22.11.15

Au pays du p’tit – Nicolas Fargues


C’est de la France qu’il s’agit derrière la formule « Au pays du p’tit ». Une France des p’tits cafés, des p’tits boulots. Une France étriquée, resserrée sur elle-même, n’ayant plus de vision ni vraiment de place dans le monde. Enfin, c’est comme cela que la voit un universitaire sociologue d’une quarantaine d’années, Romain Ruyssen, au point d’avoir commis un ouvrage provocateur qui fait parler de lui.

Car, dénigrer a toujours fait recette surtout s’il s’agit de cracher sur celui qui vous a nourri et élevé. Un moyen comme un autre pour un prof jusqu’ici obscur de faire parler de lui, de devenir la petite gloire d’un jour que l’on va agiter sous les feux de la rampe et à qui radios et télés vont immanquablement faire une « p’tite » place.

Le propos de N. Fargues n’est pas tant de taper sur son pays (quoique, un peu tout de même tant les formules comportent d’efficacité et de vérité, plus ou moins travestie, mais tout n’est-il pas affaire de présentation in fine ?) que de nous donner à voir un personnage pour le moins détestable.

Car l’universitaire est au fond une ordure mais une ordure un peu naïve et qui va finir par tomber, victime de ses propres pièges et de ses propres turpitudes. A travers son personnage, l’auteur s’en prend à certains membres de l’intelligentsia parisienne et tout particulièrement du microcosme littéraire dont certains membres semblent prêts à tout pour concentrer attention et lumière sur eux. Le « name dropping » n’est jamais loin chez Fargues…

Dénigrer peut se révéler un pari véritablement gagnant à long terme. Encore faut-il avoir la brillance intellectuelle, la capacité à tenir bon et faire front dans les joutes et surtout une certaine hauteur morale pour éviter de se retrouver attaqué et mis au sol. Car, alors, l’hallali sera sévère et on ne vous pardonnera plus ce qui avait été toléré comme une originalité arrangeant tout le monde tant il est plus séant de faire dire par un tiers ce que l’on pense, un peu, tout bas. Mais l’assumer serait prendre trop de risques. Dès lors, disposer d’un bouc émissaire devient bien pratique.

Cette brillance, cette hauteur, Ruyssen ne l’a pas. Son obsession ce sont les femmes qu’il collectionne de façon presque compulsive. Il les consomme sans véritable plaisir, trompant sans vergogne une épouse loyale et compréhensive, prête à presque tout pardonner pour ne pas le perdre. Alors, il finira par faire une « p’tite » connerie qui va lui coûter fort cher. Celle de coucher avec une étudiante aguicheuse, péché mortel sur la plupart des campus universitaires du monde.

A travers cette histoire dans laquelle viennent s’entremêler d’autres conquêtes et autant de tromperies d’un don juan de pacotille, d’un séducteur de second rang aux beaux restes, on ne peut pas s’empêcher de voir aussi une critique à peine voilée de l’auteur envers certaines femmes. Des femmes qui disent accepter une histoire sans lendemain mais s’accrochent comme des sangsues. Des mégères prêtes à tout. Des furies attirant le mâle en rut avant d’en faire leur proie pour se venger d’un sexe qui serait mal aimé. Une sorte de sous-texte dans ce roman.

Même s’il ne possède ni la force ni la causticité de ce qu’un Houellebecq aurait pu commettre avec un tel thème en or, le roman de Nicolas Fargues s’apprécie pour son impertinence, son anticonformisme et l’opportunité qu’il nous offre de réfléchir à la façon dont nous nous voyons nous-mêmes face à un pays que l’on dit en déclin. Un p’tit bouquin bien tourné et bien  sympathique au fond. Allez, patron, vous m’en remettrez un !

Publié aux Editions POL – 2015 – 233 pages