28.8.12

Le goût des pépins de pomme – Katharina Hagena


 
Les pépins de pomme sont profondément enfouis au cœur du fruit. D’habitude, on se contente de mordre autour, de rester à leur superficie ou de les laisser juste affleurer. Quand d’aventure on les croque, ils libèrent un goût acidulé qu’il nous faut recomposer et qui pourra nous en rappeler d’autres. Comme les souvenirs, surtout s’ils sont douloureux, cachés au plus profond de nous, constitutifs de nos personnalités et que certaines circonstances vont faire resurgir, avec plus ou moins de tristesse et à un rythme plus ou moins contrôlable.

C’est bien ce qui va arriver à Iris lorsqu’elle apprend, après l’enterrement de sa grand-mère, au moment de la révélation du testament, que la maison familiale lui revient. Une maison où elle a passé toute son enfance au côté des ses grands-parents maternels et de ses deux tantes. Une maison qui aura vu quantité de jeux inventés par sa cousine ainée, Rosemarie et leur amie commune Mira. Une maison entourée de fleurs et d’un verger de pommiers dont les fruits ont donné un goût si particulier à ces moments de joie ou de malheur connus ensemble.

Oui mais voilà, la maison est loin de tout dans le Nord de l’Allemagne. Et Iris habite Fribourg où elle exerce le métier de bibliothécaire à l’Université locale. Alors, sa première réaction sera de se débarrasser de cette maison vaste, trop grande pour elle seule, trop loin de là où se trouve sa vie. Elle décide donc d’y rester quelques jours pour y régler la succession dans un été chaud qui lui en rappelle tant d’autres.

Et puis, les souvenirs remonteront les uns après les autres, l’un en appelant un autre au fur et à mesure du temps qui passe dans et autour de cette maison. Et puis les rencontres surviennent qui bousculent les choses et permettront de révéler des faits que la mort des intéressés rend écoutables ou de laisser voir un futur différent possible pour peu que l’on sache ouvrir son cœur et son âme.

Et c’est bien là le sujet véritable de ce roman, les souvenirs qui nous construisent, le passé qui nous lie et dont on peut ou non se défaire, le futur possible dans de multiples directions en fonction de nos choix et de nos rencontres.

Si le livre possède un certain charme à la fois nostalgique et romantique, il pèche cependant par un certain nombre de défauts. Une première partie où, sous le prétexte que les souvenirs remontent sans doute en désordre sous le coup des émotions ou des lieux retrouvés, une certaine confusion s’empare de la trame narrative rendant les personnages évoqués peu discernables et le propos de l’auteur assez confus. On s’y ennuie un peu en tentant de démêler les fils d’une histoire qui ne nous concerne pas. Peu à peu, on entrera cependant dans l’intimité des personnages évoqués. Mais le style de l’auteur, manquant de naturel et de simplicité fait que l’on reste toujours extérieur à ce qui se passe même si nous percevons mieux au fur et à mesure des pages et des souvenirs tout ce qui a pu se passer dans cette confrérie de femmes où les hommes semblent assez peu présents et toujours source de désordre.

Il est probable que ce livre séduira plus un public féminin que masculin par son côté un peu larmoyant et ses histoires d’amour compliquées. Katharina Hagena saura cependant ménager son suspense en ne révélant toute la vérité et les choix des personnages principaux qu’en toute fin de son roman. Un livre sympathique, sans plus.

Publié aux Editions Anne Carrière – 2010  - 268 pages         

 

 

25.8.12

Ma vie précaire – Elise Fontenaille


 
Au départ, le titre devait être « La vie précaire ». Et puis, l’article s’est changé en pronom personnel. Un changement de type sans doute loin d’être anodin et qui entretient encore plus le doute ou le questionnement sur la part de réalité et de fiction dans le dernier roman d’Elise Fontenaille. Un doute que laisse planer l’auteur dans les quelques interviews énigmatiques glanées ici ou là.

Difficile de penser cependant que ce roman ne soit pas largement autofictionnel. Comme l’auteur, le narrateur se prénomme Elise. Comme elle, elle est écrivain. Comme elle, elle vit un bouleversement dans sa vie : ici, un divorce qui va devenir le déclencheur d’un changement radical de vie.

Tout commence par un acte doublement symbolique. D’abord, vider le grand appartement de Paris en donnant les meubles et surtout les livres descendus sur le trottoir, devenus les éléments d’une bibliothèque ouverte où chaque passant est invité silencieusement à choisir, se servir et s’emparer d’un compagnon de lecture qui deviendra le sien à jamais, le retour vers le précédent propriétaire ne faisant pas partie de la règle. Un psychanalyste y verrait là un acte chargé de sens : un écrivain dont la vie est de fabriquer des livres devenus sa vie et en ayant accumulé une quantité d’autres au préalable pour se nourrir et alimenter sa propre genèse commence par tuer symboliquement tout ce qu’elle a fait jusque là en se débarrassant de son signifiant. Premier acte d’une pièce en deux temps, le second, une fois l’appartement vidé, étant de quitter Paris. Paris, la ville lumière, la ville de la culture, celle où une femme de lettres a toutes les chances de mieux se faire connaître. Paris, la ville haïe aussi, celle qui étouffe, celle qui contraint, celle qui vous rappelle un passé devenu douloureux.

