20.4.18

Glaise – Franck Bouysse


Août 1914 : la France se vide de ses hommes appelés à défendre l’intérêt supérieur de la nation comme indiqué sur les ordres de mobilisation. Du coup, les campagnes se désertifient alors que le travail des champs bat son plein. Seuls restent les femmes, les adolescents qui bientôt seront à leur tour appelés à rejoindre les rangs d’une boucherie qui s’enlise, ainsi que les vieux et les réformés.
Depuis le départ des hommes de la famille, c’est sur Joseph, âgé de quinze ans, que repose la charge de la ferme ainsi que celle des terres du voisin et ami âgé de toujours, Léonard. Autour d’eux des femmes, épouses en proie à l’angoisse de voir leur homme ne jamais revenir, mères tourmentées à l’idée de perdre des fils aimés, sœurs espérant le retour d’un fiancé ou d’un amant. Et puis, Valette, réformé à cause d’une main mutilée et qui traite sa haine recuite et les échecs successifs de sa vie à coup de gnôle et de violence assénée aux bêtes de façon sournoise et répugnante. Valette, l’ennemi de la famille de Joseph depuis que le grand-père de celui-ci a acquis les terres qu’il convoitait, l’humiliant une fois de plus.
Page après page, Franck Bouysse élabore un roman puissant, d’une écriture solidement classique, très travaillée. Un roman d’initiation pour Joseph qui découvrira l’amour avec la jeune fille réfugiée en compagnie de sa mère chez son oncle Valette depuis que le frère de ce dernier est parti au front. Un roman sur les rancœurs tenaces et la façon dont la vengeance finit toujours par trouver son chemin. Un roman sur l’inquiétude et l’attente entretenues par des autorités militaires qui font tout pour que la violence des combats et la probabilité d’un enlisement du conflit soient cachées à celles et ceux de l’arrière. Un roman sur l’aveugle bêtise humaine qui ne peut que conduire au drame. Un roman, aussi, en forme d’hommage à la puissance de ces paysages, à l’immuabilité des travaux agricoles qui doivent, coûte que coûte, se poursuivre faute de conduire à la catastrophe.
Franck Bouysse signe un livre fort bien construit, captivant et qui sait rendre compte avec justesse et conviction de l’atmosphère si particulière d’un monde rural vidé de ses forces vives et dont les signes guerriers sporadiques témoignent de la violence ambiante par les décès annoncés ou les bêtes que l’on confisque pour nourrir des troupes affamées. Le roman d’un monde qui bascule à jamais pour chacun des acteurs d’un drame que tous ne font que subir.
Publié aux Editions La Manufacture des Livres – 2017 – 426 pages