26.4.13

La mécanique du monde – Bernard Foglino



A lire la quatrième de couverture, on se dit que ce livre sera soit une réussite, soit un gros navet. On ouvre alors le roman, en espérant que la première option sera la bonne. Et, une fois refermé, on n’arrive pas à se décider si c’est un livre seulement original mais moyennement ficelé ou carrément génial pour autant qu’on adopte le parti-pris onirique et délirant de l’auteur. Pour ma part, j’en retiens un roman vraiment à part, fondamentalement original, interpelant et qui ne s’effacera pas sitôt le prochain bouquin entamé, ce qui n’est déjà pas si mal. Mais je n’irai pas jusqu’à proclamer que j’ai adoré…

En fait le roman navigue en permanence entre plusieurs genres. Du côté des réussites, on retiendra la tendance conte fantastique et onirique où le rationnel n’a pas sa place, où réalité objective et délire se superposent en s’influençant mutuellement. Du côté bof, les considérations sociologiques tendance piliers de bar, volontairement décalées et qui se veulent drôles, affaiblissent considérablement la structure d’un roman qui en déroutera sans cela plus d’un.

Nicolas Angstrom est un technicien en photocopieurs. Un dieu dans son domaine, celui qu’on envoie dans les cas les plus désespérés et qui entretient une relation quasi intime et obsessionnelle avec ces placides machines qui ont fâcheusement tendance à tomber en panne. Vingt ans qu’il domine son sujet, fidèle à son poste, jamais malade, jamais en congés.

Brutalement, sans prévenir, son talent s’enfuit et la pression de la hiérarchie monte. Si bien qu’à l’occasion d’une fusion avec un acquéreur indien, Nicolas va se retrouver licencié, sur le carreau, totalement impréparé à affronter une autre vie, lui qui n’a comme seul compagnon qu’un photocopieur bricolé par ses soins à coups de pièces recyclées ou sauvées des décharges.

Commence une longue descente vers l’exclusion dont un apparent clochard va le sauver. Car il existe une face cachée du monde, une explication aux évènements médiatisés qui ne doivent rien au hasard et Nicolas va se voir offrir un rôle dans le grand théâtre de la vie. Cependant, plus Nicolas va tenir ce rôle, plus il va retourner vers un passé secret, enfoui et impossible à supporter, un passé hanté par un père mort il y a trente ans et qui s’impose dans des dialogues psychotiques d’ivrogne.

On navigue sans cesse d’un état du monde à l’autre, chaque événement de notre vie étant censé porter un signifiant pour d’autres que nous qui eux savent voir. Le découvrir risque d’entraîner le spectateur vers la folie, le désespoir, l’alcoolisme ou le suicide. Ce sont ces différents voyages que nous parcourons de façon saccadée et, en apparence, déstructurée. Dommage que l’écriture ne soit pas toujours à la hauteur des ambitions et originalités du récit.

Publié aux Editions Buchet et Castel – 250 pages

21.4.13

Le passage du col – Alain Nadaud



Voilà un roman à multiples lectures possibles, assez élaboré, bien écrit mais dont la fin surprend quelque peu au point d’en affecter, de mon point de vue, la qualité générale.

Le titre évoque les diverses étapes par lesquelles va passer un écrivain qui s’est aventuré au Tibet pour, au départ, en faire la découverte avec un tour opérateurs tendance aventures. Parce que la route approximative qui serpente péniblement sur les contreforts himalayens est rendue impraticable par un éboulement rocheux gigantesque et parce qu’un lama passe, par hasard, par là au moment où l’armée chinoise impose aux touristes cahotés de faire demi-tour, le voyage va soudainement prendre une dimension spirituelle inattendue.

Notre écrivain confie son désir de mieux comprendre la vie en lamaserie et les rêves qui le hantent depuis son arrivée sur place. Alors, le lama, abbé de sa lamaserie et accompagné d’un costaud et rustre géant, lui propose de le suivre. Commence un périple qui, car c’est le parti de l’auteur, surprenant au demeurant, de nous prévenir dès le début du roman, se terminera mal.

« Le passage du col » c’est d’abord celui des cimes immenses qu’il faut affronter, souvent au péril de sa vie, pour se frayer un chemin à l’abri de la surveillance omniprésente des troupes chinoises qui ne tolèrent pas la moindre incartade. Plus l’altitude augmente, plus le mal des montagnes gagne notre homme, plus les rêves le hantent.

