28.1.18

Otages – Sherko Fatah


Quelque part au Moyen-Orient, un archéologue est-allemand et son interprète local font la mauvaise rencontre, au mauvais endroit. Le voyage jusqu’ici prometteur de découvertes, de dépaysement, de prise de distance aussi pour Albert, l’archéologue, d’avec une existence personnelle pleine de bosses va tourner au cauchemar.
Malmenés à coups de crosse dans le dos, encagoulés, les deux hommes sont jetés sous les yeux de la population locale impassible dans une voiture qui file vers un lieu inconnu en plein désert. Commence un périple harassant où chaque jour marque un transfert entre les mains de nouveaux geôliers, souvent de plus en plus jeunes, oscillant entre une relative bienveillance et le désir suintant de faire de ces prisonniers les nouvelles victimes expiatoires d’une révolte qui tente de déstabiliser le monde sous de fallacieux et absurdes prétextes religieux.
Sherko Fatah sait nous saisir très vite par la gorge ; celle qu’on a peur de voir tranchée d’un coup de sabre sous les yeux d’une caméra destinée à terrifier le monde des réseaux sociaux ; celle que les otages ont brûlante de soif et torturée de faim, l’alimentation se faisant selon le bon plaisir des geôliers ; celle qu’on a serrée  d’ignorer le sens qui nous est réservé, la destination où l’on nous conduit, la langue parlée et le but exact de ceux qui vous détiennent.
Alors, la seule solution est de s’enfermer au plus profond de soi, de se plonger dans une infinie rêverie pour s’échapper mentalement. Une rêverie qui met à nu les fantasmes, les peurs, les problèmes les plus enfouis, révélant l’âme. Une rêverie qu’on interrompt, parfois, pour échanger quelques paroles avec l’autre, apprendre à mieux le connaître, à tester ses intentions, à hésiter entre la confiance et la méfiance car tout devient menace.
L’autre alternative c’est de tenter la fuite, profitant de l’inattention de gardiens inexpérimentés, d’incidents de parcours. Au risque d’y laisser sa vie d’une balle, d’un coup de poignard ou tout simplement en mourant de soif.
Avec angoisse et compassion, sur un rythme aussi lent que les heures qui s’écoulent sans conscience de temps, nous suivons le parcours vers l’enfer de deux êtres devenus l’enjeu d’un contexte qui les dépasse. Sherko Fatah met en outre en évidence l’étroite collusion du grand banditisme local avec les réseaux embrigadés sous des prétextes religieux, la façon dont les ignorants sont exploités par des hommes qui n’agissent que pour leur propre compte n’hésitant pas à faire de la religion l’instrument de la fanatisation.
C’est un livre coup de poing, sacrément réussi qu’il faut absolument lire.
Publié aux Editions Métailié – 2017 – 266 pages

