4.9.15

Romance viennoise – David Vogel


Ce n’est qu’assez récemment que l’on a commencé à découvrir timidement l’œuvre de David Vogel, un auteur en langue hébraïque qu’Aharon Appelfeld considère comme l’un des auteurs majeurs du XXème siècle.

Il faut dire que la vie de Vogel fut tourmentée. Né dans une petite ville de l’actuelle Ukraine en 1891, il sera exposé à un brassage de langues et de cultures. Installé à Vilnius, il émigrera d’abord à Vienne puis s’installera à Paris, après être passé entre autres par la Palestine, où il sera arrêté pour être ensuite déporté à Auschwitz et y mourir en 1944.

Retrouvé par hasard dans un fond de manuscrits d’auteurs en langue hébraïque à Tel Aviv en 2010, « Romance viennoise » vient de faire l’objet d’une traduction et parution en langue française aux Editions de l’Olivier.

Inspiré de la propre expérience de l’auteur qui avait vécu une relation adultère avec une femme mariée dans sa jeunesse à Vienne, « Romance viennoise » nous met sur les traces et nous plonge dans la vie d’un jeune homme de dix-huit ans tout juste arrivé de Pologne et venu s’abreuver et s’étourdir, pour apprendre la vie et la dévorer à pleines dents, dans ce qui est alors la capitale européenne artistique et intellectuelle de ce début du vingtième siècle.

Ce qui caractérise ce jeune homme, outre sa soif de vivre, est une indéniable intelligence, doublée d’un sens aigu de l’à-propos et de la répartie et d’une capacité à observer et à absorber. D’abord plus ou moins pris en charge par une petite communauté juive qui réunit artistes ratés et paumés en tous genres (un ténor héroïque sans voix, un anarchiste déprimé, une cohorte d’alcooliques de toutes sortes etc… ), il sera repéré par l’un des hommes les plus riches de la capitale. Doté d’une pension et d’ambitions aussi énormes que mal définies, il part à la découverte d’un monde dont il ignore tout.
Beau comme un jeune dieu, il fera bien vite la conquête de sa logeuse, une encore belle et assez jeune femme mariée à la sensualité dévorante et qui s’ennuie fort d’un mari épousé trop jeune. En même temps qu’il découvre l’abîme et les limites d’une passion jalouse et de plus en plus vorace, il multiplie les contacts avec la grande bourgeoisie et l’aristocratie d’un monde qui n’a pas encore été ravagé par deux conflits mondiaux.

En même temps que le jeune homme apprend, à marche forcée, brûlant les étapes, à passer du stade d’un adolescent doué mais inculte à celui d’un homme fait, brillant et séducteur, la jeune fille de seize ans de sa logeuse s’éveille progressivement à l’amour, entraînant le jeune homme dans une nouvelle aventure dont les conséquences pour tous pourraient être encore bien plus considérables.

David Vogel se démarque fortement avec ce roman des auteurs hébraïques de son temps plus soucieux de commenter la Bible et de commettre des ouvrages « politiquement corrects » que d’œuvres de création. Ici, il nous plonge dans la vraie vie. Celle d’une ville où son personnage principal fait le lien permanent entre deux mondes, celui d’où il vient et qu’il entend quitter et celui où il travaille à trouver sa place jouant des atouts qui sont les siens. Un monde dans lequel l’honnêteté compte pour peu car il vaut mieux être plus malin que les autres pour arriver à ses fins. Un monde où la douleur infligée aux autres importe peu si elle se traduit en avantages égoïstes et satisfaction de pulsions. Un monde qui tisse inéluctablement son auto-destruction à force de cupidité, de fatuité, d’inégalités de plus en plus insupportables. Un monde en pleine agitation. Bref, un monde qui, bien que séparé du nôtre de cent ans, ressemble fortement à celui dans lequel nous nous débattons et dont les soubresauts n’annoncent rien de bon. Fort d’une langue au pouvoir érotique certain, Vogel commet un roman d’une grande modernité et quelque peu en avance sur son temps.


Publié aux Editions de l’Olivier – 2014 – 317 pages