Le roman est d’ailleurs construit en une succession systématique de récit du voyage et du séjour chez les lamas, sous forme de témoignage engagé, et de courts récits des rêves survenus la veille. Des rêves qui nous projettent dans l’Antiquité et qui, progressivement, se rapprochent du temps proche. Des rêves qui donnent à penser qu’ils sont la résurgence des vies antérieures vécues et que ces passages de col successifs vont permettre de révéler. Des rêves, aussi, pour donner un sens à des personnages fictifs que l’écrivain a laissé venir à lui dans les précédents romans commis et qui, tous, directement ou indirectement, ont un rapport particulier et obsessionnel à l’écriture.

« Le passage du col » c’est aussi celui de l’utérus que, grâce aux exercices de méditation, au travail sur soi qu’enseigne le bouddhisme, il est donné de revivre. Une fois ce retour à la matrice effectué, il devient alors possible d’accéder en les comprenant à ses vies antérieures.

Enfin, « Le passage du col » sera celui, final et fatal, qui conclura le récit mettant en scène nos trois compères, en fuite vers le col donnant accès au Népal, poursuivi par l’armée chinoise après une séance violente et dramatique de répression exercée sur le monastère.

On admirera le travail documenté sur le bouddhisme, la tentative pédagogique d’en faire comprendre les grands principes et le travail d’écriture apaisé qui guide le récit. Les deux premiers tiers laissent à voir un parcours initiatique semé d’embûches et la superposition du voyage vers un futur spirituel et un retour aux passés multiples remarquablement orchestrés. L’option prise par l’auteur d’une fin improbable nous paraît toutefois affaiblir gravement l’ensemble et l’équilibre du récit. C’est un témoignage sur la violence qui s’abat sur les Tibétains et leurs traditions, c’est une hyperbole de ce qui sous-tend l’affrontement du bien et du mal dans la religion bouddhiste, mais nous n’y avons pas cru et pas adhéré.

Nous vous recommanderons cependant de lire ce curieux roman et apprécierons par avance vos réactions à un livre qui ne peut laisser indifférent.

Publié aux Editions  Albin Michel – 317 pages

20.4.13

Onze ans plus tard – Pascale Kramer



Comme dans « Les vivants » (voir la note de lecture sur Cetalir), le roman s’ouvre sur un drame qui survient brutalement, presque par inadvertance dans un monde trompeusement silencieux. C’est avec une indifférence qui choque qu’une épouse va comprendre, sans prendre la peine de le vérifier sur le champ, que son mari s’est défénestré en voulant aller récupérer un ballon égaré dans la gouttière de leur maison.

Avec une précision quasi chirurgicale et beaucoup de pudeur, comme à son habitude, l’auteur va nous donner à comprendre l’absence de réaction de cette femme à ce qui nous paraît un drame absolu, définitif.

Onze ans ont passé. Onze années de mariage qui s’est délité parce que l’épouse n’a jamais pu donner vie à un enfant qu’elle désirait obscurément. Parce qu’elle a subi une terrible fausse couche qui l’a laissée ensanglantée et presque mourante, elle n’a cessé d’arborer une provocante robe rouge en réaction à la grossesse imprévue d’une sœur aînée fantasque et impudique.

Onze années où s’est installé le silence, la forclusion, l’isolement de la femme sans activité professionnelle, entièrement tournée vers elle-même et le ressassement de ses échecs. Onze années où elle a trompé des amitiés renouées, en manigançant de grinçants complots lorsque les couples côtoyés ailleurs se déchirent. Onze années où le mari, rédacteur professionnel, s’est heurté à l’incompréhension et s’est peu à peu réfugié dans le silence pour ne plus avoir à supporter des reproches plus ou moins explicites et taire la fin d’un amour qui fut sincère, intense mais furieusement bref.

Onze années de sape, où tout espoir s’écroule, où le pardon devient impossible face à l’accumulation de fautes et de provocations.

La disparition tragique de l’époux en devient salvatrice. A grands coups de projecteur dans le passé, sans aucune concession, avec une économie de mots qui n’en rend le dessin que plus douloureux, P. Kramer nous entraîne dans le sombrement définitif de deux êtres que seuls d’épars souvenirs et une intense douleur continuent de rattacher.

