3.2.18

Femme à la mobylette – Jean-Luc Seigle


Jean-Luc Seigle possède un immense talent pour saisir son lecteur à bras-le-corps. A ce titre, la scène initiale de son dernier roman constitue un grand moment de littérature contemporaine.
Reine est assise, seule, dans sa cuisine. Autour d’elle règne un silence de mort. Seul désordre apparent dans une pièce qui respire la pauvreté et le rangement, un couteau menaçant reposant sur la table vide. Un couteau qui regarde Reine. Un couteau qui semble l’accuser d’avoir tué ses trois enfants partageant le même lit à l’étage d’une maison froide. Alors Reine doute, Reine sombre dans la confusion au point de ne plus faire la différence entre son monde intérieur constitué d’angoisse et de vide et celui dans lequel elle se meut, de plus en plus péniblement.
Car Reine est comme des centaines de milliers d’autres de ses concitoyennes, si ce n’est plus. Abandonnée par un mari parti vivre un amour tout neuf et petit-bourgeois au soleil, chômeuse, coincée dans une ville et une région sans perspective, Reine ne s’en sort plus. C’est tout juste si elle arrive à nourrir vaguement ses trois gamins.
Et puis Reine n’a jamais vraiment vécu, passant trop vite, par insouciance, par manque d’éducation du statut de jeune fille à celui de jeune mère enchaînant les grossesses sans se préoccuper du reste. Une existence comme une autre jusqu’à ce que l’homme de famille perde son boulot puis se casse…
Mais, un jour, dégageant son jardinet devenu un véritable dépotoir, Reine déniche une mobylette. Dès lors, de nouvelles perspectives s’ouvrent : celle de sortir de l’enfermement hostile entre quatre murs, celle de pouvoir décrocher ce poste de thanatopracteur où elle est la seule postulante. Celle enfin de faire la rencontre imprévue d’un camionneur hollandais qui va la révéler à elle-même, lui faire découvrir que la sexualité est source de plaisir et d’épanouissement et qu’elle existe aussi en tant que personne pétrie de qualités.
Toutefois, Jean-Luc Seigle n’a jamais été vraiment l’homme des happy end. C’est dans la narration des tragédies induites par une forme d’insouciante bêtise qu’il donne toute la mesure de son talent. Alors, il osera une fin frappante comme un dernier coup de poignard, celui qui narguait Reine d’ailleurs dès la première page, instrument d’un malheur et du fatum auxquels on ne peut échapper. Un des meilleurs romans de l’auteur.
Publié aux Editions Flammarion – 2017 – 239 pages