9.10.15

La terre qui penche – Carole Martinez




Carole Martinez nous avait éblouis avec « Le cœur cousu » puis « Le domaine des murmures » récompensé par un Prix Goncourt des Lycéens. Autant dire que l’attente était importante quant à son nouveau roman, « La terre qui penche ».

Quatre ans ont passé depuis la parution du « Domaine des murmures ». Deux siècles plus tard, en 1361 exactement, nous y voici revenus. Le nom a subsisté mais les fantômes et les histoires de celles et ceux qui ont précédé les nouveaux occupants ont disparu des mémoires.

En ce quatorzième siècle, la préoccupation principale est de trouver un moyen de repartir de l’avant après des épidémies de peste dévastatrices qui ont décimé manants et seigneurs, privant ces derniers d’héritiers et de main-d’œuvre qualifiée. Un siècle où la mort rôde de toutes parts car, hors la peste, ce sont les brigands, les loups ou les champs de bataille qui contribuent sans cesse à augmenter le nombre de victimes et de malheurs.

C’est dans ce siècle que vit Blanche. Enfin, qu’elle vivait plutôt car, comme nous finirons par le comprendre, c’est une enfant morte à douze ans, devenue une âme errante à l’insondable vieillesse qui nous conte à distance la vie et l’expérience d’une jeune fille, celle qu’elle fut avant d’être l’une de ces victimes des innombrables fléaux de son temps.

Blanche ne rêve que de savoir lire et écrire. Un plaisir dont la prive un père autoritaire et brutal au prétexte que ces activités corrompent l’esprit faible d’une femme. Un père aux pouvoirs infinis depuis que la mère de Blanche a mystérieusement disparu. Un père qui n’a de cesse que de tromper sa rage de la perte d’une épouse adorée en exerçant sans relâche son droit de cuissage sur sa domesticité sous les yeux de sa fille, sans vergogne ni retenue.

Aussi, lorsque celui-ci emmène Blanche après l’avoir revêtue de ses plus beaux atours, elle qui jusqu’ici n’eut droit qu’à des hardes, au Domaine des murmures, sans la moindre explication, la jeune fille est en train de tenter de comprendre ce qu’on attend d’elle.

Laissée sur place au motif de devenir l’épouse du dernier fils vivant du seigneur local, elle découvre en son promis un être chétif et fou, vivant dans un monde parallèle, incapable de s’adapter à la férocité de la réalité et d’exercer jamais le moindre pouvoir. Mais, elle y fera la rencontre aussi de la lecture et de l’écriture, une rencontre douloureuse et lente comme celles engendrées par un environnement où la rivière joue le rôle d’une fée maléfique, où les soldats sont parfois des ogres dévoreurs de petites filles, où l’on obtient ce que l’on désire plus souvent par la force ou la ruse que par le mérite.

Or, c’est dans cette mixité constante d’un réel inquiétant et d’une projection mentale des fantasmes et des peurs que Carole Martinez construit son roman. Essayer d’y voir une histoire linéaire conduira de passer à côté d’un livre qui se laisse difficilement aborder comme il est difficile de vivre, ou tout simplement de survivre, dans un monde où réalité et légendes, faits et croyances se liguent contre les faibles pour mieux les perdre. C’est aussi en traversant des épreuves que Blanche finira par comprendre ce qu’elle est, d’où elle vient ainsi que l’étrange, fascinante et romantique histoire qui a présidé à sa naissance. Mais le secret est tellement lourd qu’il ne peut être porté qu’au prix d’une mort assurée dont nous devinerons l’origine.

Au bout du compte, ce troisième roman n’a ni la puissance, ni le charme des deux précédents. Bien écrit, très documenté avec l’inclusion de nombreux textes en formes de chansonnettes directement construits à partir de textes historiques réarrangés et compilés, l’histoire peine cependant à nous captiver par trop de circonvolutions, trop de dérivations au sein d’une poésie aux forts relents méphitiques.

Publié aux Editions Gallimard – 2015 – 368 pages