Il en résulte un roman à la violence maîtrisée, profondément triste, quasi dépressif et profondément touchant.

Publié aux Editions Calman-Lévy – 160 pages

13.4.13

Le paradis entre les jambes – Nicole Caligaris



Longtemps, Nicole Caligaris a laissé sommeillé ce livre en elle. Ce n’est que plus de trente ans après les faits, une fois le temps ayant marqué sa distance qu’elle prit sa plume et tenta de dire à sa manière, sophistiquée, intellectuelle, bourrée de références et de citations ce qu’au fond elle ne parvient pas véritablement à justifier.

Juin 1981 : Nicole Caligaris participe à un séminaire à la Sorbonne sur le surréalisme. Parmi les étudiants avec lesquels elle partage des dîners insouciants sur les terrasses de Saint-Germain-des-Prés, se trouve Issei Sagawa, âgé de trente-deux ans. Un jeune homme discret, effacé, parlant maladroitement encore le français malgré quatre années passées à Paris, ayant publié de courts textes de qualité mettant en lumière le rôle de la littérature et de la culture occidentale sur la littérature japonaise du vingtième siècle. Un jeune homme fasciné aussi, surtout, par sa camarade de séminaire Renée Hartevelt, hollandaise, dont il ne cesse de dessiner le profil pendant les cours.

Le 11 Juin, il l’invitera chez lui sous le prétexte qu’elle lui lise un texte en Allemand, une langue qu’il a apprise mais qu’il n’arrive pas à prononcer correctement. Là, il la tuera d’une balle dans la nuque, la dépècera et la démembrera en partie, consommera sa chair crue ou après l’avoir cuisinée et prendra trente-deux photos de toutes les étapes de ce rituel macabre et indicible.

Une fois arrêté puis incarcéré, Nicole Caligaris correspondra avec lui au cours de huit lettres dont les fac-similés de Sagawa sont reproduits en fin de ce livre. Une correspondance que l’auteur ne s’explique pas, trente ans plus tard.

Il ne conviendra pas de chercher ici du sensationnel ou de quelconques révélations exclusives sur ce fait-divers atroce. Le propos de l’auteur est au contraire de tenter de comprendre la signification de cet acte dont elle nous donne à voir qu’il est devenu le point de départ de la vie de Sagawa déclaré irresponsable, interné un temps en hôpital psychiatrique avant d’être transféré au Japon et libéré. Depuis, il vit de shows télévisés, de films et de livres dans lesquels il ne cesse de remettre en scène un acte conçu d’emblée pour être scénarisé, relayé par les medias en tous genres.

De là, N. Caligaris laisse courir une plume vagabonde qui dit aussi la violence faite aux femmes à cause de ce triangle en forme de  paradis entre les jambes, de sa révolte contre la condition de femme à épouser, cercle vicieux dont elle a voulu à tout pris échapper se lançant à corps perdu dans la littérature. Une vie littéraire qui commencera précisément au moment de ce meurtre. Les références philosophiques, artistiques et littéraires abondent dans ce livre à la fois touffu et un peu déstructuré. Un ouvrage qui déroutera plus d’un et qui semble destiné avant tout à pardonner son innocence et sa naïveté à une femme qu’elle n’est plus. Un livre exigeant, souvent difficile, plus destiné à une élite intellectuelle qu’au commun des lecteurs.

Publié aux Editions Verticales – 2013 – 171 pages

12.4.13

Ecoute la pluie – Michèle Lesbre


En Décembre 2003, dans la station de métro Gambetta à Paris, Michèle Lesbre fut approchée un court instant par un vieil homme qui lui glissa quelques mots avant de se jeter sous ses yeux sous les roues de la rame qui entrait en gare. Ce fut pour l’auteur un moment d’une grande violence et qui la marqua à vie. Un premier roman, « Le canapé rouge » rendit un hommage à cet anonyme. Il en devient le point de départ, le fil conducteur de ce deuxième très beau roman.

