2.9.13

Steve Jobs – Walter Isaacson



Walter Isaacson s’est fait une spécialité des biographies et ses ouvrages sur Benjamin Franklin, Albert Einstein ou bien encore Henry Kissinger font, encore aujourd’hui, autorité. A lire ce gros pavé sur l’un des hommes qui marquera probablement pour longtemps l’histoire encore très récente de la haute technologie et les grandes épopées capitalistes de la Silicon Valley, on comprend pourquoi Jobs a absolument tenu à ce que ce soit Isaacson qui réalise cette biographie.

Pourtant, l’auteur a longuement hésité malgré l’insistance de l’épouse de Jobs et ce n’est qu’après avoir reçu l’assurance de pouvoir écrire ce qu’il souhaitait, sans censure, afin de donner une image la plus véridique possible sur une icône mondiale qu’il a fini par accepter après bien des hésitations et des discussions.

Autant vous prévenir tout de suite : une fois entré dans ce livre, vous serez fasciné au point de ne plus arriver à le quitter, d’en rêver la nuit, d’être hanté par une homme qui avait l’incroyable capacité de rendre possible l’impossible, d’exiger et d’obtenir des autres le meilleur d’eux-mêmes, sans concessions, tout cela grâce à ce que son entourage appelait son « Champ de distorsion de la réalité ». Une capacité à vriller son regard dans le vôtre jusqu’à vous faire plier, une volonté de fer de faire se correspondre le rêve et la réalité même s’il fallait pour cela prendre des positions physiquement (au sens de la science) ou philosophiquement virtuellement impossibles.

En suivant pas à pas Steve Jobs, on comprend parfaitement ce qui a fait d’Apple et de Pixar deux extraordinaires réussites. C’est en apprenant de ses échecs, en n’acceptant aucun compromis, en plaçant l’art et la technologie à la croisée des chemins, en imaginant de nouveaux usages qui allaient révolutionner le monde la micro-informatique, du cinéma d’animation, de la musique, de la presse et de l’édition, en choisissant une stratégie du tout intégré dans un monde fermé et cohérent, celui d’Apple, en s’entourant systématiquement des meilleurs que Jobs a forgé ses succès.

Alors, l’homme fut invivable, mercurien, capable de toutes les manipulations pour arriver à ses fins. Mais pour avoir côtoyé beaucoup de grands patrons dans le monde de la haute technologie, je peux vous affirmer que c’est une caractéristique quasiment indispensable pour balayer la concurrence et faire plier les inévitables résistances aux changements qui sont les morts programmées des entreprises évoluant dans un environnement volatile, complexe et jamais stable.

Ne portons donc pas de jugement sur l’homme qui fut ce qu’il fut, avec ses travers nombreux et ses immenses qualités de visionnaire, d’artistes, d’homme de marketing, de négociateur redoutable et de meneur d’hommes. Gardons seulement en tête qu’il a été l’un de ceux qui, avec une poignée d’autres à la même époque, nous ont fait basculer du monde classique au monde numérique en plaçant le souci du beau, de la perfection absolue au centre de son approche. Il fut aussi celui qui aima passionnément son épouse grâce à laquelle, comme Gates et lui se l’avoueront lors de leur ultime conversation, il ne devint pas fou, même si, souvent, il lui rendit la vie impossible. Il fut celui qui tenta, avec des fortunes diverses, d’être un père malgré une première fille qu’il abandonna, comme lui le fut, avant que de renouer avec elle plus tard. Il fut un homme d’une extrême complexité, plein de contradictions, déterminé à faire évoluer l’humanité grâce à des produits qui rendent la vie plus belle parce que plus riche en expériences que fournissent un bataillon de produits léchés, beaux, simples à utiliser. Lui seul l’a fait avec autant de succès et en menant à bien cinq transformations majeures dans la micro-informatique, le cinéma, la presse, la musique et l’édition. Chapeau bas Mr Jobs et bravo à Mr Isaacson pour sa biographie extraordinaire et indispensable !

Publié aux Editions JC Lattès – 2011 – 669 pages