23.1.18

Taba-taba – Patrick Deville



L’obsession littéraire de Patrick Deville, c’est l’observation minutieuse, microscopique des vies de personnages historiques ou de séquences historiques disséquées jusqu’à ce qu’elles n’aient plus le moindre atome à cracher, que tous les points aient été reliés afin de dégager la cohérence globale invisible aux profanes.
Pour son dernier ouvrage, l’auteur emploie la même technique à ceci près que ce qu’il place sous son microscope d’écrivain, c’est l’histoire de sa propre famille. Grâce à des archives familiales miraculeusement conservées depuis 1860, celui qui est aussi un infatigable voyageur se lance sur les routes du monde et les petites routes de France au volant, nous dit-il, d’une Passat break achetée d’occasion et pour l’occasion.
Avec la minutie d’un orfèvre et la patience d’un apothicaire, Patrick Deville explore la façon dont sa propre histoire familiale fut étroitement associée à celle d’un pays qui, pendant un siècle et demi, ne fit que passer de guerre en guerre avant d’être secoué par les attentats terroristes de Daech.
Pour l’auteur, tout commença dans un ancien lazaret sur la Loire, du côté de Saint-Nazaire. Un hôpital transformé au gré des évènements en asile psychiatrique dont son père fut l’administrateur. Un lieu hors du monde où il fut enclos lui-même ayant pour unique camarade un aliéné n’ayant pour tout vocabulaire que la séquence taba-taba qu’il répétait sous la forme d’alexandrins parfaits à longueur de journée.
Déjà, il fallut bien de l’imagination et de vie intérieure pour que le jeune enfant, prisonnier d’une coque qui le maintenait couché afin de le soigner d’une déformation de naissance, apprenne à s’évader.
C’est ce même pouvoir qui, de presque rien, simplement quelques lignes, quelques documents imparfaits, quelques photographies écornées lui permet de reconstruire l’histoire d’une famille, la sienne. Pas le moindre détail ne nous sera épargné avec cette obligation maniaque qui est la sienne de tout dire, de tout raccrocher à des éléments de preuves historiques.
Du coup, le récit est d’une érudition absolue, multipliant les références littéraires et historiques, citant journaux et textes comme s’il en pleuvait de toutes parts. C’est cette même manie qui ne nous épargne pas la moindre halte dans le plus petit hôtel de province, ni le plus bref repas pris en bonne compagnie de l’intelligentsia vernaculaire lesquels nourrissent l’écriture d’un récit qui finit, très vite, par ne passionner que son auteur. Car, disons-le sans ambages : bien que merveilleusement écrit (l’homme a des lettres), le lecteur se perd très vite dans un océan de détails et de personnages qui ne lui parlent guère et l’ennui survient, très – trop – vite.
Voici un taba-taba qui aura fait long feu. Faute d’étincelles, point de flamme pour un ouvrage qui lasse.
Publié aux Editions du Seuil – 2017 – 433 pages

18.1.18

Dans les westerns – Gilles Leroy



Qui se souvient de « La piste héroïque », un western tourné en 1948 et qui connut un succès absolument inattendu ?
C’est là, dans le désert de l’Arizona et dans des conditions atmosphériques dantesques (il faisait couramment autour de 50 degrés) que se rencontrèrent Bob Lockhart et Paul Young. Bob avait 20 ans, un allant fou, un talent inné sachant danser et monter à cheval avec un naturel et une aisance confondante. Paul, 27 ans, tomba sous le charme.
Très vite, ceux qui à l’écran devaient apparaître comme d’irréductibles frères ennemis devinrent amants. Dans une Amérique blanche, raciste et homophobe, cela allait au-delà de toutes les conventions et toute bienséance formelle. D’autant que l’actrice principale, Joanne Ellis, qui repoussait une horde de prétendants se mit à en pincer follement pour le beau Bob sans être, évidemment, payée de retour.
A partir de cette histoire vraie, Gilles Leroy trouve une nouvelle fois prétexte à élaborer un roman d’inspiration américaine. Ici, ce sont les personnages directement concernés qui sont convoqués et se mettent à raconter, une cinquantaine d’années plus tard. Entretemps, l’histoire d’amour entre les deux hommes n’aura pas survécu à sept années de vie commune et la belle Joanne aura épousé par dépit un homme qu’elle n’aimait pas et dont elle divorça presqu’aussitôt. Bob aura connu une carrière cinématographique qui en fit une star alors que Paul aura bifurqué vers la politique pour finir Sénateur. Il y a pire pour conclure une histoire d’amour qui, comme tant ‘autres, finira mal.
A base de séquences écrites comme des celles d’un scenario hollywoodien, Gilles Leroy nous plonge dans les coulisses d’un monde où règnent l’hypocrisie bienpensante et la jalousie, où les ambitions personnelles obligent à sans cesse jouer des coudes.
Tout cela aurait pu être passionnant si ce n’est que l’écriture, pour une fois chez Leroy, se fait lourde, manque de cette impertinence ou de cette incision qui auraient su rendre la perversité d’un univers où les grands noms du cinéma américain réglaient leurs comptes à l’aune de leur ego. On finit alors par lâcher prise et le risque de quitter la séance avant la scène finale est élevé…
Publié aux Editions Mercure de France – 2017 – 314 pages

