23.12.16

Contrepoint – Anna Enquist


Anna Enquist, avant que de se consacrer à l’écriture et de devenir l’une des figures essentielles de la littérature néerlandaise contemporaine, fut une pianiste soliste de rang international. Une donnée à ne pas oublier ou sous-estimer pour donner encore plus de sens à ce qui est sans doute l’un de ses livres les plus personnels, « Contrepoint ».

Ce sont les Variations Goldberg de JS Bach qui servent de trame à chacun des très courts chapitres qui ponctuent le roman. Trente variations qu’Anna Enquist introduit en citant les premières mesures, reproduites en en-tête, celles qui donnent le thème qui va faire l’objet d’infinies, subtiles et complexes variations de la part du compositeur qui en fit un art à part entière. Trente variations que prend le temps de nous expliquer la romancière-pianiste avec un soin qui déroutera sans doute les lecteurs ne comprenant rien à la musique et encore moins au solfège et à l’harmonie. Trente variations qui vont servir de prétextes pour jouer avec le temps et remonter jusqu’au moment où tout bascula comme nous finirons par le comprendre en toute fin du livre.

Trente variations sur lesquelles s’acharnent une femme, pianiste professionnelle, mariée à un violoncelliste de rang du Concertgebouw d’Amsterdam et mère de deux enfants. Trente variations dont il faut maîtriser les doigtés rebelles et décider du mode d’interprétation, Bach, comme il était d’usage à l’époque, n’ayant laissé que le strict minimum en matière d’indications. Des choix aussi difficiles que ceux à faire dans la vie, sans mode d’emploi, sans recette infaillible, laissée à son seul instinct.

Trente variations pour renouer avec la vie qui a perdu son sens. Trente variations pour se raccrocher à quelque chose de tangible. Trente variations pour revenir sur chaque épisode essentiel d’une existence désormais déclinante, triste et terne comme les jours glaciaux d’hiver des Pays-Bas. Les souvenirs de vacances dans la maison familiale au bord d’un lac en Suède, dont est originaire le mari et père, y forment l’essentiel des moments heureux. Entre ces séjours, on y voit surtout la fille de la famille, pièce essentielle de ce contrepoint, se débattre avec la vie à toutes époques, incapable de choisir, de dire non, de gérer son argent comme son agenda, bref de devenir adulte.

En contrepoint de ces variations survient celui des souvenirs et des images, heureux ou malheureux, instantanés de moments qui ne seront plus, point d’interrogation à jamais irrésolus de ce qu’il aurait fallu faire ou non. C’est toutes les questions des choix dans la vie, du hasard et de la nécessité et du fatum aussi qui sont ici posées avec une infinie pudeur et une rare intelligence.

Un livre remarquable et difficile.


Publié aux Editions Actes Sud – 2010 – 229 pages