Tout commence ainsi pour la femme qui est au centre de ce récit comme Michèle Lesbre le vécut elle-même. Un vieil homme l’approche, lui sourit et se jette sur les voies du métro qui passe. Profondément ébranlée par cette violence et ce contraste insaisissable entre cette amabilité de surface et cette noirceur, cette douleur qui poussent au geste ultime, la femme sort en hurlant du métro.

Cet incident se produit alors qu’elle vit elle-même une période charnière de sa vie. Voici quelque temps qu’elle s’est installée dans une relation difficile avec un photographe. Elle habite Paris, lui Nantes. Chaque week-end, quand il n’est pas quelque part dans le monde à couvrir un événement ou une catastrophe, elle part le rejoindre dans un hôtel d’une petite station balnéaire bretonne où elle passait enfant ses vacances d’été. Elle devait d’ailleurs s’y rendre ce soir là et ne le fera pas car il lui faut évacuer ce stress intense qu’elle vient de vivre.

Errant dans les rues de la capitale, débarquant à l’improviste dans une soirée où elle n’est pas attendue et où elle hurlera sa douleur, terrée dans son appartement, elle se livre à une réflexion décousue mais lancinante, tentant de reconstruire une vie à ce vieil homme qu’elle n’a rencontré que pour quelques secondes fatales. Mais surtout, elle s’interroge sur cette relation amoureuse, le choc qu’elle vient de subir jouant le rôle de déclencheur d’une interrogation salutaire, presque une urgence. Voici des mois, des années peut-être que cette relation dure sans véritablement exister pour de bon. Les cohabitations furent des échecs, les disputes s’enchaînant aux ruptures.

D’ailleurs, elle ne répondra pas au message que son amant lui a sans doute laissé sur son répondeur, elle ne le préviendra pas non plus de son empêchement comme si, inconsciemment, elle voulait lui laisser le soin d’une rupture. Tentation qu’elle lui donnera la possibilité aussi d’écarter en lui laissant, au bout de vingt-quatre heures de désarroi, de tristesse et de réclusion, un énigmatique message en forme d’amour « Ecoute la pluie ». Sans doute aura-t-elle choisi de laisser vivre cet amour qui l’habite mais elle veut que ce soit lui qui en décide, qui éclaircisse ces nombreuses zones d’ombre qu’elle aura eues le courage enfin d’affronter.

Michèle Lesbre signe ici un roman d’une extrême sensibilité et qui nous touche au plus profond. Un roman d’une grande pudeur, superbement écrit, et que nous ne saurons que trop vous encourager à découvrir.

Publié aux Editions Sabine Wespieser – 2013 – 100 pages

Adieu, mon unique – Antoine Audouard



Publié en 2000, ce long roman, très documenté, s’inscrit dans la tradition des romans historiques. « Adieu, mon unique » sont les dernières paroles prononcées par Pierre Abelard au moment de sa mort, séparé depuis des années de son épouse la belle Héloïse, pour des raisons profondément politiques.
P. Audouard entreprend donc de nous conter, à sa manière, en s’appuyant sur de nombreuses références historiques, l’histoire tourmenté de ces deux amants impossibles qui combinaient celui qui se considérait alors, car il était fort imbu de lui-même, ce qui a causé sa perte, comme le plus grand philosophe du monde et l’inventeur de la théologie, et celle qui fut son élève brillante et amoureuse passionnée au point de tout supporter, même l’insupportable !

Alors, évidemment, Audouard emprunte un parti-pris pour nous conter cette histoire romanesque, condensée des tensions de pouvoir qui secouait la France et l’Europe de ce début du XII ème siècle. Celui de dépeindre un Abelard tourmenté, un être déchiré entre la conviction de la justesse de ses pensées qui refondaient le Christianisme en partie, la soif de pouvoir gagné de haute lutte en s’adjoignant la protection du Chancelier du roi ce qui le préservait jusqu’à un certain point d’attaques politiques et la violente passion qui le saisit lorsqu’il fait la connaissance d’Héloise.

Le parti-pris aussi de faire d’Héloise une victime consentante, une amante prête à tout pour satisfaire un homme impossible, une mère qui se séparera de son enfant à la naissance pour étouffer le scandale et protéger les ambitions politiques d’Abelard. Une femme qui ira jusqu’à accepter l’enfermement dans les ordres lorsque Pierre le lui imposera, comme à lui-même, pour mieux contenir ses ennemis, se garder les faveurs de l’Eglise, circonvenir ceux qui tentent de l’assaillir de toutes parts.