Commence alors une sorte de road movie qui va emmener Elise sur les routes du monde. La Guyane, la province du côté de Saint-Nazaire et autres,  le plus souvent en occupant des lieux laissés vacants par des propriétaires lui offrant d’en bénéficier.

Et puis, la solitude, de plus en plus pesante et la difficulté à écrire. Alors, le recours à ce dont la technologie de notre temps a rendu plus simple, plus lisse et plus direct : les sites de rencontre et la recherche de partenaires masculins. Hommes d’un soir ou de plusieurs, toujours plus jeunes, souvent de couleur avec le risque implicite et sans doute plus ou moins conscient appelé de tomber amoureuse.

C’est tout cela qu’Elise-Elise nous conte dans une sorte de journal intime qui déroule le fil d’une vie qui finit de se défaire pour reconstruire autre chose ensuite et retrouver le goût de Paris, une fois les charmes plats et bien fades d’une vie provinciale esseulée ou mal accompagnée épuisés.

Elise Fontenaille aime à se raconter. Directement comme ici ou indirectement comme dans « Brûlements » où il était question d’un ancêtre épique. Ce sera bientôt à nouveau le cas dans un livre où il sera question d’un grand-père, le Général Mangin, l’un des bouchers de la guerre de quatorze. « Ma vie précaire » semble avoir été écrit avec une sorte d’urgence et le déséquilibre de son propos narratif n’en est que la traduction, l’accent mis sur la quête d’une sexualité de substitution occupant une place débordante au risque de déplaire à certains lecteurs. Il rend aussi compte de la fragilité de nos vies qu’un accident peut bouleverser profondément, remettre du tout au tout en question. Même si nous ne nous en rendons pas compte, nous vivons tous dans une forme de précarité potentielle qu’il nous appartiendra d’affronter, à notre façon, le moment venu. Pour Elise , ce fut un livre, catalyse d’une errance. Un beau livre, intime et touchant.

Publié aux Editions Calmann-Levy – 2012 – 207 pages

17.8.12

Royal Romance – François Weyergans



Difficile de croire qu’il n’y ait pas beaucoup de l’auteur dans son dernier roman. Comme lui, Daniel Flamm, est écrivain. Un écrivain à succès et qui vient de décrocher la timbale grâce à un croustillant homme d’affaires roumain qui l’envoie, tous frais payés et salarié à prix d’or, un peu partout dans le monde pour écrire une histoire du papier après en avoir achevé une sur le sel. Comme lui, Daniel Flamm a le plus grand mal à écrire ses livres qu’il termine dans l’urgence du petit matin, coincé dans une imprimerie. Comme lui, son personnage passe beaucoup de temps à Montréal, y fréquente les librairies, les bars et les restaurants mais aussi et surtout, bien sûr, les femmes.
Et c’est bien l’histoire triste d’un homme qui ne sait pas aimer les femmes et qui le comprendra trop tard que Weyergans ou Flamm, ou les deux au fond, décident de nous conter ici. Car Flamm est un homme à femmes. Marié, père de famille, il mesure son succès social au nombre de ses conquêtes. Elles sont souvent de simples passades, de vagues ombres qui laissent le corps repu et alimentent un tableau de chasse dont on ne tient plus le compte. Jusqu’à la rencontre de Margot.
Elle a vingt-cinq ans, lui plus de cinquante. Elle adore le Royal Romance, un cocktail un peu sophistiqué, vit à Montréal où elle entreprend de devenir actrice. Elle est légère en apparence, extrêmement fragile en réalité. Sa beauté attire les hommes comme la lumière les insectes.  Elle ne sait se contenter d’un homme ; il lui en faut plutôt deux en parallèle, au moins. Un pour se rassurer, tenter de croire qu’elle est capable de vivre une relation stable. L’autre, ce sera Daniel, de plus en plus malgré lui.

