9.3.18

Vie de David Hockney – Catherine Cusset


Après l’exposition magistrale de l’automne 2017 au Centre Pompidou, c’est au tour de Catherine Cusset de mettre le peintre anglais David Hockney, que d’aucuns considèrent comme le plus grand peintre actuel vivant, à l’honneur.
A mi-chemin entre roman et biographie, l’auteur ne se contente pas seulement de dérouler le récit de la vie d’un génie de la peinture. Elle nous donne des clés pour comprendre ce que sont les ressorts de la création d’un homme qui, depuis qu’il sait tenir un crayon, n’a jamais cessé de dessiner, de peindre, de créer recherchant des expressions nouvelles.
Toute l’œuvre de Hockney peut se voir comme un lien sublimé entre ses deux principaux inspirateurs : Matisse pour la couleur, essentielle pour Hokney qui est un coloriste explosif, un artiste qui nous enchante par ses palettes éclatantes, Picasso pour la façon de voir et de représenter le monde. A ce titre, après avoir été celui qui, encore étudiant au Royal College of Arts de Londres, prend le contrepied du formalisme qui vise à intellectualiser et conceptualiser à outrance la représentation du monde, Hockney ne cessa d’explorer les façons de représenter en deux dimensions toute la perception que notre vue plus ample, notre regard mobile dans toutes les directions complété de nos autres sens nous donne de l’environnement dans lequel nous évoluons en permanence. D’où un travail innovant sur les collages et la photographie dans les années soixante-dix et quatre-vingt, d’où ensuite l’appropriation des techniques numériques dès leur apparition.
C’est ainsi qu’il s’empara du fax pour diffuser ses œuvres après les avoir scannées et découpées afin que leur réassemblage en temps réel sur les lieux d’une exposition fasse intégralement partie de l’expérience éprouvée par le visiteur. C’est aussi ce qui l’amena à faire coudre des poches dans chacun de ses vêtements pour y glisser l’iPad qui ne le quitte jamais et lui sert de carnet de dessin sur lequel il croque chaque image, chaque scène qui lui vient en tête.
On comprend, grâce au travail de Catherine Cusset, que certains ressorts furent essentiels au parcours créatif de l’artiste. L’homosexualité dont il prit conscience très tôt et que lui conduisit à fuir une Angleterre guindée, conservatrice et condamnant les gens de son espèce pour vivre pleinement ses désirs et s’assumer dans la Californie libérale des années soixante à Los Angeles. Une homosexualité qui le pousse à mettre en scène sans cesse les quelques amants qui vont partager sa vie entre des ruptures qui sont chaque fois déchirantes. Le rapport aux parents entre une mère protectrice et compréhensive et un père taiseux et un brin colérique avec lequel il n’aura jamais le courage de véritablement discuter et d’avouer ce qu’ils auront forcément deviné par eux-mêmes. La mort qui, une fois l’épidémie de sida déclarée, décimera les rangs de ses amis quand ce n’est pas le cancer qui fauche ses relations. Une intense réflexion sur le sens de la perspective, la façon dont les artistes occidentaux s’en sont emparés tandis qu’en Asie la représentation du monde se fait panoramique. Un travail qui l’amènera une fois de plus à casser les codes, à projeter le contemplateur de ses tableaux dans une vision bouleversée, renouvelée, totalement inédite de la scène, provoquant une émotion immédiate.
De façon humble et pudique, Catherine Cusset nous fait entrer dans l’intimité créatrice d’un immense artiste, provoquant le désir immédiat de voir ou revoir ses réalisations qui marqueront l’histoire de la peinture. Un bel hommage !
Publié aux Editions Gallimard – 2018 – 185 pages