30.8.13

Une fille, qui danse – Julian Barnes


 
Commençons par un petit coup de gueule. Pourquoi avoir traduit le titre original « The sense of an ending » (qui signifie en gros contextuellement « Le sens d’un accomplissement ») par « Une fille, qui danse » ? Certes, cette fille Véronica, Tony l’a aimée un temps alors qu’il était étudiant. Elle qui refusait de danser et qui le manipulait à sa guise, s’était mise à danser un soir, pendant dix minutes, dans sa petite chambre d’étudiant en se démenant sur un disque de musique rock. Mais, ceci ne fut qu’un instant parmi d’autres, pas celui autour duquel tout, et en particulier les souvenirs, se cristallise.

Car, ce délicieux roman de Barnes et assurément l’un de ses meilleurs, est un livre avant tout sur la mémoire et la façon dont, avec le temps et la distance, nous finissons par agencer les choses vécues pour composer avec, nous rassurer ou tout simplement continuer de vivre et d’avancer.
Tony, la soixantaine, est désormais à la retraite. Une retraite à l’image de son existence, sans relief particulier autre que de ne pas faire de vague, de se confondre dans le paysage pour devenir anodin, insipide. Il vit seul, en harmonie avec son ex-épouse, et en contact régulier avec leur fille unique, mariée à son tour et mère de deux enfants qu’il voit de temps en temps. De sa vie passée, il a fait un trait, fin car il n’y avait de toute façon pas grand-chose à biffer ou à cacher.

Et puis, un jour, tout est remis en cause parce qu’il reçoit un courrier d’un notaire lui indiquant qu’il est le bénéficiaire d’un petit héritage au contenu d’autant plus troublant qu’il est provenance de deux personnages dont il avait tout oublié ou presque, parce que croisés du temps de sa jeunesse et totalement perdus de vue depuis.
Du coup, les images, les séquences, les souvenirs remontent, convoqués pour tenter de donner un sens à ce qui paraît n’en avoir aucun. Du coup aussi, l’irrépressible besoin de renouer avec celle qui fut l’amour de sa jeunesse, perdue de vue depuis quarante ans, cette fille qui a dansé un soir pour lui, avant que de le lâcher dans des circonstances douloureuses que nous allons peu à peu découvrir, se fait jour d’autant qu’elle est la détentrice d’une partie de l’héritage qui lui revient.

Bribe par bribe, collant les séquences d’un passé reclus au tréfonds de la mémoire parce que souvent trop douloureux avec des morceaux de vie du présent qui viennent troubler une petite existence tranquille, Julian Barnes nous conte une histoire noire, à l’humour très british, qui nous montre que, parfois, nos actes, surtout lorsqu’ils ont été oblitérés par le temps, peuvent avoir des conséquences parfaitement insoupçonnées. Finir par l’apprendre et le comprendre par soi-même quarante ans plus tard peuvent se révéler de puissants traumatismes.
Saluons le travail de traduction (mis à part le titre mais peut-être imposé par un éditeur peu scrupuleux de respecter le sens originel) qui rend parfaitement l’humour et le style très travaillé sous des apparences de simplicité, de l’auteur. Voici un livre superbe d’ailleurs récompensé par le prestigieux Man Booker Prize à sa sortie.

Publié aux Editions Mercure de France – 2013 – 193 pages