2.4.15

La promesse – Jean-Guy Soumy


Jean-Guy Soumy traîne la réputation, totalement inappropriée, d’être un écrivain du terroir… Quelle stupidité ! Commencez donc par lire « Le Congrès », formidable roman qui montre la puissance d’une écriture, la capacité à rendre compte des situations psychologiques complexes le tout, en partie, construit à partir d’un fait historique. Toutes choses que nous retrouvons dans cet autre absolu bijou qu’est « La Promesse ».

Dans la France de la fin du XVIIIème siècle, attenter à sa propre vie, se suicider donc, est considéré comme un crime. Contre l’Eglise encore toute puissante avant la Révolution, contre Dieu mais aussi contre le Roi, garant de la vie et de la protection de ses sujets. Un acte d’une telle gravité qu’il conduit à des mesures d’une sévérité à peine concevable. La victime est conservée, éviscérée, embaumée dans l’attente de son procès. Comme il y a crime, elle est donc emprisonnée (au beau milieu d’autres détenus bien vivants eux !), le temps pour la Justice d’instruire le dossier. Une instruction qui passe par la nomination décidée par le seul juge représentant du pouvoir royal d’un homme, issu de la famille et ayant bien connu la victime, sur lequel est transférée l’identité de la victime au point où il en devient à la fois le représentant vivant symbolique et qu’on s’adresse à lui sous l’identité de celle-ci et celui qui est chargé de préparer sa défense.

Car en cas de condamnation, les peines sont terribles. Confiscation des biens au profit du Roi, interdiction d’inhumation. Le corps est traîné en ville sur une claie, face contre terre avant d’être pendu par les pieds pendant vingt-quatre heures et d’être remis à la Voirie afin d’être dispersé avec les cadavres d’animaux. Sans oublier l’effacement de tous les registres, niant ainsi la réalité d’une existence qui aurait osé avoir décidé de sa propre fin.

C’est toute cette procédure qui se met en route au décès d’une jeune femme, retrouvée au pied de la tour de son château. L’enquête rapidement menée conclura à la défénestration volontaire. Du coup, c’est son cousin qui se voit assigné à représenter une parente qu’il a connue enfant et adolescente et avec laquelle il n’a plus entretenu la moindre relation depuis quinze ou vingt ans.

Lui est le riche héritier, l’ainé d’une grande famille de négociants bordelais. Elle fut la fille unique d’une vieille famille aristocratique ruinée par les placements désastreux de son père.

Désormais, il doit accepter de se glisser dans la peau d’une jeune femme dont il retrouve la dépouille troublante dans les geôles sordides et puantes de la prison bordelaise. Puis devenir celle-ci tout en restant lui-même. Plaider coupable, comme on l’y incite, pour expédier les choses et reprendre sa vie d’homme d’affaires puis reprendre une épouse, après le décès en couche de la sienne, sous les intrigues constantes d’une mère manipulatrice et odieuse. Ou jouer son rôle, enquêter, tenter de comprendre et de démontrer qu’il ne s’agit pas d’un suicide qui conduirait à l’infamie.

C’est cette option qu’il choisira par honneur, par respect vis-à-vis d’une jeune fille dont il a partagé un temps l’existence, par défi envers sa mère aussi. Une option dangereuse pour la santé psychologique. Une option qui oblige à replonger dans un passé occulté et qui va ramener à la conscience bien des choses ou des situations que sa mère était parvenue à étouffer. Une option qui met en danger la stature sociale voire les intérêts de son entreprise florissante.

Au terme d’une enquête haletante, d’un procès à retournements et d’une introspection douloureuse finira par surgir un sublime secret.

Tout cela est superbement écrit, incroyablement documenté, formidablement réalisé et constitue une réussite absolue.


Publié aux Editions Robert Laffont – 2014 – 221 pages