19.11.11

Une année sous silence – Jean-Paul Dubois


Dubois a une capacité étonnante à se réinventer à l’occasion de chacun de ses romans qui sont autant de perles de la littérature française contemporaine. Capacité doublée de celle de savoir happer son lecteur en quelques phrases, de l’entraîner dans son univers personnel où étrangeté, anormalité, fantasmes sexuels et violence sont des vecteurs d’une construction étonnante d’originalité.

Ce roman fait partie de la série américaine. Nous sommes quelque part en Amérique du Nord, sans que le lieu ne soit particulièrement important. D’ailleurs la présence puissante de l’environnement canadien ne se ressent pas dans ce roman à la différence des ouvrages plus tardifs que sont « Hommes entre eux » ou « J’aimerais pouvoir te dire ».

Paul Miller, narrateur et personnage central de ce roman truculent et décalé, tente de se remettre du suicide de sa femme. Une femme qui, alors qu’elle devenait détestée de son vivant et qu’elle saisissant toute occasion pour avilir son mari, va prendre une place prépondérante et aimante une fois disparue.

Pour survivre, Paul Miller tente de se débarrasser de ce qui rend son existence passée pénible. Il cède la maison qu’il a bâtie de ses mains et dans laquelle sa femme s’est immolée par le feu, entrainant son chien avec elle dans sa folie destructrice, quitte son boulot, vit d’expédients et se loge dans un misérable petit appartement en subissant la compagnie de voisins excentriques.

Nous allons alors croiser deux sœurs qui vont constituer l’essentiel des fantasmes érotiques ou pornographiques d’un homme esseulé et dont les relations sexuelles ont été terriblement contingentées par une épouse castratrice.

Il est troublant d’entendre les talons d’une jeune et jolie femme, seule, battre le parquet de la chambre située juste au-dessus de Paul Miller. Bientôt la libido, censurée par vingt ans de chasteté imposée, entrainera notre homme à des actes qui en fera le jouet des deux sœurs, expertes en tentations. L’épisode de la soirée de Noël est d’une désopilante truculence…

Nous croiserons aussi un prêtre d’origine polonaise dont l’apparente piété est directement proportionnelle à la propreté douteuse. Un prêtre qui commet comme un forcené le péché d’adultère et s’adonne bruyamment à d’effrénées parties de baise avec la plus troublante des deux sœurs.

Plus le désir qui entoure Miller croît, plus il s’enfonce dans la solitude et la dépression. Après un acte hautement symbolique que nous vous laisserons découvrir, il finira par se faire interner dans un hôpital psychiatrique. Par défi envers un psychiatre imbu de sa personne et sûr de triompher de son patient, Miller s’enferme dans un mutisme absolu et devient l’évêque des fous qu’il reçoit en confessions volontaires. Crime de lèse majesté dans un lieu où le pouvoir appartient aux médecins, non aux patients.

Miller mijotera une vengeance perverse et règlera ses comptes afin de rejoindre une épouse idyllique et irréelle.

Le roman se déroule à un rythme trépidant et déroule des formules percutantes et drôles. Au passage, Dubois écorne les notables et les bien-pensants nous donnant à voir l’envers du décor, la fausseté des apparences, la lourdeur des devoirs.

On passe un moment passionnant et savoure en riant un petit bijou de littérature, d’une férocité brillante.

Publié aux Editions Robert Laffont – 201 pages