6.7.18

Casting sauvage – Hubert Haddad



Quand Hubert Haddad prend la plume, comme romancier, essayiste ou poète, la langue française se met à scintiller d’images foudroyantes ciselées dans la luxuriance des couleurs orientales. Les textes vibrionnent, les mots s’agencent comme jamais encore pour former des entrelacs envoûtants dont nous retrouvons toute la magie dans le dernier roman de l’auteur.
Nous voici dans les pas d’une jeune femme, Damya, chargée de trouver une centaine de figurants, aussi décharnés que possible, afin de former la petite horde de rescapés des camps de la mort pris en charge à leur arrivée à Paris dans un remake au cinéma de La Douleur de Marguerite Duras. Un défi jugé impossible confié à une abîmée de la vie : Damya fut une danseuse promise à la gloire dont le destin fut anéanti simplement parce qu’elle se trouva au mauvais endroit au mauvais moment, victime anonyme des attentats de Novembre 2015.
Quoi de mieux qu’une déambulation au hasard des quartiers les plus populaires de Paris pour repérer et aborder celles et ceux qui pourraient faire l’affaire ? Car derrière la frénésie d’une ville qui brille de mille lumières, abritant fortunes et pouvoir, se tapit aussi tout ce que le monde compte d’exclus, de réfugiés faméliques, d’êtres à la dérive vivant d’expédients ou d’aides sociales et dont la perspective d’un petit cachet, même modeste, aide à donner un autre sens à la vie. Et puis, en sillonnant ces rues au gré de son humeur, la jeune femme n’est-elle pas non plus à la recherche de ce jeune et beau garçon croisé trois fois par hasard et aimé avant qu’il ne disparaisse sans laisser la moindre trace ?
Lors de ce casting sauvage, c’est au fond aux oubliés, à ceux qui ne s’expriment jamais car ils vivent en marge que l’auteur donne la parole. Elle y est souvent brève mais suffisante pour aider à redonner un sens à la vie. Un sens que Damya a elle-même perdu voyant à la fois un possible amour s’envoler et une carrière prometteuse se briser net. Un sens dont ces figurants étiques vont lui permettre de retrouver le chemin, malgré la douleur omniprésente et les doutes permanents. Une façon aussi d’accepter de continuer à vivre et de se pardonner de ne pas figurer parmi les cadavres innocents, ceux des attentats terroristes comme ceux des camps de nazis, dont les images sont désormais ancrées dans la mémoire collective.
Hubert Haddad signe une fois encore un beau livre, superbement écrit, qui sait nous saisir par ce mélange de peines, d’espoir et de petites joies entrecoupés de séquences aux images fortes et quasi-indélébiles.
Publié aux Editions Zulma – 2018 – 157 pages