9.2.18

Wanderer – Sarah Léon


Wanderer : tout est déjà résumé dans un titre qui n’est pas choisi par hasard. Wanderer signifie tout d’abord « Marcheur ou promeneur » en allemand. C’est aussi et surtout le titre d’un Lied du cycle du Voyage d’hiver de Schubert qui décrit le bouillonnement intérieur de celui qui revient, au cœur de l’hiver, d’un long périple hasardeux. Enfin, pour la complétude, c’est le nom donné à Wotan, le roi des Dieux de la tétralogie wagnérienne, un dieu plein de contradictions, colérique et infidèle qui parcourt sans cesse le monde des humains pour en tirer avantage. Musique et langue allemande sont donc au cœur du récit. Inutile de vous y aventurer si ces sujets ne vous parlent pas.
La quatrième de couverture nous apprend que Sarah Léon est une étudiante de Normal Sup en littérature et musicologie. Deux sujets qu’elle maîtrise d’évidence à la perfection comme le révèle son ambitieux premier roman écrit alors qu’elle n’avait pas encore vingt ans.
Voici qu’à son tour, celui qu’on a surnommé Wanderer, revient par surprise au cœur de l’hiver. Il débarque sans prévenir chez celui qui fut son découvreur et son premier professeur de piano, un jeune compositeur qui s’est retiré comme un ermite dans une sorte de ferme perdue dans les montagnes et enfouie sous des quantités de neige. Voilà dix ans qu’ils ne se sont pas vus, depuis que Lenny , devenu entretemps un soliste du piano mondialement recherché et suivi sous le nom de Wanderer, a brusquement coupé les ponts sans donner de nouvelles.
Page après page, Sarah Léon construit un savant récit où chacun des dialogues (pièce essentielle autour de laquelle tout est suggéré et s’élabore un peu comme une pièce de théâtre) fait immédiatement écho au passé. Car ce présent où ces deux hommes encore jeunes se retrouvent est hanté par le passé d’une amitié tumultueuse, passionnelle et dont nous comprendrons bien vite, à moins d’être aveugle, qu’elle relevait clairement d’une histoire d’amour inavouée.
Le monde de ces deux hommes étant celui de la musique et tout particulièrement de la musique de Schubert qu’ils ont jouée ensemble et dont Lenny est devenu un spécialiste, c’est la musique qui structure le récit qui évolue comme une savante partition largement émaillée de références musicologiques et de textes en Allemand. C’est à la fois, du coup, la force et la faiblesse de ce premier roman qui s’adressera avant tout à un public très averti, très à l’aise avec la musique classique, très préférablement celle de Schubert, et idéalement germanophone car l’utilisation et la compréhension de la langue allemande, celle de Schubert, celle maternelle de Lenny, celle, plus largement, de beaucoup des compositeurs contemporains quelle que soit leur nationalité apportent un plus même si, la plupart du temps, une traduction de qualité est proposée en bas de page.
Bref, un premier roman sombre de climat, brillant par sa construction mais élitiste sur le fond et la forme.
Publié aux Editions Héloïse d’Ormesson – 2016 – 172 pages