16.10.14

La nègre – Marie Rouanet


Parfois, la vie peut basculer sur une décision a priori sans conséquence et nous entrainer sur une pente opposée à ce que furent jusque là nos convictions et nos choix. Il faut pour cela bien peu de choses : une fascination pour celui ou celle qui nous interpelle, une manipulation bien articulée ou l’appât d’un gain facile, solution miracle à une terrible difficulté à vivre. Et, une fois un petit renoncement à ses idéaux entériné, ce que l’on croit une mise entre parenthèses, le temps de se refaire, de devenir malgré soi le réceptacle à ce que l’on ignore encore d’ignominie et de boue, vous projettera définitivement de l’autre côté du miroir dans un mouvement de grande violence psychique dont il est impossible de sortir indemne.

C’est précisément ce qui va arriver à Renée Balthazar lorsqu’elle se retrouvera face à Hélène, cette femme de la grande bourgeoisie nantaise, originaire comme elle d’Entremont. Une femme que, comme tous les habitants de cette petite vile, elle a admirée pour sa beauté, sa culture et son mariage à l’héritier de cette longue lignée de notaires.

Quand Hélène vivait une vie de faste, Renée se confrontait à la bohème. De région en région, cette fille de pauvres agriculteurs, cherchait sa voie, passant par tous les métiers de moins en moins qualifiés avant que de s’installer comme artiste potière et peintre et de commettre un livre à compte d’auteur qui fut un bide complet.

Mais le destin d’Hélène bascula un jour où, après un terrible et suspect accident de voiture, elle ressortit fracturée et défigurée par l’incendie du véhicule où se trouvaient son mari et un ami, tous deux épargnés.

Or, c’est cette femme brisée, toute de douleurs et affichant d’horribles cicatrices mais ayant su garder les manières du grand monde et une volonté implacable qui, à l’improviste vient solliciter une Renée qui vit chichement d’expédients dans une grande pauvreté. Lorsqu’elle lui propose d’être son nègre à prix d’or pour se venger d’un mari qui voulut la tuer, Renée, après quelques hésitations, voit surtout la possibilité de gagner facilement une somme d’argent inconcevable jusqu’ici, condition essentielle pour lui permettre de vivre, aussitôt sa tâche finie, de son art.

Renée apprendra fort vite, à ses dépens, qu’on ne vend pas son âme au diable sans conséquence. Très tôt, Hélène pliera sa nègre à ses quatre volontés, lui imposant un style et un contenu qu’elle contrôle en totalité. En lui confiant la face cachée de ce dont elle fut non seulement la complice mais l’actrice, Hélène va broyer Renée.

Impossible pour Renée d’entendre et de voir les confessions immondes sans chercher le refuge dans l’alcool qui estompe une réalité à vomir. Elle en ressortira brisée à jamais tant pour avoir su ce qu’elle n’aurait jamais dû que par l’exploitation qui en sera faite et ses multiples conséquences. Comment démêler le vrai du faux, le désir implacable d’une femme hautaine de faire voler en éclats la façade apparente et lisse d’un notable de mari qu’elle abhorre d’une part de manipulation ? Quelle est la part de responsabilité de celle qui dut écrire sous la dictée, ne recueillant qu’une version des faits et ne pouvant jamais chercher à faire la part des choses ?

Renée finira par devenir la victime consciente et tétanisée d’une descente aux enfers qui la laissera pour toujours à l’écart du chemin qu’elle s’était donnée de suivre et la fera errer autour d’un monde devenu nauséabond.

Marie Rouanet parvient à évoquer les bas-fonds de l’âme humaine tout en évitant habilement  une descente dans le macabre. Elle réussit un intéressant travail d’écriture faisant cohabiter une partie romanesque et narrative avec un roman dans le roman, celui qu’écrit la Nègre dans un style lapidaire et essentiel. Tout juste pourra-t-on reprocher à l’auteur une certaine complaisance lassante, à force d’abus, pour les homonymes.

Un roman parfaitement recommandable et assez dérangeant.


Publié aux Editions Albin Michel - 2010 – 217 pages