20.1.16

Ma grand-mère vous passe le bonjour – Fredrik Backman


Difficile pour un enfant, quand on n’est pas tout à fait comme les autres, parce que surdoué, en avance sur son âge, curieux de tout de décortiquer, de comprendre le monde des adultes. Difficile aussi d’accepter la mort de sa grand-mère, quand, en plus d’être une petite surdouée de presque huit ans on perd celle qui faisait le sel de votre vie, celle qui avait compris que vous étiez tellement différente, tellement unique et tellement fragile aussi qu’il fallait vous protéger des autres et de vous-même. Encore plus compliqué est ce deuil quand, en plus d’être cette figure tutélaire, votre grand-mère fut toute sa vie une femme intrépide, ne respectant pas les conventions, n’en faisant qu’à sa tête tout en gagnant le profond respect de toutes celles et ceux qu’elle aura sauvés sur les zones de guerres où elle intervenait comme chirurgien volontaire.

C’est avec un sens de l’observation exceptionnel, une compréhension intime de celui que l’on devine avoir été lui-même un surdoué que Fredrik Backman compose son deuxième roman après le succès aussi éclatant qu’inattendu de « Vieux, râleur et suicidaire ». Un roman touchant parce qu’il a cette capacité à nous replonger au cœur de l’enfance, des terreurs qu’elle contient, de cet apprentissage constant de la vie et des échappées ou constructions imaginaires qu’elle permet et sur lesquelles l’enfance elle-même  s’élabore. Un livre émouvant parce qu’il parvient à nous faire rire aux éclats malgré des situations souvent dramatiques et parce le monde vu par les yeux d’une gamine à tous points exceptionnelle, Elsa, résonne de façon forcément hilarante dans nos yeux d’adultes plus ou moins désabusés.

Cette faculté de l’auteur à nous faire nous sentir, nous les lecteurs, comme la petite Elsa doit beaucoup au fait d’imaginer un conte sur le roman qui sert de fil conducteur et de décodeur. Car la grand-mère d’Elsa fut aussi une grande raconteuse d’histoires, une inventrice insatiable de personnages qu’elle faisait vivre en parlant une langue secrète, connue seulement d’elle et de sa petite-fille, du moins le pense Elsa.

Des histoires auxquelles Elsa va sans cesse se référer pour interpréter ce qui se passe dans ce monde des adultes si bizarres maintenant que sa grand-mère n’est plus là, elle qui est la fille de parents divorcés, ballotée entre deux familles recomposées et deux parents fondamentalement absents bien que charmants mais un peu perdus avec cette enfant qu’ils ne parviennent pas tout-à-fait à comprendre et moins encore à canaliser.

Des histoires qui vont trouver un nouvel écho parce que sa grand-mère, au-delà de la mort, a semé une succession de lettres qu’il va lui falloir trouver et comprendre. Autant de petits cailloux d’une sorte de jeu de piste géant conçu pour lui faire rencontrer ceux et celles qui ont vraiment compté pour sa grand-mère, lui faire comprendre qui cette femme fut vraiment, lui révéler ce qu’elle a toujours maintenu secret. Bref, la faire grandir par la découverte, le questionnement, la confrontation à cet inconnu qui souvent paralyse et aux dangers qui vont lui permettre de comprendre que d’autres, missionnés par cette fabuleuse grand-mère, seront là désormais pour prendre soin d’elle à leurs manières jusqu’à ce qu’Elsa soit suffisamment prête pour affronter le monde réel par elle-même.

Il y a de la magie, une poésie, une douceur infinies dans ce très beau roman où le fantastique se mêle au quotidien et où le monde des adultes, avec ce côté souvent ridicule, mesquin, étroit se débat sans cesse avec une éducation où la générosité, l’ouverture aux autres ont été fortement inculqués.
Un vrai coup de cœur.


Publié aux Editions Presses de la Cité – 2015 – 432 pages