8.1.15

Madame – Jean-Louis Chevrier




Quelles sont les véritables intentions de cette vieille aristocrate qui se fait appeler Madame lorsqu’elle décide de s’occuper, en dépit des intéressés, de l’éducation du fils de ses fermiers, Guillaume, un adolescent de quatorze ans qu’elle s’entête à prénommer Willy ?

C’est cette question qu’explore le roman troublant de J.L. Chevrier. Troublant car il pourrait se situer hors du temps. Un temps qui semble s’être figé sur place, autour d’une propriété qui connut ses heures de gloire et qui tombe en décrépitude. Un temps immuable et pourtant contemporain comme en témoignent une foultitude de détails, rythmé au pas des saisons et des travaux agricoles. Un temps qui s’étire comme cette vieille gouvernante de Madame qui n’en finit pas de mourir à petits feux, ultime vestige d’une époque qui fut riche et glorieuse.

Madame dirige le monde qu’elle s’est fabriqué d’une main de fer. Habillée d’une continuelle robe grossière noire munie de poches immenses où elle engouffre une théorie d’objets, elle a des allures de religieuse revêche qui balaye tous les obstacles sur son passage et n’en faisant qu’à sa tête. Ainsi continue-t-elle, malgré les risques de panne constants, de partir sur les routes au volant d’une vieille guimbarde, image d’un temps révolu.

En s’accaparant Guillaume devenu Willy, Madame a un plan en tête. Un plan dicté par la mort d’un fils unique au même âge que celui qu’a Guillaume. Un plan retors dont on ne saura vraiment s’il fut conçu dès le départ ou si la découverte fortuite que fit Willy, un jour, dans la grange qui tombe en ruines en précipita l’idée et la réalisation.

Avec méticulosité et réalisme, JL Chevrier analyse l’évolution des rapports entre Madame et son monde qu’elle a pour habitude de mettre à ses pieds si ce n’est à ses ordres. A ce jeu-là, Willy en surprendra plus d’un lui qui entre dans un jeu dont il ignore tout avant que d’apprendre à en exploiter les règles ou les failles. Comme un rite de passage de l’enfance à l’adolescence puis au monde des adultes et à tout ce qu’il contient de fausseté, de secrets, de révélations ou de manipulations. Par bien des aspects, « Madame » est un roman d’apprentissage d’ailleurs.

La fin, superbe, nous réservera une ultime surprise et met une dernière touche à un petit roman un brin pervers, audacieux et délicieusement mené.

Publié aux Editions Albin Michel – 2014 – 200 pages