6.4.17

La Grande Arche – Laurence Cossé


Trouver le sous-titre « Roman » adjoint à celui de « La Grande Arche » a de quoi surprendre. En effet, sur la forme, Laurence Cossé a plutôt produit un essai, conduisant un travail approfondi d’enquête journalistique, plongeant dans les archives et rencontrant ceux des acteurs de cette aventure architecturale, politique et financière dont la France de François Mitterrand eut le secret. Mais il est vrai qu’à la lecture de ce livre fort bien réalisé, factuel, sans concession pour quiconque, écrit dans un style à la fois alerte et souvent assez drôle, on se dit que de la genèse à la réalisation de cet édifice unique en son genre et dans le monde, cette aventure fut bel et bien un véritable roman.

Celles et ceux qui ont cinquante ans et plus aujourd’hui (les autres le découvriront et ne devraient aucunement se sentir exclus de la lecture de cet ouvrage édifiant – c’est le cas de le dire – en particulier à quelques semaines du choix du futur chef d’état) se souviennent du climat euphorique qui suivit l’élection à la fonction suprême du premier Président de la République socialiste. Nous vivions alors encore, du fait de la personnalité particulière de Mitterrand, dans un système combinant les règles d’une démocratie moderne et les pratiques d’un Prince régnant entouré de sa cour de flatteurs. De fait, très vite, Mitterrand voulut marquer son mandat par la réalisation de Grands Travaux symboliques (l’Opéra Bastille, la Très Grande Bibliothèque de France, l’Institut du Monde Arabe, la Villette) dont la Grande Arche fut un enjeu bien particulier.

Depuis vingt ans déjà, politiques, architectes et promoteurs se déchiraient pour déterminer la nature, la forme et l’usage d’un édifice destiné à boucler le très impersonnel espace de La Défense tout en l’inscrivant dans la perspective unique de La Concorde et de l’Arc de Triomphe.

C’est Mitterrand qui imposa un concours international et influença le choix d’un projet dont l’auteur, à la surprise générale, était un architecte danois, Joseph Otto von Spreckelsen, n’ayant jamais réalisé rien d’autre que quatre églises et sa propre maison. Son concept, d’une pureté de lignes et symbolique totale, fit l’unanimité. Mais, très vite, entre celui qui était avant tout un artiste épris d’absolu, incapable de concessions, n’ayant jamais géré de chantier pharaonique et ceux issus de la Haute Administration, de la Finance et du monde féroce des Travaux Publics, l’incompréhension fut totale et le divorce inéluctable.

Derrière le destin quelque part tragique réservé à l’architecte qui, fait unique, démissionna du projet avant son terme, se cache une aventure technologique, politique, financière et humaine des plus passionnantes. Un de ces feuilletons dont la France a le secret où argent public et intérêts privés se confondent, où une décision n’est jamais définitive tant qu’une partie se sent plus forte pour la faire changer à son profit, où l’on bâtit à la fin en dépit du bon sens tant le projet était mal ficelé dès le départ. L’essentiel est de faire beau, de résoudre des défis d’ingénierie, de plaire au Prince et de satisfaire les intérêts incompatibles de ceux qui savent rendre service.

C’est tout ce « roman », bien réel et révélateur de certains de nos maux, que nous rappelle avec talent et force détails Laurence Cossé dans un livre inspiré et délicieux.


Publié aux Editions Gallimard – 2016 – 355 pages