6.1.18

Ce qui n’a pas de nom – Piedad Bonnett



Ce qui n’a pas de nom, c’est l’horreur et la stupéfaction qui vous saisissent en tant que parents, proches ou amis d’un jeune homme qui vient de se suicider. Ce qui n’a pas de nom, c’est la maladie mentale qui finira par pousser un garçon brillant à ne pas envisager d’autre solution que de se défénestrer, fuyant ce « quatrième mur » qu’évoquent les psychiatres comme le symbole d’un enfermement mental qui ne peut que se conclure par une mort violente que l’on se donne à soi-même.
Piedad Bonnett, encore en convalescence d’une récente opération chirurgicale, vient de recevoir un Prix littéraire lorsqu’elle apprend, quelques heures plus tard par téléphone, de la bouche de ses filles la nouvelle du suicide de son fils Daniel. Il avait vingt-huit ans. Il était beau, doué d’un réel talent de peintre et parti faire des études d’art et d’architecture à New-York.
Avec une langue dont chaque mot a été pesé à l’aune de la douleur, du besoin de dire et de comprendre, la poète et romancière s’efforce à remonter le temps. Celui où son fils vivait encore, celui où les signes d’un grave désordre mental se multipliaient provoquant une inquiétude de chaque instant chez des parents sans cesse ballottés entre les propos rassurants des thérapeutes et les crises filiales schizophréniques aussi sporadiques qu’inquiétantes et spectaculaires.
Ce récit poignant est à la fois un acte d’amour envers un enfant auquel de grandes promesses artistiques s’ouvraient, un cri de révolte contre l’injustice d’un infime désordre génétique aux conséquences tragiques, un acte cathartique et introspectif pour se défaire de toute responsabilité infondée et réapprendre à vivre en l’absence de celui à qui l’on a donné la vie, dans la souffrance, le sang et la déchirure ainsi que le dit l’un de ses magnifiques poèmes qui fut d’ailleurs lu lors de l’une des cérémonies de funérailles.
Ces pages se lisent avec une émotion de chaque instant, d’un seul trait et sont parmi le plus témoignage qu’une mère puisse faire.
Publié aux Editions Métailié – 2017 – 131 pages

1.1.18

Les rêveuses – Frédéric Verger


Autant nous avions été enthousiasmés avec son premier roman « Arden », autant avons-nous été assommés par « Les rêveuses ». Il est louable de vouloir réaliser un roman loufoque, farfelu surtout s’il est, souvent (mais pas toujours), fort bien écrit. Mais quand le loufoque tourne au ridicule à force d’invraisemblances, de concours de circonstances totalement improbables, d’épreuves qui auraient dû mettre cent fois fin à la vie d’un personnage qui finit par ressembler à un de ces avatars d’un jeu vidéo aussi violent qu’imaginatif, alors le lecteur capitule.
 
Ne tentons pas de résumer « Les rêveuses » : c’est à peu près impossible et surtout inutile. Disons seulement qu’un jeune Allemand de la Sarre, après s’être enrôlé dans l’armée française, se retrouve pris dans la débâcle. C’est en endossant les habits et l’identité d’un mort dont il ne sait rien qu’il échappera, un temps, à un sort misérable.
Par un cheminement lui-même abscons et tortueux, voici qu’il débarque dans une datcha délabrée, en pleine forêt lorraine, où vivent la mère aveugle, son domestique aux allures de géant et deux cousines délurées de celui dont il a pris l’identité. Commence une histoire pas piquée des hannetons où se croisent en un vaudeville de moins en moins drôle une bonne sœur folle, des familles nobles où la haine forme la façon de vivre, un commandant allemand alcoolique, un camp de prisonniers russes, un couvent en ruines ayant hébergé des sœurs diseuses de rêves consignés au fil des siècles et d’autres personnages secondaires aux âmes sombres.
Très vite, le lecteur, perdu dans une intrigue dont on peine à comprendre le fil et le sens, tente de surnager dans un maelström de mots bellement assemblés, composant patiemment une solide écriture classique, ponctuant des situations dont le point commun est, pour le personnage principal, de toujours s’en tirer là où tous les autres meurent.
Mais, le pire est pour la fin, sommet de l’incongru laissant à penser qu’il fallait bien trouver un moyen de se débarrasser de personnages devenus encombrants.
Bref, l’un des pires romans lus en 2017….
Publié aux Editions Gallimard – 2017 – 448 pages