8.12.17

Me voici – Jonathan Safran Foer


En quinze ans, Jonathan Safran Foer n’aura produit que trois romans complétés d’un essai glaçant sur la consommation de la viande animale. Quinze années durant lesquelles le romancier sera passé du stade du hipster new-yorkais encensé par la critique pour son premier roman « Tout est illuminé », à celui d’un auteur de best-seller avec son deuxième livre « Incroyablement fort et extrêmement près » qui nous plonge dans le monde post 11 Septembre. Quinze années marquées aussi par l’explosion de son couple et son divorce d’avec la romancière Nicole Krauss. Une épreuve qui l’aura marqué et qui l’a amené à restructurer sa vie, passer du temps à élever ses enfants sans trop se soucier du temps qui file sans écrire ni publier.
« Me voici » est un roman à l’image de son auteur : un livre sur la vie, les choix, les épreuves, l’importance de la famille, le divorce. Un livre sur le sens de la judéité aussi traité avec ce mélange de tragi-comique et d’un brin de dérision qui fait le style de Foer.
« Me voici » sont les deux mots prononcés par Moïse lorsqu’il paraît devant Dieu, obéissant à l’ordre qui lui a été donné de venir sacrifier son fils adoré sur l’autel préparé à cet effet. Une épreuve pour tester la loyauté, la dévotion, une épreuve aussi et surtout pour faire prendre conscience de l’importance des choix et de l’arbitraire. Or, c’est fondamentalement de ceci qu’il est intensément question tout au long de cet épais (et un brin interminable) roman de près de 750 pages.
Jacob et Julia Bloch sont mariés depuis seize ans. Parents de trois enfants, bien établis professionnellement et socialement, ils se rendent compte sans le dire ni oser l’avouer que leur amour s’est peu à peu délité. Finalement, c’est plus à cause des enfants et par facilité qu’ils vivent encore ensemble dans une intimité de façade. Jusqu’à la découverte par Julia de texto à caractère pornographique rédigés par Jacob à destination de l’une de ses collègues de travail. Ce sera l’électrochoc qui aura raison du couple et donnera l’impulsion nécessaire pour passer de la cohabitation passive à la séparation consentie.
Pendant que le couple explose, étape par étape, par détours et hésitations en cascade, un violent séisme secoue tout le Moyen-Orient menant Israël à une quasi-destruction qui la place sous le danger immédiat des pays arabes prompts à se saisir des moindres maladresses et provocations de leur voisin honni pour régler définitivement leurs comptes.
Ces deux crises majeures dans lesquelles sont directement ou indirectement impliqués tous les membres de la famille résonnent dès lors comme d’urgentes obligations pour que Jacob réponde à son tour à un appel supérieur, qu’il soit enfin en mesure de dire « Me voici ». Voilà des années qu’il se cache derrière les obligations familiales ou professionnelles pour ne pas avoir à se définir par et pour lui-même. Des années qu’il consulte en vain un psychiatre où il décortique par le menu des questions existentielles sans y apporter de véritables réponses. Des années à vivre une judéité très superficielle et sociale ayant le vague sentiment d’appartenir à une communauté dont le sens aurait été perdu. Des années qu’il hésite entre le statut de fils d’un père rescapé des camps et aux positions d’ultra-droite radicale, celui de père d’enfants qui cherchent un référent, de mari d’une femme qu’il aime encore mais autrement, d’amant qui n’est jamais passé à l’acte, de scénariste rêvant d’écrire autre chose qu’une série à succès.
En clinicien des maux familiaux, Jonathan Safran Foer décortique les états d’âme et brosse le tableau d’un homme, et à travers lui d’une société, d’une religion, en pleine hésitation, en lente et hésitante progression vers la réponse à apporter sur ce que sont vraiment ceux capables de dire « Me voici ».
C’est à la fois brillant, drôle, grinçant, original et insupportablement long.
Publié aux Editions de l’Olivier – 2017 – 745 pages