19.11.16

L’absente – Lionel Duroy


Depuis son premier roman à succès, « Le chagrin », on sait que Lionel Duroy eut maille à partir avec sa famille. Chaque livre constitue ainsi pour lui une nouvelle étape cathartique, comme autant de séances longues auprès d’un public fidèle dont il a fait un docile et compréhensif psychologue voire psychanalyste.

Il pourrait devenir fâcheux et lassant de subir les cris de la mère, Suzanne, ex grande bourgeoise bordelaise, qu’un malheureux mariage a liée à un homme, Toto, un brin escroc, toujours à cours d’argent, prolifique au point de lui donner dix enfants. Si bien que les déménagements à la cloche de bois s’enchainent, que de fastueuse au début la vie devient misérable et que le quatrième de la fratrie, Augustin Revel (le double littéraire absolu de l’auteur), n’aura de cesse de fuir cette famille de cinglés en dénonçant une vie détruite dans des romans autobiographiques.

Ce serait sans compter sur le talent de Lionel Duroy pour sans cesse changer de point d’observation afin de mieux tenter de comprendre et de nous faire comprendre à travers les yeux de son avatar, Augustin, pourquoi on reste abîmé, à soixante ans passés, jamais remis d’une enfance insécurisée. Car Augustin est un type carrément à la masse qui, ici, vient de se faire larguer par sa deuxième épouse. Obligé de vendre sa maison pour payer son divorce, il décide de charger son antédiluvienne Peugeot d’un bric-à-brac de photographies, de jouets d’enfants cassés, de classeurs administratifs sans oublier ses deux vélos hors-de-prix, insolites et désuets, témoignages d’une époque cycliste révolue quoiqu’héroïque. Le voici parti sur les routes de France, sans schéma préconçu, répondant à ses seules émotions du moment, parcourant sans logique aucune un pays en tous sens.

Tout le schéma de vie d’Augustin semble se résumer à quelques principes. Se marier pour trouver un équilibre et puis cesser de témoigner l’affection à celle qu’on a épousée car il est resté cet enfant malgré lui en mal d’affection de sa mère. Se faire larguer avant de recommencer. Etouffer sa dépression chronique en écrivant des livres traitant exclusivement du sujet familial car il n’y a que l’écriture qui le libère et l’empêche de sombrer. Brutaliser ceux qui l’aiment : ses amantes, ses lecteurs, les membres de la famille car il ne sait pas aimer simplement ni s’aimer lui-même. Réagir à des pulsions incontrôlées, passant d’un sujet à l’autre, n’hésitant pas à descendre en pleine nuit dans un parking pour vider sa voiture afin de retrouver une photo et de s’abîmer dans une contemplation au cours de laquelle s’enchaînent les rêveries. Car mieux vaut le rêve que la conscience d’une réalité insupportable.

Alors forcément, ainsi fragilisé, Augustin est la proie facile d’une libraire aussi folle que lui. Une fille tombée raide amoureuse à distance et qui le poursuit dans chacune des étapes d’un périple. Une soupirante qui va savoir se faire accepter et participer à la reconstruction d’Augustin. Lui ne pense qu’à son prochain livre dont le thème doit être, une fois de plus, cette mère qui l’a torpillé. Elle ne pense qu’à lui. Leur association improbable va contribuer à ce qu’Augustin ait enfin le courage de renouer avec ses racines, à retourner du côté de Bordeaux pour comprendre et découvrir celle que fut vraiment sa mère avant de devenir cette seule folle qu’il a toujours connue.


Lionel Duroy signe ici un beau livre de réconciliation, plein d’autodérision, rempli d’humour caustique sans apitoiement sur soi-même. Un livre où l’on rit beaucoup et autant que l’auteur rit de lui-même malgré la gravité du sujet. Une jolie réussite.

Publié aux Editions Julliard - 2016 - 360 pages