31.5.18

Un hiver avec le diable – Michel Quint



Hiver 1953 : la France qui se remet peu à peu de la Seconde Guerre Mondiale est secouée par deux évènements qui ravivent tensions et plaies mal refermées. En Indochine, des jeunes gens laissent leur vie ou reviennent mutilés d’une guerre où les frères ennemis soviétiques et américains s’affrontent à distance par l’intermédiaire d’une armée française qui perd du terrain. Pendant ce  temps, à Bordeaux, s’ouvre le procès des dix-sept SS allemands et autres enrôlés de force ou volontaires alsaciens (ceux que l’on appelait les Niemand, c’est-à-dire Personne) ayant été identifié pour avoir participé au massacre de six-cent-quarante-deux habitants à Oradour-sur-Glane, le 10 Juin 1944.
Autant d’évènements qui divisent en deux clans irréconciliables les habitants d’un petit village frontalier du Nord de la France. Quand, en outre, incendies criminels et morts violentes et suspectes se multiplient depuis l’arrivée de la nouvelle institutrice alsacienne et de son supposé compagnon, un petit escroc vivant d’expédients, toutes les conditions semblent réunies pour qu’un drame collectif finisse par se produire.
On sait que Michel Quint se plaît et excelle à mêler la grande Histoire aux petites histoires humaines. Surtout si ces dernières sont sordides, malsaines, sales à souhait. Avec un soin extrême et usant d’une langue qui alterne structure classique charpentée, patois nordique et expressions populaires colorées, l’auteur se lance dans une exploration de l’âme humaine. Celle de villageois frontaliers pour lesquels trafics en tous genres font partie des lieux communs. Celle d’hommes et de femmes tourmentés par le désir, celui de la chair, celui de la possession et prêts à tous pour parvenir à leurs fins. Celle d’êtres en déshérence, perdant peu à peu leurs repères, trompés par des partis politiques dont ils ne comprennent plus les logiques, brisés par des pertes personnelles dont ils ne se remettront jamais, honteux des secrets inavouables qu’il leur faut enfouir à jamais. Car, dans ce roman construit comme un thriller personne n’est irréprochable. Derrière l’apparence sociale se cachent bien des histoires glauques.
Michel Quint sait tenir son lecteur en haleine, maintenant le suspense jusqu’au bout dans un roman qui nous rappelle qu’il est long et hasardeux de vouloir réduire coûte que coûte les fractures d’un pays fracassé par la guerre, surtout quand elle a en partie pris le visage d’une guerre civile. Car les comptes finissent toujours par se régler…
Publié aux Editions Presses de la Cité – 2016 – 413 pages