux du coin où la violence est réglementée, orchestrée, où la souffrance y est positive et non imposée.

C’est aussi dans ou autour de cette salle aux codes stricts, à la morale solide que de nombreuses transgressions vont se perpétrer jusqu’à la scène ultime, tragique et poignante qui conduira l’ensemble des protagonistes du roman dans un précipice définitif.

Les scènes autour et dans cette salle constituent un ballet savant comme le jeu de jambes d’un champion de boxe sur un ring. Une fois en position, l’auteur frappe et le coup part, ajusté et redoutable d’efficacité.

Le roman s’ouvre comme un article de presse relatant l’assassinat de deux cousins, le même jour, dirigeants du syndicat des couvreurs et donc mafiosi accomplis, à cent cinquante kilomètres de distance.

Ce sont ces deux hommes que nous allons suivre sur une trentaine d’années. Deux hommes au tempérament différent mais que le milieu du crime organisé auquel leurs familles appartiennent vont lier inséparablement l’un à l’autre.

Peter est un garçon calme, réfléchi, intelligent. Sa vie va basculer le jour où un voisin flic va déraper sur une plaque de verglas et tuer sur le coup sa jeune sœur qui jouait sous sa surveillance dans le jardin enneigé de la maison familiale.

Son cousin Micaël est vicieux, fuyant, violent et cruel. C’est dans la rue, sous la houlette du père de Micaël, président du syndicat des couvreurs, qu’ils vont faire l’apprentissage de la vie, découvrir la nécessité de se battre et de jouer des poings, au sens propre. Jusqu’à prendre le pouvoir, à pleine dents pour Micaël, avec réserve pour Peter.

Comme Peter aura perdu dans des circonstances violentes son père, il sera pris en charge par son oncle et cherchera à travers le propriétaire de la salle de boxe ce que le père mort n’aura pu lui apporter.

Le roman s’inscrit dans une hyperbole narrative où crimes, sexe, menaces et contrainte psychologique vont sans cesse croissants. Une fois la spirale de la violence et de la vengeance engagée, plus rien ne pourra l’arrêter et le seul moyen d’en sortir est de le faire une fois morts.

Ce sont les bas-fonds de la société que nous côtoyons ici avec ce que la folie, concentrée dans les mains d’un chef de clan pervers et tout-puissant peut engendrer en paranoïa et trahisons.

Les scènes de meurtres et de parties effrénées de jambes en l’air ont l’impact d’un film de Scorcese.

On sort du roman sonné et admiratif du travail d’une écriture qui claque comme une énorme gifle, un coup de feu de fusil à canon scié. C’est absolument magistral !

Publié aux Editions de l’Olivier – 347 pages

6.11.11

Ce qui demeure – Alice McDermott


Alice McDermott est un auteur à succès aux Etats-Unis et a été couronné par de nombreux prix littéraires.

Pour autant, « Ce qui demeure », est loin de constituer un roman essentiel ou marquant. La faute en reviendrait-elle à une traduction qui donne le sentiment d’une prose flottante ? Peut-être mais pas exclusivement.

Car, au fond, si l’on peut, à la limite, supporter une écriture approximative ou basique, c’est uniquement parce qu’elle serait au service d’un récit fort, d’une histoire exaltante, d’un de ces romans qu’on n’arrive pas à délaisser. Rien de tout cela dans ce livre très décevant.

Une traduction quelconque, au service d’une histoire quelconque dans une famille américaine quelconque. C’est sans doute cela qui plaît aux Etats-Unis, le souci de se fondre dans la normalité étant l’instinct même de survie.

Nous sommes sur la côte Est dans une petite ville, lointaine banlieue de New-York. Nous allons suivre la vie d’une famille (le père, la mère et leurs quatre enfants) sur une quarantaine d’années. De l’immédiat après-guerre à la fin des années soixante-dix.

Quarante ans d’intégration à la communauté locale, quarante ans consacrée à l’éducation des enfants et à les rendre autonomes. Quarante ans de bonne éducation catholique traditionnelle dans l’école paroissiale locale dont la vocation essentielle consiste à dissuader les jeunes filles de commettre le péché de la chair. Quarante ans de sacrifice pour n’exister que par la conformité absolue aux principes de la société américaine.

Certes, l’aîné sera « drafté » et envoyé au Vietnam dont il ne reviendra pas. Le prix à payer à la nation américaine, la douleur à ravaler pour continuer à avancer, sans vagues.

Le ton est gentillet, lisse. L’auteur est souvent tentée de se laisser embarquer dans des comparaisons alambiquées, des figures allégoriques mal maîtrisées. L’écriture devient alors pataude, d’une sophistication scolaire et nuit à une lisibilité fortement gommée par un intérêt vacillant.

Bref, pas un mauvais livre mais définitivement un livre inutile, au moins de ce côté-ci de l’Atlantique…

Publié aux Editions Quai Voltaire – 344 pages