Mais les inimitiés furent terribles, à l’image du caractère impossible d’Abelard. Elles lui coutèrent sa virilité (il fut castré sauvagement par ses détracteurs), son amour (il fut éloigné d’Héloïse presque à jamais), ses livres qui furent brûlés en autodafés, jusqu’à sa place dans l’Eglise lorsque son influence reprit du poids au risque de menacer la suprématie de Pierre Suger, le tout puissant Abbé de l’Abbaye Royale de Saint-Denis.

Le récit est assez fascinant et permet de bien comprendre les tensions qui sont à l’œuvre et qui fondent le pouvoir politique, profondément ancré sur celui de l’Eglise, elle-même en proie à de constantes luttes intestines entre ces fondateurs révolutionnaires qui furent à l’origine de Cluny ou de Vélezay.
Audouard sait donner un côté très humain à cette grande fresque en laissant le soin au fidèle Guillaume d’Oxford, compagnon de route d’Abelard et amoureux transi d’Héloïse, fidèle aux deux dans l’adversité, de nous conter l’histoire dans l’Histoire.

Toutefois, la première partie du roman nous a quelque peu déçu. Le style en est souvent confus, voire inutilement pompeux, comme une sorte de tentative très maladroite de rendre la confusion de ce qui se passe. On s’y perd fréquemment d’autant que les ruptures de temps, de lieux et de personnages y sont fréquentes et brutales.

La deuxième partie, celle de la séparation, celle de la fondation du Paraclet par Guillaume puis Héloïse, celle de la perte de Pierre est en revanche grandiose. Elle est profondément touchante, juste et précisément débarrassée de ces artifices de style qui mâtinaient la première partie.

Un récit violent, humain et qui donne à comprendre l’Histoire à travers les acteurs principaux de ce début de Haut Moyen-Age.

Publié aux Editions Gallimard – 2000 – 392 pages

6.4.13

Une larme m’a sauvée – Angèle Lieby



Voici un témoignage des plus émouvants que tout un chacun devrait lire. Celui d’une femme, Angèle Lieby, dont la vie m’a basculé tout à coup comme cela pourrait arriver à n’importe qui. Jusqu’ici, Angèle, âgée de cinquante-sept ans, a mené une vie sans grands problèmes. Elle bénéficie d’une bonne santé, fait du sport, participe régulièrement aux dix kilomètres de Strasbourg où elle habite, part avec son mari faire de longues courses en montagne l’été, exerce un métier assez physique sans jamais se plaindre.

Mais en cette veille de quatorze Juillet, elle est prise d’un mal de tête violent et qui ne passe pas. A tel point qu’elle se fait conduire par son mari à l’hôpital où l’on ne trouve rien et est sur le point de la renvoyer avec un brin de moquerie envers une patiente que l’on trouve bien douillette. Et puis c’est le grand trou noir. Quand Angèle revient à une forme de conscience, elle réalise par les propos tenus autour d’elle qu’elle est dans le coma, en réanimation, placée sous respirateur artificiel. Elle induit aussi que les médecins sont incapables de la diagnostiquer, qu’ils ne comprennent pas ce qui a pu se passer. Car Angèle, bien que totalement végétative, incapable du moindre mouvement, ne réagissant à absolument aucun stimulus entend tout ce qui se passe autour d’elle.

Commence alors un long calvaire où son angoisse fondamentale est qu’on l’incinère vivante non sans lui avoir prélevé au préalable divers organes car elle est donneuse. En effet, les médecins sont tellement persuadés qu’elle est en état de quasi-mort qu’ils ont même ordonné à son mari de s’occuper de ses obsèques et de prendre toute disposition puisqu’elle n’en a que pour quelques jours tout au plus.
Grâce à l’amour extraordinaire de son mari et de leur fille énormément présents auprès d’elle, grâce au refus aussi de son époux de se résigner et de la considérer comme perdue, elle va finir par trouver la force de faire couler une minuscule larme que sa fille saura voir et qui changera tout d’autant qu’un microscopique mouvement d’un petit doigt viendra nier à nouveau l’évidence médicale qui la considérait comme presque morte et sans espoir de guérison quelconque.

