7.7.14

Un bébé d’or pur – Margaret Drabble




Margaret Drabble, à soixante-dix ans, avait déclaré renoncer à l’écriture et se couler dans une paisible retraite. Cinq ans plus tard, la parution de son dix-huitième roman, celui-ci, vient démentir ses dires pour nous donner l’un de ses meilleurs livres.

« Un bébé d’or pur » est une figure de style imaginée par la femme de lettres Sylvia Plath dans l’un de ses poèmes. Une expression douce et lumineuse pour parler de ces enfants qui sont différents des autres simplement parce qu’attardés ou handicapés d’une manière ou d’une autre. Du coup, Margaret Drabble a concocté ici un bien beau roman sur l’innocence, sur la façon dont la venue d’un tel être, qu’il faut aimer et protéger, bouleverse les vies de ceux qui les accueillent, des renoncements auxquels ils obligent irrémédiablement.

C’est une amie de la famille qui tiendra ici la plume et nous contera ce qu’elle aura vu, perçu ou entendu des vies qu’elle aura côtoyées et dont elle aura retenu les confessions partielles, intimes, magnifiquement douloureuses et dignes.

Du coup, c’est l’histoire contemporaine de l’Angleterre qui défile aussi sous nos yeux, des années soixante à nos jours. Une histoire marquée par la libération des femmes qui auront appris à se méfier des hommes au point de s’en passer, comme Jess, cette ethnologue de formation, devenue journaliste indépendante par nécessité, qui élève seule sa fille Anna, son bébé d’or pur. Du père, son professeur à la fac, nous ne savons presque rien si ce n’est qu’il fut veule, absent mais bon amant. D’ailleurs les hommes ne font que de brefs passages dans ce livre où des femmes ordinaires doivent apprendre à faire face à des situations extraordinaires. Ils sont tolérés pour un moment, plus ou moins bref, s’ils amusent, contentent les besoins du corps, apportent un réconfort avant que d’être gentiment et proprement écartés.

Pendant que l’Angleterre voit la pilule arriver, bouleversant le rapport de force homme/femme, et la spéculation immobilière devenir galopante au point de faire des propriétaires de petites maisons dans un coin de banlieue londonienne verdoyante des multimillionnaires potentiels, Jess consacre sa vie à sa fille Anna. Une fille qui malgré l’âge qui avance, reste et restera dépendante de sa mère car incapable de lire, d’écrire, de comprendre ou de faire le mal, toujours souriante quelles que soient les circonstances.  Lorsque l’éloignement devient une nécessité pour se sociabiliser, enseigner les gestes et les comportements fondamentaux, il n’est que le prétexte à des retrouvailles fusionnelles que rien, et surtout pas un homme, ne pourra entamer.

Il ne se passe finalement pas grand-chose dans ce roman qui prend son temps, celui de deux vies intimement liées ; deux vies qui s’écoulent pendant que la société se transforme et rend progressivement « normal » ce qui apparaissait au début comme un comportement pour le moins inhabituel, celui d’une mère célibataire élevant seule sa fille attardée.

Avec autant d’intelligence qu’elle en donne à ses personnages tous issus de milieux intellectuels, capables d’analyser ce qui se passe en eux et autour d’eux, Margaret Drabble nous livre un roman touchant, sincère et simplement beau.

Publié aux Editions Christian Bourgeois – 2014 – 434 pages