25.8.13

D’autres chemins – Enis Batur



Enis Batur est un des grands écrivains turcs contemporains. Sa production est nombreuse, variée (essais et poèmes essentiellement) et partiellement traduite en Français. Il a reçu une éducation classique française dans un collège et lycée religieux français en Turquie et sa connaissance de la langue française et de ses grands auteurs classiques est excellente.

Aborder Enis Batur par « D’autres chemins » (comme ce fut mon cas), n’est probablement pas la meilleure façon de procéder et je préfère en avertir les esprits curieux sans tarder !

Ce récit est en effet un étrange mélange de récit autobiographique, de descente hasardeuse dans des souvenirs ou des impressions personnelles, d’envolées lyriques sur certains auteurs français, de références incessantes à ses œuvres dont nous ne savons rien ni sur le fond ni sur la forme. Les hommes et les femmes côtoyés tout au long de sa vie d’écrivain y sont convoqués au gré des souvenirs sans qu’il ne soit jamais explicitement dit de qui il s’agit. Il faut parfois parcourir de nombreuses pages denses avant de deviner qu’il est fait référence à un père politicien et figure de la Turquie, à un fils, à un ami, à un grand-père… Toutefois, les femmes sont curieusement absentes la plupart du temps dans ses convocations.

Batur se trouve au carrefour des cultures occidentales et orientales et son écriture s’en ressent immédiatement. Elle possède la force structurelle classique, la richesse de vocabulaire tout en se laissant porter par le chatoiement des images, l’éblouissement des couleurs ou des sentiments. Elle se refuse en tous cas à toute linéarité : le temps y est systémiquement et inconsciemment détruit, nié, aboli. Du coup, ou bien on accepte d’être entrainé dans une forme de maelstrom légèrement narcotique, en renonçant à comprendre pour ne se laisser bercer que par la magie des mots, ou bien l’on s’accroche à la rationalité et l’on ne pourra quitter ce récit que frustré, voire agacé.

J’ai pour ma part choisi la première option mais mon esprit cartésien occidental m’a trop vite rattrapé et j’ai, du coup, lâché le récit aux environs des deux tiers, n’en pouvant plus de références inexpliquées à des êtres, des lieux, des situations incompréhensibles à un non turc voire à un non proche de l’auteur.
Or, c’est, à mes yeux, bien là la limite absolue de cet ouvrage qui, structurellement, ne pourra concerner qu’une poignée de lecteurs convaincus en France. D’où la question : pourquoi l’avoir traduit, puis édité ? Mesdames et Messieurs d’Actes Sud, dont j’admire par ailleurs la ligne éditoriale qui structure Cetalir, j’apprécierai une réponse à cette question inhabituelle.

Publié aux Editions Actes Sud – 2009 – 262 pages