3.2.14

Billie – Anna Gavalda


 
On pourra aisément se fourvoyer dans le dernier roman d’Anna Gavalda si on n’y prend garde. Pourtant, l’auteur prend soin de terminer son livre par une petite ritournelle qu’on pourra lire comme une nouvelle preuve d’impertinence dont elle jonche son roman ou bien comme un palimpseste codé. Sans vous donner la clé de décodage (facile à craquer), vous comprendrez que voici un livre à double sens et qu’il conviendra de relire si vous n’avez pas prêté la bonne attention.

Délaissant son style habituellement plutôt élégant, Gavalda se lance à corps perdu dans une langue des plus imagées, crue et explicite. La langue d’une sorte de lumpenproletariat moderne, celle de Billie, une fille qui vient de la gangue, celle des familles vivant dans des conditions des plus précaires, où l’alcool fait office de principale nourriture et les coups de mode éducatif. Un univers médiocre, repoussant et glauque où elle s’est trouvée plongée de force après que sa mère l’eût  abandonnée à l’âge d’un an et avoir été confiée à une belle-mère acariâtre et encombrée de gamins.
La chance de Billie sera de rencontrer Franky, un autre exclu comme elle. Sur les bancs de l’école, ils se seront reconnus au premier coup d’œil mais il aura fallu des années et des circonstances exceptionnelles pour que le fossé a priori infranchissable soit comblé entre eux. C’est Marivaux qui les réunira, offrant une scène qu’ils doivent interpréter ensemble devant le reste du collège. Cela aurait pu être un de ces pensums régulièrement infligés dans nos établissements scolaires. Ce sera une révélation protéiforme. Celle d’un ancien temps, de ses codes et de ses mœurs. Celle de la culture alors que Billie ne vivait que dans la sous-culture. Celle d’une intelligence, Franky sachant se mettre à la portée de Billie pour lui faire appréhender un texte dans lequel elle va se transcender. Celle enfin qu’à deux, ils sont capables de faire taire les profs qui voient en Billie une ratée définitive et des camarades qui martyrisent Franky parce qu’il est une « fiotte ».

Alors commencera une relation spéciale entre ces deux lascars, sur laquelle Gavalda laissera traîner une ambiguïté certaine (sauf à lire attentivement ce qui se passe entre nos deux compères devenus adultes et désormais coincés au fond d’une crevasse, pensant mourir, prétexte à ce que Billie se repasse en mode accéléré son existence tapageuse). Une vie semée d’embûches où il faudra subir bien des humiliations encore avant de trouver sa voie et continuer de croire en sa bonne étoile malgré tout ce qu’il faudra endurer.
Dans un style explosif et jouissif, Gavalda fait exploser les codes et bouscule au passage les bien-pensants, celles et ceux de plus en plus nombreux qui voudraient voir une société moins liberticide, les bobos et les systèmes. Ne reste que l’amour, bizarre et lumineux, combustible essentiel qui permet à deux êtres que tout condamnait à non seulement survivre mais se révéler, s’imposer, trouver leur place et donner du bonheur à un monde qui leur vouait malheur. Une leçon d’espoir et d’humanité à côté de laquelle il sera facile de passer si l’on se laisse repousser par la langue ou que l’on reste à la surface des choses… Un livre dérangeant en tous cas.

Publié aux Editions Le Dilettante – 2013 – 224 pages