15.10.16

D’après une histoire vraie – Delphine de Vigan


Ouvrir le dernier roman de Delphine de Vigan présente un risque : celui de ne pouvoir suspendre une lecture qui vous plonge dans un univers à la fois haletant, angoissant et où l’on ne cesse de s’interroger, l’auteur jouant de la mystification avec brio. Parlant sous son propre nom, elle se met en scène de façon troublante, puisant des éléments entiers de sa propre vie pour construire une autofiction dans laquelle un double aux contours indéfinis d’elle-même se débat dans une somme de difficultés.

Cette projection d’elle-même lui ressemble comme deux gouttes d’eau. Elle a son âge, est écrivain, vient de connaître un immense succès avec son dernier livre racontant l’impossible relation avec une mère qui finira par se suicider. Comme elle, elle vit une relation amoureuse avec un journaliste spécialiste de littérature, elle donne des conférences auprès de lecteurs attentifs et curieux. Comme elle, depuis quatre ans, elle n’a rien publié. Suffisamment de points de comparaison, soulignés sans ambiguïté et facilement vérifiables, pour entretenir le doute sur la véracité de ce qui va suivre. D’autant que Delphine de Vigan a l’habileté d’introduire chacun de ses chapitres par une citation de Stephen King, alimentant le trouble entre le narrateur, l’auteur et son lecteur.

De fait, Delphine est d’autant plus fragile que ses deux jumeaux vont bientôt quitter le domicile maternel pour partir faire leurs études supérieures. Un moment idéal pour l’entrée en scène de L (« elle » dont nous ne connaîtrons jamais l’identité). Une femme de son âge, belle et troublante, seule avec laquelle une relation d’amitié foudroyante va se nouer.

Par petites touches et manipulations successives, L va peu à peu parvenir à prendre le contrôle total de Delphine, faisant le vide autour d’elle, s’imposant comme l’unique et exclusive partenaire en amitié, s’installant chez celle dont elle aspire inexorablement l’énergie, l’essence, la vie. L sait y faire en se construisant elle-même une histoire personnelle invérifiable qui fait d’elle une camarade oubliée de khâgne de Delphine dûment renseignée sur cette dernière.

Avec un suspense irrésistible, l’auteur nous plonge au cœur d’une double souffrance. Celle pour cette autre Delphine de Vigan (sans doute pour la véritable aussi !) de retrouver le chemin de l’écriture, de l’immense effort et travail que demande la création d’un livre signifiant et réussi ; celle aussi de s’interroger comment on peut se laisser à ce point mystifier par une tierce personne qui parvient à vous faire douter de tout au point de devenir, bon an mal an, le représentant autorisé de vous-même, agissant en votre nom. Une sorte de bernard-l’hermite social et littéraire vidant votre coquille de toute substance…

Les lecteurs attentifs ne manqueront pas de remarquer le clin d’œil que comporte le tout dernier mot d’un roman superbe et fascinant, récompensé par le Prix Renaudot et le Prix Goncourt des Lycéens en 2015.

Publié aux Editions JC lattès – 2015 – 479 pages