Soutenue par cet amour et par une équipe médicale qui change alors de posture, elle parviendra progressivement au bout d’une année, à force de volonté farouche, à revenir à une vie quasi normale avec une obsession en tête, celle de témoigner au nom de tous ces gisants considérés comme perdus à jamais. Témoigner qu’un malade a priori inconscient n’est pas un objet mais un être vivant qui comprend ce qui se passe autour de soi, qui souffre lors de soins à la imite de la barbarie et dispensés à la va-vite parce que les équipes sont débordées ou considèrent que le patient ne ressent rien, donc pourquoi le traiter avec délicatesse. Témoigner aussi que l’on peut s’en sortir grâce à la volonté, sous condition d’amour familial et du soutien indéfectible d’une équipe de soignants qui porte un regard positif sur les malades. Témoigner aussi que certains médecins, certaines infirmières n’ont pas leur place en milieu hospitalier du fait de leur comportement ou de leurs propos dévastateurs.

Tout cela est dit sans haine, avec un souci de vérité, d’introspection factuelle, une capacité à affronter une souffrance extrême qui soulèvent admiration et compassion de la part du lecteur. Un décidément magnifique témoignage, rare et sincère.

Publié aux Editions les arènes – 2012 – 232 pages

2.4.13

Je suis une vieille coco – Dan Lungu



Après l’étonnante découverte du « Paradis des poules » que nous avions adoré et dont vous trouverez la note de lecture sur Cetalir, nous attendions avec impatience la dernière livrée de cet auteur impertinent et décalé qu’est Dan Lungu.

« Je suis une vieille coco » n’a pas la puissance scripturale, le souffle débridé, l’humour décapant du « Paradis des poules ». Le livre est assurément un ton au-dessous même s’il reste agréable et souvent amusant à lire.

Mica est une femme qui arrive au soir de sa vie et qui se laisse submerger par des vagues de souvenirs qui arrivent en vrac, sans ordre chronologique. Des souvenirs qui vont balayer une bonne cinquantaine d’années d’une Roumanie écrasée par la dictature de Ceaucescu que la propagande s’évertue à présenter comme le Génie des Carpates. Un génie déconnecté de toute réalité, isolé par un cour qui l’entretient dans la croyance que tout va bien alors que le pays marche à l’envers, produit des marchandises invendables et manque de tout à commencer par la nourriture.

Alors, le système D fonctionne. A force de prévarications, d’imagination, de détournements de biens, une économie parallèle se développe qui permet de survivre. Quand on a en outre le privilège de travailler pour l’exportation et de détenir la  carte de membre du Parti, la vie est beaucoup plus facile.

C’est ce privilège que Mica a connu. C’est l’ancien régime qui lui a fourni son logement qui, bien que défraîchi au point d’en être quasi insalubre, lui est cher. C’est l’ancien régime qui a fait de sa fille une ingénieur. Certes, celle-ci a fui au Canada et s’y est mariée mais il vaut mieux ne pas trop y penser.

Depuis la révolution qui a vu le dictateur se faire fusiller un jour de Noël après une mascarade de procès, tout est devenu plus compliqué, beaucoup plus cher. D’où les regrets, d’où le sentiment, parfois, presque inavouable, de se laisser tenter en se prenant pour une  vieille coco.

Grâce aux voyages dans la ruralité profonde où l’on fabrique du méchant combustible en foulant pieds-nus le fumier, aux bons moments passés avec les camarades d’usine, les souvenirs sont conviés pour décrire une Roumanie qui a vécu d’expédients mais qui a toujours trouvé dans une bonne dose d’humour et d’auto dérision un moyen peu onéreux de tenir le coup. On rit souvent aux bonnes blagues sur le couple Ceaucescu qui confondait allègrement intérêts privés et nationaux, on se paye la tête des chefaillons et du Parti, tout en se méfiant en permanence de l’omniprésente Securitat, la police politique.
L’impression retenue est celle d’un pays à la dérive, ravagé par un communisme totalitaire et encore bien loin de trouver sa place dans une Europe capitaliste et hyper moderne. La fin d’un monde et un saut dans l’inconnu servi par un style caustique et une écriture rapide et décapante. Sympathique sans être indispensable.

Publié aux Editions Jacqueline Chambon – 229 pages