A cause d’elle, il restera plus de trois mois à Montréal, laissant femme et enfants à Paris. Cela n’empêchera pas quelques incartades car ils ne vivent pas ensemble et la tentation existe comme une preuve à renouveler sans cesse de sa capacité à séduire. Et puis, l’éloignement venu, il faut bien reprendre les habitudes et se lancer à corps perdu dans une nouvelle aventure.
Cela aurait pu être l’histoire d’une passion exclusive et exigeante. Nous comprendrons assez vite qu’il en résultera un désastre dont nous mesurerons toute l’étendue à la toute fin du roman.
Un roman dont l’écriture d’apparence simple, en réalité profondément sophistiquée, souvent drôle et caustique, qui nous dit qu’il est facile de passer à côté de sa vie, si tentant de jouer des autres comme eux se jouent de nous, si douloureux et destructif de comprendre trop tard qu’il ne sert à rien de courir après quelque chose que l’on croit mieux, plus exaltant alors qu’on avait le meilleur à portée de main.

Weyergans écrit admirablement sur le désir, les stratégies de séduction, le stress et l’euphorie qu’il y a à jongler avec des amours parallèles au risque de s’y brûler définitivement. Un livre sur un homme qui aimait mal, irrésolu et dépressif, et qui finira par découvrir le gouffre dans lequel tous glissent inexorablement. Cela aurait pu être lourdement tragique. C’est au contraire délicieusement désenchanté et irrévérencieux comme Weyergans, encore.
Publié aux Editions Julliard – 2012 – 216 pages

3.8.12

Accouplement – Norman Rush



Norman Rush est née en 1933près de San Francisco et « Accouplement » constitue son premier roman publié en 1991. Ce roman connut un immense succès critique dans les pays d’expression anglaise et fut même considéré comme l’un des évènements littéraires du dernier quart du vingtième siècle !

Pourtant, voilà un roman d’une grande difficulté. Tout semble y être fait pour semer en route un lecteur qui doit réellement s’accrocher pour résister aux multiples tentations d’abandonner en chemin un pavé serré et dense de plus de cinq cents pages… C’est ce que je qualifierais de roman typiquement universitaire, le genre dont on raffole quand on a une vingtaine d’années, qu’on navigue dans les concepts et l’idéalisme et que la réalité de la vie quotidienne ne vous a pas encore fait toucher du doigt l’urgence du matérialisme.

Quand, beaucoup d’années plus tard, un homme mûr comme votre serviteur se retrouve confronté à la référence constante et entremêlée de concepts soit largement oubliés depuis, soit totalement inconnus en dehors d’un tout petit cercle de thésards déconnectés de la réalité sociale, la lecture de ce roman social devient rapidement ardue au point d’en être absolument incompréhensible à de trop nombreuses occasions.

Ce qui caractérise ce récit, c’est son effroyable lenteur, la complaisance avec laquelle cette femme qui se raconte, décortique avec minutie et un rien de masochisme les mécanismes complexes d’un amour impossible, celui pour un homme dont elle a partagé la vie et les utopies pendant quelque temps, séduite par son intelligence, sa facilité à manier les concepts, sa capacité à gloser et à vous faire briller en vous associant à sa propre gloire.

Un amour qui l’amènera à traverser seule, à pied, impréparée et en toute inconscience, le désert du Bostwana pour aller rejoindre le fondateur d’une cité indépendante où les femmes ont le pouvoir. Cette traversée épique constitue le seul moment où le récit, pendant une trentaine de pages, se lâche vraiment et où la vraie vie prend toute son importance. Plus de concepts, plus d’auteurs, plus de belles phrases quand il faut survivre au soleil brûlant, au sable qui dessèche, à la soif et aux pièges naturels.

Après cent cinquante pages d’autoanalyse qui nous montre en détails la névrose de celle qui se confie et son incapacité à savoir aimer simplement , sa tentation renouvelée pour des amours impossibles, nous allons pendant plus de trois cents pages assister à la construction, l’apogée et la destruction d’un nouvel amour. Le tour de force du roman, car il faut avouer qu’au bout du compte on assiste à un authentique exploit, c’est de faire cohabiter cette histoire personnelle avec l’analyse sociologique de cette cité matriarcale utopique. Une cité qui va peu à peu se déliter car toutes les utopies finissent par ne jamais résister à l’usure du quotidien, aux tentations de pouvoir, aux clivages sardoniques.

L’autre intérêt est de comprendre en quoi sous couvert de générosité, c’est en fait le profond égoïsme du fondateur qui gouverne tout. Un égoïsme qui se dissimule habilement sous les concepts et les idées mais qui finira par causer la perte de ces dernières car on ne peut pas avoir raison, à terme, contre tous.
Il en résulte un livre intensément à part et qui hésite sans cesse entre l’analyse sociologique, les commentaires philosophiques, l’introspection psychologique et le cadre romanesque.

On admire la force de la construction intellectuelle, la culture encyclopédique de l’auteur mais, pour notre part, nous sommes toujours restés en dehors d’un récit d’une absolue froideur et d’une lenteur quasi insupportable.

Publié aux Editions Fayard – 561 pages