29.10.15

Petit Piment – Alain Mabanckou




Le dernier roman de Mabanckou nous permet de retrouver l’auteur que l’on aime pour sa gouaille, ses talents de conteur griot, celui qui mélange la langue française stylée avec les expressions colorées africaines de son cru ou non. Bref, le Mabanckou de « Verre Cassé » ou de « Mémoire de porc-épic » plus que celui de ses derniers ouvrages plus autobiographiques.

Pour célébrer son retour à ce qui a fait son succès et sa renommée, lui valant le Renaudot en 2006, Alain Mabanckou retrouve son Congo natal car c’est en pleine Pointe-Noire que se situe tout son roman. Un roman où nous allons suivre les tribulations d’un garçon placé en orphelinat à sa naissance parce que son père a laissé en plan sa maîtresse enceinte pour ne pas avoir à s’encombrer d’un rejeton et d’une deuxième épouse.

Doté d’un impossible nom à rallonge reçu du prêtre venant catéchiser et baptiser les enfants de l’orphelinat, il en changera le jour où il aura le courage de s’en prendre à des jumeaux redoutés de tous en se vengeant de la rossée infligée à son ami Bonaventure, en répandant allégrement sur la pitance des deux monstres de la poudre de piment. Dès lors, « Petit Piment » il sera.

La vie de « Petit Piment » ressemble beaucoup à celle de beaucoup d’Africains ballotés au gré des circonstances. Il aurait pu être un gars bien mais il deviendra un petit voyou en même temps que le pays sombrera dans une révolution marxiste. Il est un personnage de fiction en hommage à trop de personnes réelles laissées pour compte comme nous l’indique d’ailleurs l’auteur dans sa dédicace.

Sans vrais repères, « Petit Piment » devient la figure littéraire permettant à Mabanckou de décrire avec la verve qu’on lui connaît tous les excès d’une Afrique à la fois généreuse et au sang chaud. Pointe-Noire devient ici le lieu de toutes les turpitudes, de tous les excès, de tous les dangers et du recours à une débrouillardise de chaque instant pour juste survivre et s’en sortir. C’est au cœur de ces zones non-touristiques, délaissées de tous et dont les règles non écrites laissent part à toutes les possibilités des meilleures au pire que nous plonge l’auteur. Plus « Petit Piment » s’enfonce dans la déchéance et la désespérance, plus la schizophrénie se développe, malgré les promesses impossibles d’un guérisseur miracle. Car il semble impossible d’arrêter la marche de 3petit Piment » vers son destin comme il semble impossible à l’Afrique de ne pas régulièrement exploser en pulsions de violence provoquant encore plus de désastres, d’exclusions, de confiscations et de prévarication.

La fin laisse penser à une forme de morale mais elle est surtout un point d’interrogation quant au sens d’un système qui semble fonctionner à l’envers et en dépit du bon sens.

Quoi qu’il en soit, malgré le tragique de ce qui nous est conté, on rit beaucoup et l’on goûte avec délice à un plat épicé et haut en couleurs, à l’image d’un continent qui peut vous faire passer en quelques instants dans tous les états psychologiques possibles. Voici sans doute le meilleur bouquin de Mabanckou depuis une dizaine d’années. Pas essentiel mais plein d’une verve jouissive pour nous faire supporter l’intolérable.

Publié aux Editions Seuil – 2015 – 288 pages