28.12.12

Cette vie – Karel Schoeman



Publié en 1993 en Afrique du Sud, ce roman vient de faire l’objet d’une traduction magistrale et d’une publication aux Editions Phébus (2009). Karel Schoeman est un des plus grands écrivains vivants de son pays, blanc et solidaire du combats des Noirs d’Afrique du Sud. Son roman le plus connu est sans doute « La saison des adieux ».

Avec « Cette vie », c’est à la fois un roman intimiste et un témoignage historique qui nous est livré. L’auteur se glisse dans la peau d’une vieille femme, allongée sur son lit de mort. Dans les derniers moments encore lucides de son agonie, elle passe en revue sa vie. Une vie faite de solitude, de difficultés, de bouleversements et de conflits familiaux. Une vie qui aura scandé la fin du XIXe siècle, connu le développement rapide d’un pays essentiellement agricole, vu l’arrivée des mines de diamant et la guerre des Boers.

Parce que cette femme, intelligente mais silencieuse, est discrète au point d’en paraître invisible, toute sa vie elle aura assisté à des scènes, à des discussions ou, le plus souvent entendu quelques morceaux de phrases qui, peu à peu et enfin soudainement au moment de mourir, vont enfin prendre tout leur sens et éclairé une succession d’évènements jusque là demeurés incompréhensibles ou impossibles à accepter.
Isolée dans une ferme perdue dans le veld, dépendante d’une famille pauvre et blanche, soumise à une mère avaricieuse et revêche qui impose ses vues à un père silencieux, elle aura en charge très tôt l’éducation d’un jeune enfant, fruit d’un mariage hasardeux entre l’un de ses frères colériques et jaloux et une belle-sœur lumineuse et délurée. Parce que cette belle-sœur fut aimée de son autre plus jeune frère, joyeux et beau danseur, sans doute enlevée par ce dernier et que le mari disparut dans un accident tragique dont la responsabilité pourrait bien incomber au cadet, elle se retrouva à élever un enfant promis à hériter d’une ferme qui ne cesse de s’étendre.

Gagner de la terre se joue souvent à coups de fusil, en spoliant les plus pauvres des blancs, en les chassant sans ménagement. Accroître le bétail, repousser les limites du domaine reposent sur l’exploitation de domestiques noirs ou blancs qui bien qu’affranchis, vivent couchés sur le sol en terre battue au pied du lit des maîtres, ou au mieux dans de vagues cahutes en proie au dur climat fait d’un été brûlant et d’un hiver où il gèle à pierres fendre.

Nous allons suivre les transhumances hivernales en charriots le long de cols vaguement sillonnés de chemins hasardeux et assister aux mariages, aux décès, aux multiples misères qui ponctuent cette vie dure, essentielle, sans joie et faite de labeur et de peines. Nous allons descendre dans l’intimité d’une famille typique de ces paysans du veld, mangeant tout juste à leur faim, reclus dans une religion protestante qui ne laisse aucune place aux sentiments et pour lesquels la survie assurée à ceux dont ils dépendent donne tous les droits ou presque.

Avec l’enrichissement progressif de la famille et du pays, le pouvoir s’accroîtra et finira par bénéficier à cet enfant élevé par sa tante. Il deviendra député, poussé par une femme ambitieuse, hautaine et qui n’a aucun scrupule à exploiter cette vieille femme qui dépend d’elle.

Sans lyrisme mais grâce à une écriture limpide, essentielle, juste, K. Schoeman nous prend aux tripes et nous fait découvrir la vie démente, presque sauvage, de ces pionniers qui ont fondé le pays et dessiné les lignes d’un pouvoir longtemps laissé aux mains des seuls blancs. Le roman est vibrant mais glace d’effroi face aux épreuves endurées et à l’absence de toute lumière. Seule la mort peut délivrer de cette vie là.

Publié aux Editions Phébus – 265 pages