13.6.15

Le NON de Klara – Soazig Aaron


Récompensé par la Bourse Goncourt du premier roman et par le Prix Emmanuel Roblès en 2002, « le NON de Klara » est un livre intense qui vous frappe comme un coup de poing.

Comment apprendre à revivre quand, comme pour Klara, on revient d’Auschwitz après vingt-neuf mois de captivité. Une éternité pour voir la barbarie sous toutes ses formes, à vingt-trois ans, parce qu’on a refusé de se cacher, qu’on s’est bêtement fait recensée alors que tout son entourage vous enjoignait de n’en rien faire.

Lorsque Klara sortira des camps, elle échouera chez son amie d’enfance, juive comme elle, mais qui avait eu l’intelligence de changer de nom, de se fondre dans l’anonymat. Klara ne pèse plus que trente huit kilos, habillée et chaussée, mais dans ses yeux brillent une intensité nouvelle, celle d’avoir su dire NON à l’horreur, d’avoir tout mis en œuvre pour s’en tirer en refusant de devenir une victime de plus de la folie nazie.

Soazig Aaron ne nous livre pas là une énième version d’un livre sur les camps de concentration. Au contraire, en choisissant le parti de faire de ce livre intense le journal de Solange, l’amie qui écoute, héberge et nourrit Klara, elle donne encore plus d’impact. Car chacune des deux femmes a choisi un chemin personnel pour survivre. Chacune d’elle a vu les amis, les membres de la famille mourir, déportés ou fusillés. Solange a aussi recueilli la fille de Klara, Victoire, qu’elle a eue de son mari Rainer, le frère de Solange, mort lui aussi, fusillé pour acte de résistance. Or Solange ne comprend pas avec son mari, psychiatre et qui fait suivre Klara par une de ses confrères, comment cette dernière peut refuser de voir celle qu’elle a mise au monde.

Il faudra beaucoup de patience pour que Klara livre des morceaux de son histoire. Une histoire parsemée de mort, celle donnée autour d’elle comme celle qu’elle aura du elle-même donner pour abréger la souffrance de ses amies détenues qui la suppliaient ou pour, plus tard, se venger des profiteurs de guerre qui auront abusé sa mère.

Une histoire dans laquelle le père, adoré bien qu’il ait divorcé de sa femme peu de temps avant la guerre, sera retrouvé dans un rôle inconcevable finissant d’enfoncer Klara dans la honte absolue. Car Klara sortira totalement détruite de ces longs mois de captivité suivis de nouveaux mois d’errance dans une Europe de l’Est ravagée. C’est une femme physiquement « sousvivante », comme elle se qualifie elle-même, psychologiquement détruite et qui a perdu toute faculté de rire ou de pleurer, toute faculté d’aimer. Une femme qui honnit tellement ce qu’elle a enduré qu’elle rejette sa langue natale, l’Allemand, pour s’exprimer dans un français syntaxiquement parfait mais ravagé par un accent germanique indissimulable. Un peu comme si l’horreur, tatouée sur son avant-bras, refoulée, et la difficulté à accepter, après coup, son statut de rescapée alors que tous ceux qu’elle aimait ont disparu, devaient à tout prix s’exprimer, inconsciemment.

Chaque nouvelle confession est une descente supplémentaire dans un enfer inimaginable. Plus Klara se décharge sur Solange, plus Solange, pas préparée à cela, dépérit.

Lorsque Klara, au bout de quelques semaines, après avoir tout liquidé des biens mis à l’abri par Solange, partira pour les Etats-Unis pour y tenter de tout oublier, alors pourra commencer pour Solange le travail de reconstruction d’elle-même.

On sort bouleversé de ce livre rare, superbement écrit, profondément psychologique et qu’on ne saurait trop vous recommander que de le lire au plus vite.


Publié aux Editions Maurice Nadeau – 2002 – 187 pages