12.7.16

La petite femelle – Philippe Jaenada


De façon un peu surprenante, la figure dramatique de Pauline Dubuisson semble alimenter la création littéraire. Après le très romancé « Je vous écris dans le noir » de Jean-Luc Seigle, c’est Philippe Jaenada qui publie une bibliographie très documentée de celle qui fut considérée et traitée comme la plus grande femme criminelle de son temps, au tout début des années cinquante.

C’est par hasard que l’auteur a croisé son personnage. Au vu de ce qu’il en avait lu, il se disait que cette femme devait avoir été un monstre et que sa condamnation à la perpétuité pour le meurtre de son amant à vingt-quatre ans était largement justifiée.

Mais, au bout d’un an de recherche acharnée, douze mois durant lesquels il éplucha en détail le dossier d’instruction, la presse et tout ce qui pouvait se rattacher à ce drame, sa perception des choses changea. Comme il nous l’explique de façon aussi précise que convaincante, Philippe Jaenada est désormais convaincu que Pauline Dubuisson fut avant tout la victime du jugement moral de son temps.

Jugée par un jury composé de sept hommes et d’une seule femme (qui la sauva de la décapitation), mal défendue par un avocat mystique, vilipendée par des accusateurs d’une violence et d’une outrance qui allèrent jusqu’à choquer le public venu assister en masse au procès, chargée comme jamais dans un dossier d’instruction bâclé, réarrangé et partial, la meurtrière indubitable (bien que très vraisemblablement totalement involontaire comme le démontre l’auteur) fut avant tout jugée parce qu’elle refusait de se conformer aux us de son temps.

Pauline était en effet une femme libre, belle, indépendante, rêvant de devenir médecin. Une femme élevée à la dure par un père qui voulait en faire le fils qu’il ne trouvait pas dans sa mâle descendance. Une fille qui comprit très tôt le pouvoir qu’elle détenait sur les hommes et prit des amants parmi les forces d’occupation allemande avec lesquelles frayait de façon plus ou moins compromettante son père. Une femme qui couchait sans être mariée et qui refusait de se conformer au dogme de l’époque qui voulait qu’une femme ne pût être rien d’autre qu’une bonne épouse et une mère de famille pendant que le mari adoré bossait pour faire vivre sa famille.

Jaenada aurait certainement fait un brillant défendeur de l’accusée. Et comme il est un homme de lettres à part, au style bien particulier, il ne peut s’empêcher de glisser de longues et drolatiques digressions où de nombreux épisodes de sa vie personnelle ou amoureuse, enchâssées dans des séquences de parenthèses dont il a le secret, surgissent comme de puissants miroirs expliquant les déviances, défendant le droit de vivre ou de penser autrement, pardonnant à distance ce que la bonne société refusa délibérément de pardonner à une jeune femme quelque peu égarée et tourmentée.

La vie de Pauline Dubuisson fut aussi courte que dramatique, elle qui finit par se suicider à trente-neuf ans, victime à nouveau d’une presse qui en fit un personnage hystérique alors qu’elle tentait de trouver sa place comme médecin au Maroc et qu’elle pensait avoir trouvé le grand amour.

Jaenada signe là un ouvrage puissant qui, bien que très épais (plus de sept cent pages), se lit avec passion et compassion, arrachant de nombreux rires et sourires lorsque l’auteur semble s’égarer – de façon très maîtrisée à vrai dire – dans la contemplation de sa propre existence quelque peu extraordinaire.  Un Must.


Publié aux Editions Julliard – 2015 – 714 pages